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les relations des deux cours. La sévérité croissante de la censure qui ne permet aux prêtres catholiques de prononcer publiquement que les discours autorisés par elle; l'injonction intimée au clergé d'accorder le sacrement du mariage aux individus dont le divorce a été simplement prononcé par le synode grec; la transmutation des biens ecclésiastiques en domaines nationaux (ukase du 25 décembre); tous ces faits accomplis, pendant qu'un chargé d'affaires négociait à Rome pour arranger ce différend et que le Saint-Père attendait une réponse à ses propositions (voy. l'article Rome), ont produit, en Pologne et à Rome, une impression douloureuse et bien différente de celle qui a été causée par d'autres dispositions du roi de Prusse envers ses sujets polonais.

En un mot, la politique russe a été heureuse et habile à l'extérieur; elle a continué de marcher dans ses voies de conquêtes; mais, à l'intérieur, elle n'a point donné plus de force au gouvernement, elle n'a point fait faire un pas vers cette unité dont l'absence fait sa faiblesse, et elle a irrité des passions religieuses qui tiennent de trop près aux passions politiques pour qu'il ne lui importât point d'user envers elles de tolérance et de ménagements.

CHAPITRE IV.

TURQUIE.—ÉGYPTE.-Considérations générales. -Situation.-Le pacha d'Égyple. Dispositions du divan.-Premières conditions qu'il impose à Méhémet-Ali.-Hatti-Chériff du 13 février.—Autres hatti-chériffs relatifs à l'administration.- Retour de la flotte turque dans le Bosphore.- Le Sultan la visite.-Changement de ministère.-Déclaration de principes de la nouvelle administration. -Refus des puissances d'approuver le hatticheriff du mois de février. - Modification. - Hatti-chériff du 1er juin. — Traité du 13 juillet. - Dispositions qu'il consacre. - État des provinces. La Syrie. Ses dispositions hostiles. - Lutte entre les Druses et les Maronites.-Conduite de la Porte. Révolles sur différents points en Thessalic, en Macédoine, dans l'ile de Crète. Comment elles sont comprimées-Attitude des puissances occidentales.Les principautés : Moldavie, Valachie, Servie.-Conclusion. GRÈCE.-État des partis.-Changement de ministère.-Politique du cabinet. -Circulaire adressée aux gouverneurs des provinces.-Nouveau ministère. Dépêche aux grandes puissances relative à la situation.Fondation d'une banque nationale.-État moral du royaume.

TURQUIE-ÉGYPTE.

La question égyptienne étant terminée de fait, nous ne suivrons pas les mouvements de retraite d'Ibrahim-Pacha ou de son lieutenant Soliman; nous n'essaierons plus de rechercher comment avec une armée assez considérable, car à cette époque elle présentait encore un effectif de près de 60,000 hommes, comment, disons-nous, la résistance du vainqueur de Nézib et de Konieh, s'était si tôt lassée peut-être suffira-t-il de remarquer que c'était encore le triomphe de la discipline occidentale sur l'organisation armée de l'Orient, encore à son berceau. Quoi qu'il en soit, le destin, auquel Méhémet-Ali s'en était tant de fois Ann. hist. 33 pour

1841.

rapporté de l'issue des évènements, le destin venait de se prononcer contre lui. Et celui qui, plein de foi en cette faveur du sort, disait un jour « qu'il n'avait jamais retiré son pied de là où il l'avait une fois posé, » était contraint maintenant d'attendre du bon plaisir et de la volonté des cinq puissances et du sultan, qu'ils voulussent bien fixer avec quelque modération, s'il était possible, la part qu'il leur conviendrait de lui laisser dans l'œuvre qu'il avait si laborieusement édifié! singulier et triste contraste des choses de ce monde! Mais pour l'homme politique c'était un fait immense que celui qui venait d'être accompli. L'Orient ne décidait plus du sort de l'Orient ;-ce n'était plus qu'un pupille dont l'Occident était le tuteur. Quelque temps néan moins le sultan essaiera à lui seul de retirer,-pour sa suzeraineté, le plus d'avantages qu'il se pourra des évènements qui viennent de se passer. Il dira (janvier) « que le pacha d'Égypte, s'étant empressé de se soumettre aux ordres de son maître, sa hautesse a généreusement consenti à oublier le passé et à pardonner au pacha, à ses enfants et serviteurs ; qu'elle a jugé en outre convenable d'accorder à Méhémet-Ali le gouvernement héréditaire de l'Égypte; mais que cette faveur devant naturellement être accompagnée de certaines conditions et les habitants de l'Égypte étant au nombre des sujets de sa hautesse et devant obtenir sécurité et protection, sa hautesse avait décidé que certaines règles d'administration et de justice seraient établies en faveur de ses sujets égyptiens.....

