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féroces Arnautes, et bientôt ce n'est là qu'une vaste scène de carnage. Les villes et les villages nagent dans le sang.... La Porte, enfin prévenue, cède aux représentations qui lui sont adressées de l'Occident, et Jacoub-Pacha vient remplacer Mustapha, et calmer pour un temps ces provinces, que l'on prétend au reste, non sans vraisemblance, avoir cédé à des excitations venues de la Servie (1).

Mais où l'explosion fut surtout menaçante, ce fut dans l'ile de Crète (mars-juin); aux Grecs du dedans se joignirent les Grecs du dehors; ici encore le sang coula. MustaphaPacha marcha contre les insurgés; ceux-ci se défendirent quelque temps, organisèrent leur gouvernement provisoire et s'adressèrent aux consuls des quatre puissances et de la Grèce. Mais il est dans la politique européenne de ce tempsci de s'opposer au renversement de ce qui est, sauf à accepter plus tard, suivant les intérêts divers, les faits accomplis; c'est en un mot la politique de M. Metternich, à laquelle se rangent prudemment les autres cabinets. Et il faut convenir qu'ici la position des puissances était difficile. Encourager la révolte, c'eût été amener immédiatement une crise que tous les efforts de la diplomatie essaient depuis tant d'années de reculer. L'affaire égyptienne en est la preuve évidente. Elles ne peuvent intervenir que pour faire adoucir la situation des populations qui s'agitent et frémissent.... Les consuls répondirent donc à l'appel qui leur était fait, que, loin d'approuver leur levée de boucliers, ils sommaient les révoltés de rentrer dans le devoir.... Ainsi abandonnés à eux-mêmes, ceux-ci durent enfin succomber, bien que soutenus par les sympathies et même par quelques forces effectives venues de leurs nombreux amis de l'étranger.

Moustapha et Tahir-Pacha (ce dernier avait été envoyé dans l'origine contre les révoltés) purent consommer leur

(1) Et quand on dit la Servie, ne fait-on pas entendre la puissance qui marche à la tête des races slaves?

victoire. Les puissances s'entremirent alors pour adoucir la férocité des vainqueurs. Elles réussirent en partie. Mais les mœurs des Osmanlis ne sont pas tellement changées, que d'atroces vengeances ne purent avoir lieu. Tel village vit ses habitants passés au fil de l'épée. C'est ainsi que l'ordre régna derechef dans ces pays.... Et tels sont au moment présent les rapports qui lient les deux races, qui tiennent enchaînée une population de 7 millions de chrétiens à 25 millions de Turcs.... Croire que des races si antipathiques se puissent jamais fondre spontanément sous les mêmes lois, les mêmes mœurs, c'est croire, ainsi que paraît le faire le ministère ottoman, à une chimère. Il y a entre ces provinces diverses une séparation de fait, qui se convertira bientôt, quoique l'on fasse, en séparation de droit. L'Occident le sait et s'y prépare. Chacun se fait sa part, et déjà les Chrétiens des différentes communions essaient de prendre en même temps racine sur le sol. A la fin de cette année, l'Angleterre, à elle jointe la Prusse, négociait avec le divan pour l'érection d'un évêché protestant à Jérusalem. Le divan résistait encore, mais il n'a rien à refuser aux puissances qui le protègent.... Cette poursuite d'un intérêt uniquement de religion ne les empêche cependant pas de rechercher des avantages d'une autre nature. La Prusse conclut en effet avec la Porte un traité de commerce dont le but devait être, comme celui de 1838 avec l'Angleterre, la suppression de monopoles ruineux, et de droits intérieurs exorbitants, pour y substituer des droits fixes à l'importation et à l'exportation. D'autre part, le commerce anglais faisait à MéhémetAli des représentations multipliées au sujet des droits exclusifs qu'il s'arroge; à la fin de l'année, le pacha promettait, c'est-à-dire qu'il éludait encore.

Les principautés soi-disant indépendantes, mais qui dépendent en réalité des deux puissances qui les convoitent, la Moldavie, la Valachie et la Servie, ne présentent guère de faits à recueillir par l'histoire. Le prince valaque ouvrit

la session des États en annonçant de nombreuses améliorations intérieures dans l'instruction publique, la justice... Mais ce qui se passe au moment même où nous écrivons, et le mécontentement des États donnent lieu de croire que l'administration est loin de réaliser tout le bien qu'elle annonce.

La Servie est encore en proie aux ambitions qui se la disputent. Entre le peuple et les deux puissances suzeraines, se place un parti intermédiaire, plus envahissant que tous les autres, le parti des Boyards, qui aspire à gouverner féodalement cette principauté. C'est à ce parti qu'il faut attribuer les révolutions qui depuis si longtemps tourmentent ce pays; c'est ce parti qui a renversé Milosch, un homme sorti du peuple, et qui a voulu gouverner pour le peuple. Maintenant qu'ils ont réussi à livrer la domination à un autre, par lequel ils espèrent exercer eux-mêmes le pouvoir, les Boyards se tiendront-ils pour satisfaits? C'est ce qui est douteux, et l'avenir nous dira si le prince Michel est plus solidement assis sur le trône de la principauté que son père Milosch.

