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les Deux-Siciles et le cabinet des Tuileries. Si, d'ailleurs, . les regrets de famille, conjointement avec les principes politiques avaient pu être pour quelque chose dans la réserve dont le gouvernement napolitain avait primitivement usé vis-à-vis de la France de juillet, ces regrets devaient trouver une compensation dans une autre affection de famille non moins légitime, pour une princesse qui touche au trône de France. Puis les instincts de la partie vitale de la nation, de la noblesse comme de la bourgeoisie, avaient en quelque sorte indiqué cette marche au gouvernement et lui savent gré de l'avoir suivie. Aussi bien, ne fait-il aucun effort pour réprimer ces sympathies, et les commencements si sages du règne actuel ont donné et laissé prendre à l'esprit napolitain une allure indépendante et philosophique à laquelle il n'était point accoutumé et qui jusqu'à un certain point forme un contraste remarquable avec l'esprit public des autres États de la Péninsule. Aussi les germes de révolution jetés naguère sur ce sol brûlant semblent-ils, non pas étouffés, mais incapables en ce moment de porter des fruits. L'opposition qui ne craint plus autant le grand jour, n'a plus le même goût pour les sociétés secrètes; espérant que le pouvoir fera droit avec le temps à quelques-uns de ses griefs, elle cesse de conspirer.

Pourtant l'année qui nous occupe a failli être marquée par une de ces révoltes autrefois si fréquentes; mais ce fait même prouve l'imprudence de cette portion des populations napolitaines qui ne croit pas pouvoir obtenir autrement que par la force les réformes qu'elle demande. Ces troubles qui éclatèrent à Aquila, immédiatement étouffés, n'eurent d'ailleurs aucun retentisse ¡ment en Europe. On nia même d'abord qu'ils eussent aucune portée politique. Les seuls reproches que le parti modéré se permette contre le gouvernement, portent sur l'étendue des charges publiques et sur leur répartition qui laisse égale ment beaucoup à désirer; sur le grand développement de l'armée de terre qui absorbe des

revenus dont l'emploi serait plus utile au pays s'il était appliqué à la marine; enfin sur l'état pénible, au point de vue matériel comme au point de vue politique, de la Sicile : toutes questions importantes auxquelles l'avenir peut donner une solution heureuse et pacifique.

CHAPITRE VI.

ESPAGNE.-État des choses et des esprits depuis les évènements de septembre. Conduite du gouvernement central. - Résistances locales. Élections municipales. Mesures d'utilité publique. L'agriculture.

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Les haras. La marine. Les finances. Contributions extraordinaires. Affaire du Douro. - Démêlés avec la cour de Rome. Conclusions.

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L'histoire de la Péninsule offre une preuve bien remarquable de la marche irrésistible des idées de liberté et de civilisation. Quelques mois à peine se sont écoulés depuis le grand évènement de septembre 1840, et déjà l'ordre sinon le calme, renaît; l'ère constitutionnelle du pays rentre dans les phases qu'elle doit parcourir, non, il est vrai, sans protestation, sans résistance, mais victorieusement et avec persévérance. Si, par exemple, les provinces naguère dissidentes témoignent leurs regrets ou leur mauvais vouloir, soit en refusant, comme le firent Bilbao, Guipuscoa (avril), de conférer avec l'autorité centrale pour une plus exacte définition de leurs droits respectifs; si elles poussent plus loin cette espèce de révolte en ne laissant pas s'installer le corrégidor représentant de l'administration, celle-ci vient cependant bientôt à bout de ces mutineries locales, grâce à cette force inhérente à tout pouvoir établi; si, d'autre part, les partisans de l'ex-régente manifestent tout haut leurs sympathies, s'ils publient avec affectation la réponse de Christine (30 nov. 1840), de son côté, la régence ne craint plus de remercier publiquement, comme le fit à une revue (23 jan

vier) le duc de la Victoire, les auteurs de la dernière révolution. On vit en effet alors le général Espartero, après avoir commandé le silence, s'avancer vers la compagnie du 2 bataillon de la milice nationale, qui, le 2 septembre, avait fait feu sur le capitaine-général de Madrid, pour féliciter ce corps d'avoir donné ce jour-là une preuve de son civisme. « Vive la seconde compagnie de chasseurs!» s'écria le régent. Il suffit d'un trait de cette nature pour peindre les hommes et les temps!

