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pour se traîner languissante, incertaine à la surface des. choses, était définitivement épuisée. La Chambre prononça la clôture et vota l'article 1er.

M. de Saint-Albin proposa, à titre d'article, un amendement qui, après l'épuisement des fonds secrets et la consommation des opérations qui motivent ces dépenses, eût imposé à l'administration l'obligation de présenter au conseil des ministres le compte résultant de l'emploi de ce crédit, et de le communiquer annuellement à la commission. du budget des deux Chambres. Mais cet amendement, appuyé par la gauche, fut rejeté, et le projet de loi fut ensuite voté par 235 membres contre 145 (27 février).

La Chambre des pairs ne consacra qu'une séance à la discussion de cette loi.

Un long discours de M. de Boissy en occupa la plus grande partie. L'orateur y traitait plusieurs sujets de natures diverses. Quant à ce qui avait plus spécialement rapport aux fonds secrets, il trouvait un inconvénient à ce qu'on les discutât à part, et que l'on en fit ainsi une question politique de plus pour chaque année législative; il pensait que, puisque les particuliers paient bien des avocats pour défendre leurs intérêts, le gouvernement pouvait bien aussi, devait même avoir une presse avouée, payée, dirigée par lui. M. de Boissy demandait encore au ministère s'il ne jugerait pas convenable que les maréchaux de France fussent pairs; il reproduisait les opinions qu'il avait déjà émises à une autre époque (voir l'Annuaire de 1840), sur les avantages qu'il y aurait, suivant lui, à substituer au gouvernement général militaire de l'Algérie un gouverneur général civil, et ici trouve place une idée religieuse de l'orateur. Il demandait que des aumôniers fussent attachés aux colonnes expéditionnaires dans ce pays. Enfin, M. de Boissy appelait l'attention du ministre des finances sur le service des postes de France au Brésil par l'intervention de l'Angleterre. N'y aurait-il pas avantage à établir un service régulier de corres

pondance entre notre pays et cette partie importante de l'Amérique du Sud? Là se bornaient les observations de M. de Boissy sur la politique intérieure. Il passa ensuite à l'examen de la politique extérieure, et, à cette occasion, il démandait au ministre des affaires étrangères des explications sur le sens des paroles prononcées par un ministre anglais, et tendant à faire croire que le ministre des affaires étrangères de France ne dirigeait point notre politique, qui aurait eu alors une direction occulte. Du reste, cette politique devait s'éloigner de la politique anglaise et se rapprocher de celle du Nord et de l'Italie, et favoriser (c'était une idée fort excentrique et un peu tardivement exposée), favoriser, disons-nous, le rétablissement de la légitimité dans la Péninsule, en aidant à la restauration en Espagne de don Carlos, qu'il fallait, en attendant, laisser libre sur parole, et en travaillant, dès maintenant et avec persévérance, à soustraire le Portugal à la domination de l'Angleterre par la restauration de don Miguel. Enfin, il était important que le gouvernement sût profiter de la juste irritation de l'Amérique contre l'Angleterre.

M. le vicomte Villiers du Terrage appuya également le projet : il fallait, disait-il, se hâter de rendre au pouvoir une force que lui avaient fait perdre les derniers évènements; une force morale qui vaudra mieux pour lui, ajouta-t-il, que toutes les enceintes matérielles. La paix publique était menacée par des dangers que l'on ne pouvait méconnaître ; le gouvernement ne pouvait être armé de trop de moyens pour la défendre.

M. de Tascher ne croyait pas, lui, que l'on pût supprimer la discussion politique qui s'attache au vote des fonds secrets. L'usage, à cet égard, n'avait fait que créer pour les Chambres une simple faculté dont elles n'usaient que si elles le trouvaient convenable. Les opinions de l'orateur sur la nécessité de fortifier le pouvoir monarchique contre les envahissements incessants de la démocra

tie, ne différaient point de celles de l'honorable préopinant.