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Un commissaire du divan alla porter à Alexandrie le firman règlementaire de ces conditions. Quelles pouvaient-elles, quelles devaient-elles être? On se rappelle que l'arrangement conclu à la fin de l'année (v. Annuaire 1840), entre le vice-roi et le commodore Napier, n'avait pas été ratifié par l'amiral Stopford. Aux termes de cet arrangement, Méhémet-Ali devait restituer la flotte que la défection du capitan-pacha lui avait livrée ; il devait renoncer à la possession de la Syrie, de

l'île de Candie et des villes saintes; garder à titre héréditaire l'Égypte et payer un tribut. Quoique non acceptée par l'amiral, la convention dont nous venons de rappeler la substance, fournit cependant les bases du règlement ultérieur de la position respective du suzerain et de son vassal. Seulement le sultan essaiera d'y ajouter des dispositions accessoires et complémentaires qui, si elles devaient être admises par la diplomatie européenne, eussent anéanti de fait le reste d'une puissance dont l'intérêtde la paix de l'Europe commandait cependant le maintien, au moins apparent. Le hatti-cheriff en date du 21 zilhidjé 1256 (13 février 1841), après le préambule ordinaire conçu dans l'emphase orientale, portait que Méhémet était confirmé dans le gouvernement de l'Égypte, d'après les limites tracées sur la carte envoyée par le grand-visir; qu'il aurait en outre l'hérédité sous les conditions suivantes: 1° que lorsque le gouvernement serait devenu vacant, il serait confié à celui des enfants mâles que choisirait le sultan, et ainsi de suite pour les successions à venir;-que celui des fils qui serait l'objet du choix irait recevoir à Constantinople l'investiture;-que la prérogative de l'hérédité ne donnerait au gouverneur de l'Égypte aucun rang ou titre supérieur à celui des autres vizirs, ni aucun droit de préséance; que les dispositions du hatti-chériff de Gulhane seraient exécutoires en Égypte comme dans tout le reste de l'empire et les impôts perçus de même; -que pendant cinq années à partir du jour du firman, le quart de ces impôts et en particulier des droits de douane, dîmes et autres, seraient prélevés à titre de tribut au profit de la Sublime-Porte; sauf après les cinq ans, à établir un nouveau mode de tribut;— que les monnaies d'Égypte auraient la forme et le module de celles de Constantinople;-quant au service militaire, que l'effectif des troupes égyptiennes serait de 18,000 hommes en temps de paix,-et que la nomination des officiers de terre et de mer, jusqu'au grade de lieutenant inclusivement, appartiendrait au gouverneur d'Égypte ;- celle

des officiers supérieurs, au contraire, dépendrait de la volonté impériale. Enfin, que le gouverneur de la province d'Égypte ne pourrait construire des bâtiments de guerre sans l'expresse permission du sultan.

Cette pièce était remarquable à plus d'un titre : elle portait d'abord l'empreinte des idées européennes de Reschid-Pacha, ministre alors encore influent;-en second lieu, elle dénotait que la pensée de l'Angleterre dominait dans les conseils de la Porte. Venait maintenant la question de savoir s'il pouvait convenir aux autres puissances, à la Russie d'abord, de laisser ainsi se poser un empire dont elle attend le dernier souffle; à l'Autriche, de laisser s'anéantir la balance que l'Égypte tenait suspendue entre les deux prétendants à la succession des Osmanlis.-Non il n'en pouvait être ainsi. -De même qu'à une autre époque (20 novembre 1839), M. de Metternich avait reculé devant son œuvre alors qu'il avait fait proposer aux ambassadeurs des puissances à Vienne, de signifier à l'Égypte et à la Turquie, qu'aucune puissance ne s'opposait à leur arrangement direct; de même y avait-il lieu de croire qu'il ferait, de concert avec la Russie mûe par son intérêt à elle, modifier le hatti-chériff du mois de février. Les conditions en étaient en effet onéreuses, presque illusoires; l'hérédité au prix du choix arbitraire du sultan, c'était la guerre civile organisée;-et les guerres civiles d'Orient sont, on le sait, le renversement périodique ou continu, le flux et le reflux des dynasties; la limitation du droit de nomination des officiers jusqu'au grade de lieutenant, ne faisait guère du vice-roi qu'un officier supérieur commandant au nom du sultan. C'eût été méconnaître, presque brutalement, les services qu'il avait rendus à diverses époques à l'empire; s'il avait essayé de se rendre indépendant, du moins avait-il prêté plus d'une fois l'appui de son bras à son maître, notamment durant les guerres de l'insurrection grecque. La diplomatie tempèrera donc les prescriptions exagérées du divan; mais, avant de placer ces tempéra

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