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donc il y a eu offense, ce serait uniquement dans cette idée que l'institution serait mauvaise; qu'elle ne répondait pas aux efforts que chaque individualité peut faire pour arriver à l'indépendance et par conséquent à la force. » Cet autre moyen de défense, l'avocat le puisait précisément dans le second des articles incriminés, en date du 11 février. « Rassemblez, disait le National, en parlant de tels ou tels pairs, rassemblez ces individualités recommandables, faites-en un corps politique qui ne doive son existence ni à l'élection, ni à l'hérédité: essayez alors de faire mouvoir cet étrange assemblage. Mais vous lui avez refusé la vie et vous lui demandez le mouvement! Vous l'avez enlevé du sol et vous voulez qu'il ait des racines! » Le National avait-il le droit d'examiner ainsi la constitution de la pairie? Oui, selon la défense; dans notre ordre constitutionnel, tout pouvoir appartient à la critique de la presse; la critique peut la saisir à son origine, dans ses développements, dans ses actions, dans tous ses mouvements. A ce point de vue où est l'offense? Ce qu'a dit le National, les orateurs de la Chambre l'avaient dit avant lui, MM. de Chateaubriand et de Fitz-James, notamment. >>

Après ce discours, fort habile en quelques points, Me Marie recommanda à l'attention de la Chambre la position particulière du prévenu (M. Delaroche était malade et n'avait pu comparaître que par un fondé de pouvoirs). La Chambre s'étant formée alors en comité secret, revint en audience publique, où lecture fut donnée d'un arrêt qui condamnait le sieur Delaroche à un mois d'emprisonnement et à 10,000 fr. d'amende.

Deux jours avant ce jugement, le fils du maréchal Ney, le jeune prince de la Moskowa, appelé à la pairie en 1831, venait faire valoir son droit et s'asseoir dans cette enceinte..... Le fils du brave des braves, devait à l'opinion publique quelques explications. Il voulut monter à la tribune. M. le chancelier Pasquier l'interrompit : « Vous n'avez pas la parole, lui dit

il, vous ne pouvez la prendre, je vais donner lecture de l'article du règlement qui s'y oppose. » Cet article porte, en effet, que lorsqu'un pair croit devoir appeler l'attention de la Chambre sur un objet étranger à l'ordre du jour, il doit déposer sur le bureau une demande indiquant le sujet sur lequel il désire être entendu. « Je cède, M. le président, à votre pouvoir discrétionnaire. » Telle fut la réponse du récipiendaire. Mais pour avoir été comprimé dans l'assemblée, l'incident ne retentit pas moins au-dehors. Ce que le prince n'avait pu dire devant ses nouveaux collègues, la presse le publia. Pour l'acquit de sa conscience, le fils de la noble victime avait consulté un autre brave, le général Excelmans, et MM. Dupin et Odilon Barrot. M. Dupin, on se le rappelle, avait été un des défenseurs de Michel Ney. Tous trois, au surplus, étaient d'avis que le temps était venu pour le prince de la Moskowa d'exercer son droit. L'histoire d'un pays voisin offrait, ce semble, un exemple à suivre : le fils de lord Strafford n'avait voulu siéger dans l'enceinte où son père avait été condamné, qu'après avoir obtenu sa réhabilitation. Le 8 mars, M. Molé reporta l'incident à la tribune, et ce fut pour déclarer qu'il ne reconnaissait à personne le droit de douter que s'il eut le malheur d'être juré en 1815, son verdict n'eût pas été constamment consciencieux et indépendant.

Le lendemain, le prince de la Moskowa répondit particulièrement à M. Molé qu'il n'était pas l'organe de l'assemblée, lorsqu'il lui venait refuser le droit de protester en termes énergiques, dans la presse, contre un acte politique dont le gouvernement de juillet avait fait depuis longtemps justice contre la sentence qui avait frappé son père!

Cependant la Cour des pairs poursuivait l'instruction relative à l'auteur et aux complices de l'attentat du 29 octobre. Le 10 mai, M. Girod (de l'Ain) fit, au nom de la commission désignée à cet effet, son rapport, à la suite duquel la Cour, le procureur-général entendu, rendit un arrêt de miseen

accusation contre Darmès, Duclos, Borel, Reccario, Périer, Bouge, Belleguise, Considère et Guéret, presque tous ouvriers, à l'exception de Considère, qui était marchand de vins le 29 mai, arrêt définitif qui condamne Darmès (Ennemond-Marius), à la peine du parricide. Et en ce qui touchait Duclos et Considère, seuls mis en cause avec Darmès, attendu qu'il ne résultait pas contre eux charges suffisantes, la Cour les renvoyait de l'accusation portée contre eux. Toutefois, on maintenait le mandat de dépôt qui retenait Duclos: attendu qu'il résultait de l'instruction, qu'il pourrait y avoir lieu d'instruire contre lui, à raison d'autre crime, délit ou contravention. Le 31 mai, à sept heures du matin, la tête de Darmès tomba sous le glaive de la loi. On dit que le roi fit parvenir à sa mère, que la plus profonde misère accable, un secours de 1,200 fr.