Un des hommes les plus éloquents de cette Chambre, parce que des convictions religieuses inspirent et élèvent sa pensée, M. de Montalembert, prit ensuite la parole. Il pensait également qu'il valait beaucoup mieux porter la question de confiance sur une loi comme celle des fonds secrets, où il ne s'agit que d'un million, que sur le budget, où il s'agit des intérêts généraux et de l'ensemble du gouvernement national. La question des fonds secrets est essentiellement une question de confiance. La politique extérieure était en ce moment l'objet spécial de l'attention de l'honorable membre; bien qu'à une autre époque, notamment dans la discussion de l'adresse (voir l'Annuaire de 1840), il se fût proclamé entièrement opposé au pacha d'Égypte, il était cependant très-éloigné d'approuver la rentrée, prochaine sans doute, de la France dans le concert européen, à moins que l'on n'obtint par ce moyen quelque grand résultat, ce qui ne paraissait pas probable, d'après les renseignements qui nous étaient parvenus à ce sujet de l'Angleterre. La position des populations chrétiennes de la Syrie offrait cependant à la France l'occasion de jouer un rôle à la fois grand, digne, original. Le ministère pouvait se rattacher aux derniers évènements sans être dominé par eux. M. de Montalembert rappelait que la France avait toujours été, par ses agents diplomatiques et consulaires, la protectrice naturelle et constante de ces populations elle l'était déjà à une époque où ce rôle était bien moins important, bien moins essentiel à sa grandeur qu'aujourd'hui; elle l'était à une époque où n'existait pas encore la puissance de la Russie. Depuis Louis XIV, qui n'a pas créé, mais qui a régularisé l'influence catholique de la France en Orient, la Russie, nouvellement élevée, n'a cessé d'exploiter les avantages qu'elle trouvait dans l'identité de sa religion avec celle des nombreuses populations grecques schismatiques de l'empire Ottoman. C'était là une raison nouvelle et impérieuse pour que la France ne négli

geât aucune occasion de consolider l'exercice de son pouvoir dans toutes les questions relatives à l'Orient. Cette réclamation de l'orateur était d'autant plus opportune que, dans la Chambre des lords, le chef du cabinet, lord Melbourne, interpellé à ce sujet, avait répondu qu'il s'occupait sérieusement d'assurer au gouvernement les moyens de protéger les populations chrétiennes de la Syrie. On disait même que, dans ce but, il avait envoyé comme agent en Syrie, un Anglais catholique, pour être plus sûr de recueillir les sympathies de ces populations. La Russie venait de faire plus encore: elle avait nommé un agent à Jérusalem, ou du moins elle avait fait donner un exequatur à son consul de Beyrouth, pour exercer ses fonctions à Jérusalem. C'était un nouveau moyen de troubler les catholiques syriens et autres dans la paisible fréquentation des lieux saints, qui leur sont disputés par les Grecs schismatiques et coreligionnaires de la Russie. La dernière partie du discours de l'honorable pair présentait moins d'intérêt : elle était consacrée à la défense du ministère du 1er mars.

M. Villemain, qui se chargea de la réponse, ne pouvait donner, sur les négociations en suspens, des explications que le ministre des affaires étrangères avait refusées à l'autre Chambre. Il déclara cependant que le sentiment qui avait toujours animé la France en faveur des populations chrétiennes d'Orient n'était pas mis en oubli dans cette circonstance; que ce sentiment était connu; qu'il y avait des exemples récents de l'impression qu'il produisait au dehors. D'ailleurs, le voyage et la présence actuelle à Paris du patriarche d'Antioche, montraient assez que cet intérêt de protection et de confraternité chrétienne qu'on invoquait n'était pas abandonnée par le gouvernement français.

Le ministre répondit ensuite à la seconde partie du discours de M. de Montalembert, et, après une réplique de ce dernier, la Chambre vota la loi à une grande majorité (106 contre 8).

Ann. hist. pour 1841.

7

Les discussions irritantes de l'autre Chambre ne s'étaient point reproduites dans cette enceinte, dont le calme et la gravité sont rarement troublés.

Ainsi, sur tous les points, les représentants du pays accordaient actuellement au ministère leur concours, et si ce concours était conditionnel, s'il n'était accordé que dans les limites de l'honneur national pour l'extérieur, et de la conservation non rétrograde à l'intérieur, il n'en était pas moins réel; et ils consentaient volontiers à écarter certains sujets embarrassants sur lesquels ils déclaraient que le temps n'était pas venu de s'expliquer. Les faits qui suivent confirment cette appréciation, comme ceux qui précèdent y ont donné lieu.

La proposition Remilly, prise en considération à la session dernière, avait été se perdre, on s'en souvient, dans le sein de la commission. Le ministère du 1er mars, dont elle était venue troubler la marche, l'avait aidée à mourir. Sous le prétexte spécieux de lois importantes à discuter, elle n'avait pu obtenir que les honneurs d'un rapport qui la mutilait, au dire de son auteur, comme si on eût été animé envers elle d'un mauvais vouloir.

Cependant M. Maurat-Ballange, rapporteur, crut devoir en demander la reprise (20 février).

Le ministre de l'intérieur répondit que le gouvernement regardait la discussion de la proposition comme inopportune, au milieu des grandes questions qui agitaient la Chambre et le pays.

M. Maurat-Ballange objecta que la Chambre se contredirait elle-même si elle repoussait la discussion d'une matière qu'elle avait précédemment prise en considération.

M. de Remilly intervint également dans le débat, mais pour répudier l'œuvre de la commission. Au reste, dans la position actuelle de la France vis-à-vis de l'Europe, il n'eût pas demandé sa reprise; une discussion de cette nature veut le calme partout.

Combattu par M. de Salvandy, M. Odilon Barrot essaya

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