GRÈCE.

Le parti bavarois était vaincu sur tous les points; la faction russe, si gravement compromise dans la dernière conspiration, chancelait elle-même sous le poids de son impopularité. De son côté, le parti anglais faisait effort pour arriver au pouvoir, s'attachant à démontrer que le gouvernement suivait une voie immorale, censurant le commerce des esclaves, le système encore en usage d'empoisonner les brigands, la corruption dans les élections, enfin la négligence du roi à exécuter les grands travaux d'utilité publique et les voies de communication si indispensables au pays. Il demandait en outre une plus grande liberté dans les élections provinciales, la réalité de la présidence dans le conseil des ministres, et le départ des dernières

troupes bavaroises. Le parti français avait à peu près les mêmes opinions sur ces matières, mais il voulait marcher avec plus de précaution dans la voie des réformes ; il ne pensait pas que les mœurs politiques du pays comportassent des institutions beaucoup plus libérales que les institutions actuelles ; il approuvait toutes les tentatives nouvelles qui seraient faites pour donner plus de développement à l'industrie, pour assurer le crédit, organiser un système de circulation, et créer une garde nationale remplaçant le service des Bavarois; mais il ne croyait pas à l'opportunité de modifier la constitution.

Pendant que l'on se disputait ainsi d'avance les dépouilles du ministère actuel, le roi rappelait de Londres, pour former un nouveau cabinet, M. Mavrocordato, l'homme le plus éminent du parti anglais; cette détermination parut satisfaire beaucoup d'esprits en Grèce et même en Europe, où généralement M. Mavrocordato est regardé comme l'un des hommes les plus remarquables de l'Hellénic. Il eut pour collègues MM. Valetta, Mélas, Metaxa, etc.

C'était le premier ministère qui ne comptât point d'étrangers dans son sein. Toutefois, sitôt que cette administration fut installée (6 juillet), le roi se hâta de faire déclarer par son journal officiel que rien ne serait changé au système suivi jusqu'alors avec bonheur, en sorte que le ministère se sentit en naissant frappé d'impuissance. Pourtant M. Mavrocordato, sans avoir beaucoup de confiance dans la durée de son administration, essaya de laisser quelques traces de son passage au pouvoir. Il exigea le départ des Bavarois, et exerça réellement la présidence du conseil. En même temps, il adressa une circulaire à tous les gouverneurs et sous-gouverneurs du royaume, document officiel dans lequel il exposait sa politique et leurs devoirs. Du reste les matières contenues dans cette circulaire se rapportaient spécialement et presque exclusivement aux élections communales.

«L'impartialité doit servir de base à tous vos actes administratifs, disait le ministre; l'homme du gouvernement ne saurait être l'homme d'un parti. Il doit se rappeler constamment que sa mission est de protéger tous les citoyens, qui doivent être égaux à ses yeux. Le gouvernement de S. M. respecte les opinions et les sympathies individuelles, il respecte la conscience des citoyens. Les actes illégaux doivent être punis partout,quel que soit le rang du coupable; mais pour mieux atteindre ce but, il faut que vous donniez le premier exemple de l'obéissance aux lois qui protègent les personnes et la propriété, et que le gouvernement de S. M. ne laissera attaquer sous aucun prétexte.» M. Mavrocordato déclara encore qu'il avait particulièrement à cœur de protéger l'action libre des institutions qui appellent le citoyen à participer à l'administration publique. Dans le cas où l'intervention des gouverneurs pour l'exécution de ces lois devenait nécessaire, elle devait être pacifique et conciliatrice. Soit qu'il s'agit de l'élection des autorités communales ou provinciales, ou de l'exercice d'un contrôle après l'intervention de ces autorités, il convenait aux gouverneurs de se renfermer dans la loi, et de n'exercer aucune influence sur les élections; car le gouvernement est profondément intéressé à ce que les élections soient l'expression sincère et non équivoque de l'opinion des électeurs. «Rappelez-vous, continuait le ministre, que la prospérité de l'État dépend d'une bonne administration communale et provinciale. En conséquence, employez votre autorité légale à introduire l'ordre dans l'administration municipale. Prêtez votre secours toutes les fois que la loi l'exigera, et assurez ainsi le développement intellectuel et moral de l'état. Déployez surtout la plus grande sévérité contre ceux qui, abusant de la confiance de leurs concitoyens et du gouvernement, se servent de leur autorité pour leurs intérêts particuliers, et corrompent au détriment du peuple les lois faites dans son intérêt. Exercez aussi une surveillance sevère sur tous les employés placés sous vos ordres,

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