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n'en examinerons la teneur, et nous ne rapporterons les circonstances qui l'ont précédé ou suivi que dans notre histoire de 1842, durant laquelle se développeront les phases politiques qu'il a ouvertes.

CHAPITRE IX.

COLONIES.-État des colonies à esclaves. - Effet produit par l'ordonnance relative au patronage et par la création de la commission de Broglie. Question des sucres.-Interpellations de M. Lacrosse relatives à une violation de l'ordonnance du 5 janvier.-Discussion. - Ordre du jour.-Loi sur l'organisation financière des colonies.-Ordonnance relative à l'emprisonnement des esclaves.-Ordonnance concernant la position des magistrats dans les colonies.-Ajournement de la question des sucres. ALGERIE.-État de la domination française en Afrique.- Politique du ministère. Nomination du général Bugeaud.—Résultats des campagnes. -Soumission de plusieurs tribus.-Colonisation.--Obstacle continu.— Déclaration du gouvernement dans l'affaire des lettres.

Les mesures prises l'année précédente par le ministère, relativement à nos colonies à esclaves, n'avaient point été accueillies avec faveur par la majorité des colons. L'ordonnance du 5 janvier, qui établit le patronage des officiers du ministère public à l'égard de la race nègre, avait rencontré la plus vive résistance, et il avait fallu toute l'autorité de la loi d'une part, de l'autre la crainte des peines auxquelles eût exposé la résistance, pour que le pouvoir obtînt sur ce point un libre exercice. Plusieurs protestations s'élevèrent; des colons crurent pouvoir déclarer qu'ils ne cédaient qu'à la force, et que les mesures qu'on employait pour les amener à l'obéissance leur semblaient violentes et illégales.

La création d'une commission chargée d'examiner les questions coloniales, ne les avait nullement rassurés; car le but de cette commission, qui est d'élaborer un projet de réforme pour les colonies, est aussi par cela même et avant tout de préparer l'émancipation des esclaves par les voies les moins dangereuses, les plus sûres et les plus promptes. Vainement quelques plumes isolées essayent-elles de dépeindre

sous des couleurs favorables l'état des nègres dans l'esclavage; la question est résolue pour l'immense majorité des esprits, et si l'on tarde encore à le proclamer, c'est que l'on cherche les moyens d'opérer sans une secousse trop profonde cette révolution sociale; les colons voient avec une inquiétude, du reste bien facile à comprendre, l'approche de ce grand jour.

Enfin la loi du 27 juillet, qui abaissait les droits à percevoir sur le sucre colonial et grevait en même temps le sucre indigène, était regardée comme une loi provisoire et qu'il importait au plus tôt de remplacer. L'égalité de l'impôt eût-elle été établie pour les deux industries, qu'elle n'eût pas ellemême été suffisante. Le seul remède à la détresse des colonies, c'était, disaient les colons, l'extinction définitive de l'industrie indigène.

Toutes ces opinions se produisirent avec le caractère de l'uniformité dans les réponses des conseils aux discours des gouverneurs, à Cayenne, à la Martinique, à la Guadeloupe, à l'ile Bourbon, et elles présidèrent au choix des délégués qui furent nommés pour représenter nos possessions transatlantiques auprès de la métropole.

Tel se manifestait l'état des esprits pendant que la Chambre des députés écoutait les interpellations de M. Lacrosse, relatives à une violation flagrante des ordonnances de 1839 et 1840 qui ont institué le patronage des esclaves.

Des colons s'étaient rendus coupables de sévices graveset même, suivant quelques relations, de tortures; et la justice locale appelée à prononcer sur leur conduite, leur avait donné gain de cause.

Le 6 mars, l'honorable député du Finistère demanda au ministre de la marine des explications à ce sujet.

En proclamant les dernières ordonnances, le gouvernement croyait-il avoir épuisé son droit? Était-il résolu, oui ou non, à couvrir désormais de la tutelle de la couronne, l'esclave menacé de détention arbitraire, et exposé à un abus quelconque de l'autorité du maître?