Un évènement d'une autre nature, le baptême du comte de Paris, avait précédé ces expiations politiques. Ce fut le 1er de mai, le jour de la fête du roi, que le jeune prince fut présenté à l'église métropolitaine. Le discours adressé à cette occasion au Roi, par l'archevêque, partait de haut, et avait un caractère vraiment évangélique. Il était d'ailleurs tout entier dans cette phrase: que Jésus-Christ, par le premier de ses sacrements, imprime le même caractère au descendant des rois, et au fils du citoyen le plus obscur... » La ville de Paris solennisa également ce jour, en faisant présent au comte de Paris d'une épée dont les ornements étaient dignes en tout de la grande cité qui l'offrait.

Vers le même temps, la représentation nationale et tout un parti politique perdaient un homme qui ne vécut pas assez pour les services qu'il avait voulu rendre à son pays: M. Garnier-Pagès, jeune encore, mourait à Paris, le 23 juin il n'avait pas quarante ans. Plus de dix mille personnes suivirent son convoi.

La Chambre des députés poursuivait alors le cours de ses travaux, pendant que se concluait à Londres (13 juillet) le

traité dit des détroits, qui rouvrait à la signature de la France la place qui lui avait été fermée le 15 juillet 1840. (V.Turquie et Grande-Bretagne). Le traité nouveau se résumait pour la France à l'associer à la proclamation d'un principe qui avait toujours été de droit européen, mais que cette fois on plaçait sous la garantie de toute les puissances. Comment cependant ce résultat fut-il atteint? c'est ce qu'il eût été difficile à ce moment de l'année, de préciser. Des conjectures plus ou moins plausibles, tirées des intérêts divers des parties contractantes, peuvent tout au plus être assises sur ce point la diplomatie a des arcanes que l'on ne peut guère produire au jour que par leurs résultats utiles ou funestes à la cause des peuples, et qui, par cela même, ne sont que du domaine de l'avenir.

Au moment où la clôture des Chambres détournait de leurs délibérations l'attention publique, des troubles inattendus et des plus graves éclatèrent dans quelques villes du royaume. Voici à quelle occasion :

La loi du 14 juillet 1838 ordonne le recensement général des propriétés bâties, des portes et fenêtres, des individus passibles de la taxe personnelle, des patentables et des valeurs locatives. Dans la pensée de l'administration, cette opération devait servir en outre à compléter les renseignements que les agents des contributions directes sont tenus de mettre à la disposition des conseils généraux et des conseils d'arrondissements, pour les guider dans la répartition des contingents départementaux entre les arrondissements et les communes.

Le recensement devait s'accomplir en deux périodes, dont la première devait se terminer à la fin du mois de juin. Jusqu'à ce moment, en effet, cette mesure légale paraissait avoir été acceptée sans réclamations au moins manifestes. Mais la seconde période fut signalée par des troubles bruyants, sanglants même, et qui prirent en de certaines localités le caractère de la révolte ouverte. Toulouse, Bor

deaux, Clermont-Ferrand et quelques autres cités, furent le théâtre de ces agitations. Les populations, toujours promptes à s'effrayer lorsqu'il s'agit d'impôts, avaient vu dans le recensement l'augmentation prochaine des charges qui pèsent sur elles, et, il faut le dire pour certains esprits, c'était la légalité même de la mesure qui faisait l'objet du doute, au moins la manière dont elle devait être exécutée. Cependant, l'esprit même des lois sur la matière, traçait la ligne qu'il fallait suivre en cette occurrence: aux agents de l'administration à rassembler les matériaux, les renseignements qui doivent asseoir l'impôt; aux communes, aux autorités locales, le soin de confectionner les matrices et la répartition individuelle (loi du 22 brumaire an vi).

Une circulaire du ministre des finances, en date du 9 août, répète ces prescriptions de la loi. Mais ce document administratif venait un peu tard. Soit sentiment de son droit, soit tout autre motif, le ministre laisse éclater les premiers troubles avant de s'expliquer. Et par là, deux faits graves auront pu surgir: le premier, c'est que les agents de l'administration auront mal compris ou mal appliqué sur quelques points leurs attributions; l'autre, c'est que le champ aura pu rester libre aux interprétations passionnées des populations. Dans l'intervalle, peut-être parce qu'il avait lui-même douté du droit de l'autorité, ou parce qu'il lisait dans l'attitude de ses administrés de fâcheux symptômes, le préfet du département de la Haute-Garonne (M. Floret) avait suspendu à Toulouse l'opération du recensement. Le ministre, son supérieur hiérarchique, le révoqua pour ce fait (29 juin). Mais M. Humann nomma à sa place M. Mahul, maître des requêtes au Conseil-d'État, directeur de la police générale du royaume, dont la présence à Toulouse, loin de dissiper l'orage, le fit éclater plus tôt. Ce fut le 5 juillet les troubles furent graves ce jour là, et leur objet était d'empêcher l'exécution du recensement. Cet état d'alarme dura jusqu'au 12; on élève alors des barAnn. hist. pour 1841.

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