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DEUXIÈME PARTIE.

HISTOIRE ÉTRANGÈRE.

CHAPITRE PREMIER.

BELGIQUE. - État des choses. - Lutte entre le parti libéral et le parti catholique. Conflit entre les deux Chambres. 'Adresse du sénat pour demander la modification du ministère. - Crise ministérielle. Manifestation en faveur du cabinet. - Nomination d'un ministère de coalition. -Programme politique. - Élections partielles. - Projet d'association douanière avec la France. Négociations sans résultat. Conspiration orangiste découverte et déjouée.-Ouverture des Chambres. Discours du roi. Travaux législatifs. - Interpellations.

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HOLLANDE. Politique libérale du nouveau roi. Négociations avec la cour de Rome. Mécontentement des protestants. - Plan de réforme financière élaborée par M. de Rochussen. Réformes administratives. Mise en vigueur du traité de commerce conclu avec la France. - Voyage de S. A. R. le prince de Joinville. Voyage du roi dans le Limbourg et le Luxembourg.--Adresse des habitants. Voeux.- Réponse favorable. -Non ratification du traité d'alliance commerciale entre le Luxembourg et l'Union douanière. - Démission du ministre des affaires étrangères.Travaux législatifs. - Adoption des plans de M. de Rochussen. Rejet de la loi sur la Chambre des comptes. Commission du gouvernement. -Clôture de la session. Ouverture de la session nouvelle. Discours du roi. Adresse. Octroi d'une charte constitutionnelle au grandduché de Luxembourg. Note adressée au corps diplomatique. - Suppression des droits différentiels précédemment accordés à la Prusse. Budget.

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BELGIQUE.

Depuis la chute du ministère de Theux, une sorte de suspension d'hostilités parlementaires avait eu lieuentre les libé

raux et les catholiques; cette trève ne fut pas de longue durée: entre ces deux partis, un accommodement définitif n'était pas possible. Le clergé qui s'était fait payer en droits politiques nouveaux et en influence le concours qu'il avait prêté à la révolution, se préparait à poursuivre ses avantages. Mais les libéraux, longtemps contenus par la crainte d'amener une scission qui eût pu mettre en péril le nouvel ordre de choses, voyant que la Belgique avait enfin acquis une existence régulière, étaient fermement résolus à ne pas tolérer davantage les envahissements de leurs adversaires. Dans le courant de février, une proposition présentée par deux membres de la Chambre des représentants, et tendant à ériger l'université catholique de Louvain en personne civile, c'est-à-dire à lui accorder le droit de posséder, ce qui revenait à rétablir la main-morte, souleva une vive opposition dans les rangs des libéraux et sur le banc des ministres. Le 2 mars, après cinq jours de débats orageux et personnels, la Chambre vota sur cette importante question: 91 membres étaient présents: 39 votèrent pour la proposition, et 49 contre. Mais le parti catholique fut plus heureux dans le sénat. Une motion y fut faite pour la formation du comité secret: c'était forcer les ministres à quitter la salle des séances. Il fut alors donné lecture d'un projet d'adresse au roi pour prier S. M. de modifier le cabinet et de faire. cesser par là les divisions politiques qui affligeaient le pays. (17 mars.) Le lendemain, la discussion s'ouvrit sur la prise en considération du projet d'adresse. Le ministre de la justice et celui des travaux publics prononcèrent, pour la faire repousser, quelques paroles pleines de convenance et de modération; malgré leurs efforts, la prise en considération fut prononcée à la majorité de 23 voix contre 19, et l'adresse adoptée à la même majorité. Une députation alla ensuite présenter l'adresse au roi qui la reçut avec bienveillance et promit de l'examiner avec attention.

Cette démarche du sénat mettait les deux Chambres en

état de scission ouverte, et plaçait la royauté en présence d'une alternative embarrassante: la dissolution du parlement ou le renvoi du ministère. La question était de savoir si les libéraux feraient les élections, ou si elles seraient dirigées par le clergé ligué avec l'aristocratie. Le roi n'avait pas encore eu à prendre une résolution plus décisive; jusqu'alors il n'avait eu à se prononcer que contre les orangistes; à l'égard des deux autres partis, il avait toujours procédé par transaction; mais au point où les choses en étaient venues, il fallait opter pour l'un ou pour l'autre. Léopold pensa d'abord à gagner du temps.