Suivant l'orateur, la croyance des colons était encore aujourd'hui, qu'ils pouvaient user et abuser de l'esclave; il terminait son discours, plein de faits, en demandant que la détention arbitraire dans les habitations fùt complètement interdite, et qu'en outre, pour effacer autant que possible ces châtiments qui avilissent, qui abrutissent et qui ne corrigent pas, un registre tenu dans chaque habitation servît à consigner, d'une manière obligatoire, les peines et les châtiments infligés.

M. Lacrosse démontra également l'urgence d'une nouvelle organisation judiciaire, plus impartiale et moins défavorable à la population nègre.

L'amiral Duperré répondit qu'il avait à porter plus que le blâme sur le jugement dont il s'agissait. Du reste, le ministère s'occupait et s'occupera sérieusement, disait-il, des moyens de limiter la détention, soit pour cause de discipline, soit pour cause de délit, jusqu'à la remise du coupable à l'autorité judiciaire. Quant au registre-journal dont parlait le préopinant, le ministre en approuvait la pensée. C'était, suivant son expression, une mesure de bon ordre qu'il était facile de prendre, d'autant plus qu'elle aiderait à dresser le tableau que le magistrat inspecteur est obligé d'établir dans chacune de ses inspections mensuelles. Enfin le gouvernement travaillait à porter remède aux inconvénients que présentait la composition actuelle des cours de jurés; mais le ministre nes'expliqua point sur la question de savoir si les améliorations dont il parlait étaient du domaine de l'ordonnance.

M. Joilivet, délégué de la Guadeloupe, prit la défense de ses commettants, et déclara que le récit donné par un journal judiciaire, du jugement qui faisait l'objet de la discussion, était entièrement controuvé. Mais ses observations tendaient à constituer la Chambre en tribunal d'appel; elles ne pouvaient être acceptées.

M. Piscatory en tira, d'ailleurs, une conclusion qui parut être goûtée par la Chambre; la nécessité et la convenance,

pour les colonies, d'être représentées par des députés constitutionnels et légaux. Les liens pécuniaires qui attachaient le préopinant à la Guadeloupe, rendaient sa position fausse, son mandat impératif enchaînait son indépendance et enlevait actuellement à ses paroles toute leur autorité.

M. Isambert développa cette pensée et défendit la version qui avait été donnée du procès.

Il révéla en même temps, à la Chambre, un fait qui produisit une impression profonde; un vénérable ecclésiastique, curé de Fort-Royal, avait tenu, devant des enfants et au moment de leur première communion, de ces paroles sublimes que la religion sait inspirer, exhortations pieuses qui ne respiraient que la charité et la paix (1); néanmoins, ces paroles, dénoncées par le conseil colonial comme séditieuses et perturbatrices, avaient provoqué l'expulsion de la colonie, du prêtre qui les avaient prononcées.

L'ancien et désintéressé représentant de la Guadeloupe,

(1) Voici le discours du curé de Fort-Royal:

« Si des lois civiles, lois que je ne prétends pas ici qualifier, refusent à l'esclave des droits, Dieu lui en donne, la religion lui en suppose, le sentiment naturel les proclame. Enfants, écoutez la religion, et ayez pour tous, même pour le faible surtout, une charité sans bornes.

»Ne le battez pas; l'homme n'est pas sorti du sein d'Ève pour être fouetté, le moindre de vos coups ferait souffrir une âme immortelle, et je vous le déclare, Dieu vous le rendrait.

»Ne le laissez pas nu. N'a-t-il jamais travaillé, cet homme, pour que son aspect blesse partout la pudeur. (Vive sensation.)

»Ne le chargez pas du carcan ni des fers; là où l'on porte des chaînes, le riche s'asservit ainsi que le pauvre; car si l'inférieur porte au pied sa chaîne, le supérieur est forcé de la porter du poing; et de là, gêne commune; de là, violence, et par conséquent malheur universel.

» Instruisez l'esclave; laissez-le venir facilement à l'église pour y ap prendre à vous aimer, à vous aider, à vous soutenir. De quel droit lui refuse-t-on l'instruction religieuse? Est-ce Dieu qui l'a vendu ?

» Ne les méprisez pas; non, ne les méprisez pas; car, dites, à quoi a-t-il tenu que vous ne soyez nés à leur place et qu'ils ne soient nés à la vôtre? 'Sensation générale dans toute l'assemblée.) »

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