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Théodore de Gaza, Jean et Constantin Lascaris, Démétrius Chalcondyle, Michel Apostolius, Marcus Masurus et une foule d'autres, se bornaient à publier, à commenter, à traduire, à imiter les anciens. En général, ils n'avaient pas tort; c'étaient là incontestablement les plus grands services qu'ils pussent rendre à l'Europe.

L'Europe, préparée par ses universités, ses littératures populaires, ses tendances philosophiques et religieuses, ses vœux et ses besoins de liberté, se saisit avidement des trésors de science, de goût et de critique que lui apportaient ces étrangers illustres. Comme eux, elle rechercha les textes des anciens, comme eux, elle les compulsa et on les copia pour les évêques, les cardinaux, les papes, les souverains, les étudians. Déjà, avant la ruine de l'empire, un secrétaire du pape, le célèbre Poggius, envoyé au concile de Constance, avait découvert, dans l'abbaye de Saint-Gall, les ouvrages de Quintilien, de Lucrèce, de Lactance, de Vitruve. D'autres savans d'Italie avaient eu le même bonheur en fouillant les archives du Mont-Cassin. Guarini, Aurispa et Philelphe étaient allés apprendre le grec et ramasser des manuscrits à Constantinople. L'étude de la classique antiquité fut bientôt une affaire de vogue et de passion générale. Les nombreux disciples de Manuel Chrysolaras répandirent dans toute l'Italie, l'opinion que, ne pas savoir la langue et ne pas lire les auteurs de la Grèce, était plus honteux, que de ne pas savoir le latin.

On fit mieux que lire les anciens, on les imita. A leur exemple, sous leurs inspirations, Poggius écrivit les vingt livres de son histoire de Florence; les ouvrages de critique,

de philologie et de littérature que composèrent Hermolaus Barbarus, Antoine Campanus, Léonard Aretin, Nicolas Perottus, Marsile Ficin, Ange Politien et Laurent Valla, peuvent à juste titre être mis à côté de ce que la Grèce, après Alexandre, a écrit de plus utile, sinon de plus éloquent.

L'Italie, qui se retrouvait depuis un siècle à la tête des études, communiqua rapidement ses goûts et son savoir à la France, à l'Espagne, aux Pays-Bas, à l'Allemagne, à l'Angleterre, où réguait le même mouvement des esprits.

D'Italie, plusieurs Grecs se réfugièrent en France, surtout à Paris, où l'on entretetenait depuis long-tems des relations avec les malheureux chefs du Bas-Empire. Dès l'an 1458, on y établit une chaire de grec, d'abord occupée par un Italien, ensuite par un Spartiate et par un Dalmate. Formé par George Ilermony mus, par Jean Lascaris et Jacques Lefèvre, François Budé, qui marcha sur leurs traces et les éclipsa, eut un grand nombre de disciples et porta François Ier, le père des lettres, à fonder le collége de France. Budé, par cette fondation, par ses ouvrages, par ses élèves, fut le véritable créateur de la philologie en France.

Antoine de Nébrisse, formé aux universités d'Italie, professeur de grammaire à Alcala, rendit à l'Espagne des services analogues.

Thomas More, philologue, jurisconsulte et philosophe, fut plus grand que l'un et l'autre, et exerça une influence

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De studio bonarum litterarum recte et commode instituendo ; de Philologia libri II; de asse et partibus ejus.

plus universelle. Son utopie, inspirée peut-être par la république de Platon, ne fut comme celle-ci, qu'un beau rêve, mais elle fut incontestablement plus utile au monde moderne, que ne l'avait jamais été à l'ancien, l'écrit qu'elle imitait.

Les Pays-Bas et l'Allemagne prirent leur part à la toison d'or du siècle et, du moment où ils la connurent jusqu'à nos jours, cette science de critique et de philologie, à laquelle leurs savans consacrent des veilles si laborieuses, semble être de préférence devenue leur patri

moine.

Trois élèves de Thomas à Kempis, dont Agricola fut le plus célèbre, s'y distinguèrent d'abord. Tous trois, ils se rendirent en Italie, y suivirent les leçons des Grecs et des Italiens les plus savans, y recueillirent des manuscrits, les adressèrent à leurs amis, les professeurs, et les engagèrent à mettre les textes des anciens entre les mains de leurs disciples. Les écoles d'Emmerich et de Munster furent pour ainsi dire, les créations de ces philologues. Agricola, par son enseignement à Anvers et à Heidelberg, fut le plus influent des trois; d'autres suivirent leurs traces, se rendirent en Italie, apprirent le grec, rassemblèrent des manuscrits, fondèrent des sociétés littéraires, rafraîchirent, par des enseignemens nouveaux et pleins de vie, les études des anciennes universités, et combattirent avec chaleur le mauvais goût, l'ignorance et la barbarie du langage, comme celle des mœurs et dés idées. Hermann Busch, Conrad Celtès, Peutinger, Reuchlin, Erasme et Ulrich Hutten, furent ceux qui, par leur enthousiasme, leur génie et leurs ouvrages, ac

TOME IV.

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quirent le plus de gloire dans cette carrière de bonnes, d'heureuses innovations.

L'étude des anciens est, dans le fait, chose étrangère à la religion, à l'Eglise chrétienne, et, dans d'autres circonstances, toute celte résurrection de la Grèce et de Rome, à laquelle les chefs de l'Eglise, les papes, les cardinaux, les évêques, les prêtres et les moines prenaient eux-mêmes une part si vive, et qui enivra l'Europe d'un charme si ineffable, pouvait avoir lieu sans' amener le moindre changement dans les idées religieuses. Rien n'est aujourd'hui ni plus inoffensif, ni plus étranger aux discussions religieuses que la philologie et la critique classique. Il n'en fut pas ainsi au quinzième et au seizième siècles. C'est qu'à côté de cette restauration littéraire, il y avait une excitation générale des esprits et un ensemble de circonstances, de découvertes, de progrès et de lumières, qui devait nécessairement amener un nouvel ordre de choses. Nous l'avons vu, une foule d'élémens de conflagration s'étaient amassés dans la société chrétienne depuis l'époque des croisades, et les nouvelles études ne furent qu'une cause de plus, qu'une cause secondaire même, du changement qui s'opéra au seizième siècle dans les institutions et dans les idées religieuses de l'Occident.

CHAPITRE III.

Nouvelles découvertes.

Excitation générale des esprits.

Pour la vieille Europe, tout avait été métamorphose et tout avait été découverte depuis le onzième siècle jusqu'au seizième. Que de terres étrangères cette ancienne population occidentale avait visitées dans cet inter

valle; que

que de nouvelles populations, que de mœurs curieuses et d'opinions singulières elle avait appris à connaître ! Agriculture, industrie, commerce, navigation, tout était changé pour elle depuis ces longues croisades. Et combien elle avait vu d'arts et de sciences auparavant inconnues surgir sur son horizon! Géographie ancienne, géographie moderne, histoire moderne et histoire ancienne, jurisprudence romaine, littérature grecque, philosophie, mathématiques, physique et chimie, sciences vulgaires, sciences secrètes: c'était plus qu'il ne fallait pour tout bouleverser. Les inventions se succédaient, et chacune d'elles était suivie d'une application qui étonnait la vieille Europe. La poudre à canon, le papier ordinaire, la boussole, les lunettes: quelles révolutions elles amenèrent dans les travaux de la guerre, de la paix, de l'industrie, de la navigation. La découverte d'une nouvelle route aux Indes orientales, pays de féerie et d'inépuisables richesses, et la découverte d'un nouveau monde, de l'Amérique, furent les premiers résultats de ce progrès.

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