Le vote du sénat avait causé une vive irritation parmi les partisans du progrès. Dans un grand nombre de localités, l'opinion publique se prononçait en faveur du ministère. Le conseil municipal de Liége vota une adresse au roi pour le maintien du cabinet. Cet exemple fut suivi par plusieurs autres villes. La classe moyenne, une partie de la noblesse et la presse montraient des dispositions favorables à l'administration. L'organe le plus accrédité du parti libéral s'exprimait à l'égard de la Chambre-haute avec une vivacité insultante. Les catholiques, de leur côté, tonnaient en chaire contre le ministère. Un prédicateur de l'Ordre des Jésuites prononça un sermon plein d'allusions aux circonstances, aux tendances du pouvoir et aux derniers actes de la représentation nationale. Les préoccupations politiques absorbant toute l'attention des membres du parlement, ils crurent devoir interrompre le cours de leurs travaux et attendre pour les reprendre que la position du pouvoir fût fixée. Une telle situation ne pouvait se prolongersans péril pourla tranquillité publique et sans un grave préjudice pour les intérêts du pays.

La crise se prolongeait depuis plus d'un mois au milieu des intrigues les plus diverses, lorsqu'après bien des hésitations, le roi s'arrêta à un expédient transitoire. Les Chambres belges se renouvelant partiellement, cinq provinces sur neuf devaient, au mois de juin, élire de nouveaux députés : 46

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sur 95. Le roi résolut de puiser dans cette dissolution partielle le moyen de sortir d'embarras; cela le dispensait, en effet, de trancher personnellement entre les deux partis. Cette tactique une fois conçue, le ministère présenta et fit accepter sa démission. Après quelques tentatives infructueuses, un cabinet de coalition fut définitivement constitué, Voici quelle en fut la composition: Affaires étrangères, M. Mulenaëre; intérieur, M. Nothomb; finances, M. Briey; travaux publics, M. Desmaizières; guerre, M. Buzen; justice, M. Van Volxen. Parmi ces noms, les plus connus étaient ceux de MM. Mulenaëre et Nothomb; le premier appartenait au parti catholique, le second représentait une opinion mixte et modérée. Le journal officiel, en publiant les ordonnances de nomination, annoncait en même temps la clôture de la session (14, 15 avril).

La crise passa alors du parlement dans la nation. La nouvelle administration fut désavouée par les libéraux, sans être agréée par les catholiques. Son avènement donna lieu à une polémique irritante, et le mécontentement se produisit avec tant de vivacité, que l'autorité jugea prudent de prendre des mesures militaires, pour assurer le maintien de la tranquillité publique.

Cependant, le ministère faisait tout ce qui était en son pouvoir pour calmer l'effervescence excitée par son arrivée aux affaires; il s'annonça lui-même comme un ministère de conciliation. Dans une longue circulaire qu'il adressait aux gouverneurs des provinces et qui pouvait être considérée comme son programme, il déclarait que son intention était de chercher son appui dans les opinions intermédiaires, et il exprimait l'espoir de réunir les hommes modérés des divers partis. Après un exposé de la situation, il s'efforçait d'établir que son avènement, combiné avec les élections partielles, était le meilleur moyen de rétablir l'harmonie entre les pouvoirs. Les théories constitutionnelles dont il êtayait cette opinion méritent d'étre rapportées : « L'appel

aux électeurs ne devait avoir pour objet, disait-il, qu'une question spéciale, positive, susceptible d'une véritable solution, et non une question vague de parti, de classification. politique, destinée à être, noi pas résolue, mais éternisée par l'effet même de la lutte. » Pour réaliser la réconciliation des partis, le cabinet recommandait à ses agents d'employer toute leur influence à tourner l'attention et l'activité des esprits vers les intérêts matériels et positifs, à substituer aux questions politiques et religieuses les questions d'affaires.

Cette tactique eut peu de succès. Dans les deux camps onse prépara avec ardeur à la lutte électorale. Elle eut lieu le 8 8 juin et fut presque aussi vive et passionnée qu'elle l'avait été en 1830. Les catholiques semblaient devoir l'emporter, grâce à cette disposition de la loi qui accorde des droits politiques aux prêtres et qui crée un cens inférieur pour les électeurs de campagne; il n'en fut rien cependant: tous les membres importants des deux partis furent réélus. Ce résultat était pour le nouveau ministère un grave échec, puisque la majorité favorable au cabinet précédent n'avait pu être entamée et se représentait encouragée dans sa résistance, par l'assentiment du pays.

Telle était la situation respective du gouvernement et des partis, lorsque le projet d'une association douanière entre la Belgique et la France vint à son tour occuper l'attention publique.

La Révolution de 1830 avait enlevé à la Belgique la moitié des consommateurs directs de ses produits, et son activité industrielle, qui s'était encore accrue, manquait d'espace dans la position que lui avait faite la conférence de Londres; sans sortir du malaise qu'elle éprouvait et qu'elle-même, il faut bien le dire, avait fait naître, il lui fallait absolument trouver de nouveaux débouchés. Pénétré de cette nécessité, le gouvernement belge avait, dès le mois de juin 1840, posé, de concert avec le cabinet des Tuileries, les bases d'une as

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