Puis on adoptait, fort légitimement d'ailleurs, contre un autre ennemi, dont les forces pouvaient encore être vivaces, des mesures, rigoureuses sans doute, mais encore nécessaires. La réapparition de quelques bandes de Carlistes sur plusieurs points de la Catalogne, donna lieu au gouvernement de remettre en vigueur les dispositions d'un bando du duc de la Victoire, en date à Mauresa, du mois de juillet dernier, aux termes duquel il était enjoint aux généraux de division de faire fusiller, après un jugement militaire, les voleurs ou factieux pris les armes à la main; les magistrats qui ne donneraient pas avis de l'apparition de ces dangereux ennemis seraient décimés, les uns fusillés, les autres condamnés aux présides ou à payer une amende de 20,000 réaux et au-delà. Cependant les Carlistes qui rentraient dans le devoir continuaient à jouir du bénéfice de la dernière amnistie, et même étaient assez bien accueillis par leurs compatriotes. Dans l'intervalle, l'autorité centrale accomplissait sérieusement ses fonctions; à tous les degrés de la hiérarchie le régime légal s'asséyait avec assez de solennité.

<< Habitants de Madrid, disait le premier alcade constitutionnel (Juan Lasanna, 1er janvier 1841), les conseillers municipaux que vous avez élus librement et exclusivement, en exerçant le droit que la constitution vous confère et dont on avait tenté de vous dépouiller, viennent de prendre possession de leurs charges. Vos conseillers, s'identifiant avec les

désirs et les sentiments de la commune à laquelle ils appartiennent, prouveront... » etc. Venaient ensuite les protestations habituelles... Mais n'était-ce pas un curieux spectacle que celui de l'Espagne de Philippe II, de l'inquisition, entendant parler de liberté, d'élection et de municipalité ? Il est vrai que l'on trouvait parfois dans ce nouveau langage l'emphase naturelle à tout ce qui s'écarte de l'ancien état de choses, à tout ce qui s'appuie sur des principes devenus sacrés et aussi sur la bizarrerie du caractère national. A Vittoria, la municipalité nouvellement élue prêta serment dans l'église de San Miguel sur la place appelée el Machete Vittoriano. L'aspect de cette place a quelque chose d'effrayant : A droite, la municipalité; à gauche, la prison; dans une niche est placé l'énorme glaive appelé el Machete Vittoriano...; plus loin on aperçoit la maison de l'homme que ses tristes fonctions appellent à manier le fatal instrument. C'est devant ces témoins de la justice locale que les représentants de la cité furent invités à jurer, de fidèlement remplir les devoirs qui leur étaient imposés.

« Vous jurez, disait la formule, devant Dieu, notre Seigneur, et la Vierge Marie, sa mère, par les saints Évangiles et le Machete Vittoriano, que vous avez touché de la main, qu'en qualité de procureur-général de cette ville et de sa juridiction, vous défendrez bien et fidèlement tous les droits, franchises, exemptions et libertés qui appartiennent à cette cité.

« Si vous ne le faites point, que Dieu vous en demande compte, et que vous ayez la tête coupée avec un glaive de fer et d'acier, tel que le Machete Vittoriano.... »

Un peuple chez lequel se rencontrent encore de telles habitudes locales, est-il bien mûr pour les abstractions constitutionnelles et le despotisme de la centralisation? Non, sans doute,du moins par les mœurs; mais celles-ci, l'histoire nous l'apprend, peuvent être à la fin modifiées par les lois.

La régence provisoire arrêta, au commencement de l'an

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