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L'esprit public était pour Luther, contre Rome; il l'était à tel point, qu'une partie de la noblesse, une partie du peuple, une partie du clergé régulier et séculier était déjà groupée autour du professeur comme auteur d'une bannière, et que l'électeur de Saxe lui accordait sa protection. Luther avait compris à merveille ce que la pensée publique offrait d'appui à la sienne. Naguère il en avait appelé au pape mieux informé, aux conciles généraux; quand vint la bulle, il en appela au peuple, à la noblesse, aux princes. Cet appel, il le fit avec une espèce de joie triomphale. Ses écrits de cette époque portent l'empreinte de la plus haute exaltation. Informé qu'une bulle allait l'atteindre, il avait publié dans sa langue nationale, qu'il écrivait mieux que personne, une adresse à la noblesse chrétienne de l'empire allemand, l'un de ses meilleurs ouvrages, où il discute tour à tour toutes les institutions de l'Eglise et parcourt tous les faits de l'opinion contemporaine'. Quand la bulle fut publiée, quand Luther eut vu le mauvais accueil fait à Eck, quand il eut vu cet adversaire chassé de ville en ville et les exemplaires imprimés de sa bulle lacérés par les étudians, il publia son Prélude de la captivité babylonienne de l'Eglise, l'un des plus irritans de tous ses écrits. Voici le résumé de cette brochure, résumé fait par l'auteur dans un ton qui le peint parfaite

'An den christlichen Adel deutscher Nation. OEuvres de Luther, édition de Walch, t. X, p. 296. Cet écrit, dont 4000 exemplaires furent vendus dans l'espace de quelques semaines, est de toutes les publications de Luther celle qui peint le mieux les opinions de l'opposition religieuse de cette époque.

ment. «Il faut absolument que je devienne plus savant de jour en jour, tant j'ai sur les bras de doctes professeurs. Il y a deux ans, j'ai écrit sur les indulgences; déjà j'en ai des regrets, car, à cette époque, j'étais encore enfoncé dans les superstitions de la tyrannie romaine, et je trouvais encore que les indulgences n'étaient pas entièrement condamnables : c'est qu'alors, seul, je roulais ce rocher. Depuis lors, grâce au bon secours de Priérias et de ses confrères, j'ai appris que les indulgences ne sont qu'une déception inventée par les flatteurs des pontifes, pour perdre la foi et confisquer l'argent des fidèles. Ensuite sont venus Eck, Emser et leurs adhérens, m'instruire sur la primauté du pape maintenant j'avoue, que si d'abord j'attribuais encore à la papauté un droit humain, grâce à leurs subtilités, je n'ai pas tardé à voir que Rome était Babylone, et que l'origine du pontificat valait celle de la royauté de Nemrod,» Le reste de l'écrit répond à ce résumé.

Et cependant, sur les instances de son compatriote Miltitz, Luther écrivit encore une lettre de soumission à Léon X. Mais quelle lettre! «Le monde entier, y dit-il au pontife, vante l'irréprochable pureté de vos mœurs; mais vous êtes un agneau assis entre des lions; l'Eglise de Rome, autrefois la plus sainte, est aujourd'hui la plus flétrie de toutes. Vous seriez digne de la gouverner dans les tems les plus fortunés, mais en ce moment elle ne vous mérite pas aussi n'est-ce pas vous qui la régissez, elle est en puissance de Satan. Je vous parle ainsi, parce que je vous aime; si Bernard plaignit Eugène d'être pape, comment ne vous plaindrait-on pas, quand on

considère ce qui s'est allié au pontificat depuis ce tems? Miltitz m'a proposé de vous écrire respectueusement, avec soumission; c'est avec joie que je me soumets, seulement il ne faut pas qu'on veuille une rétractation, ni qu'on me prescrive comment je dois entendre la parole de Dieu. Toute autre condition, on peut me l'imposer. »

Mais toute la réforme était dans cette réserve, et afin qu'on ne s'y trompât point, cette lettre, si singulièrement respectueuse, était accompagnée d'un Traité de la Liberté chrétienne'.

A ces écrits succédèrent plusieurs autres, l'un où Luther, pour attaquer plus librement la bulle, fit semblant de croire qu'elle était l'œuvre d'un faussaire, l'autre où il en attaqua les articles".

Au lieu de réfuter ces écrits, on les brûla à Mayence, à Cologne, à Louvain. Luther, irrité, en appela de nouveau au futur concile général, à l'empereur, aux princes, aux magistrats de l'Allemagne; il en appela surtout au public, convoqua les étudians de Wittenberg devant les portes de la ville et y brûla le droit canon, les décrétales, code du pontificat et de l'Eglise 3.

On peut trouver cet acte fort illégal, et les professeurs en droit trouvèrent mauvais qu'un professeur en théologie osât brûler leur code; on peut aussi trouver cet acte peu significatif, et nous le trouvons tel, car un livre jeté au feu nous paraît peu de chose; mais, à cette époque,

1 Lutheri opera latina, édition d'Iéna, t. I, p. 435.

'Ibid. t. II, 286, 292.

310 décembre 1520. Exustionis antichristianarum decretalium acta. Lutheri Opp. latin. Edition d'Iéna, t. II, f. 3 29.

un tel acte était une rupture formelle, une séparation complète; par là on sortait de l'Eglise romaine, et désormais il devait se former en Occident une communauté de plus. Cette communauté était encore sans chef et sans organisation, mais, une fois constituée, elle devait disputer l'univers à Rome.

Déjà une simple affaire de science, de réforme philosophique ou littéraire, était devenue successivement une affaire de piété, de conscience, de polémique et de pontificat il ne lui manquait plus, pour s'élever au rang d'une affaire générale, que de devenir une question politique. La réforme religieuse eut ce sort, le pontificat fit la faute de le lui assurer.

CHAPITRE VII.

Nouvelles fautes du pontificat. - Diète de Worms, 1521.La réforme, de question religieuse, devient question politique. -Ses progrès jusqu'en 1524.

La scission dogmatique entre l'ancienne Eglise et Luther était faite; mais il n'y avait encore que cela. Ses auditeurs et quelques-uns de ses collègues avaient brûlé avec lui les décrétales; beaucoup de monde lisait ses brochures, et beaucoup l'admiraient; mais rien n'était fait pour

constituer un parti, la possibilité qu'il se constituât une Eglise nouvelle n'était pas même prévue. L'électeur de Saxe protégeait le professeur de Wittenberg, mais aucun prince n'eût voulu protéger un chef de secte. Toutà-coup on traduisit la question religieuse à la barre de la diète de l'empire, et dès-lors la réforme devint une question politique, d'abord pour l'Allemagne, bientôt pour l'Europe. Les débats de la diète étaient à peine terminés, que la nouvelle Eglise avait des temples, un culte et des ministres, tant il est vrai que toute idée religieuse se formule en dogme et que toute doctrine se métamorphose en rite, dès que l'autorité civile s'en mêle.

Ce fut encore la souveraineté spirituelle qui commit une nouvelle faute. Léon X voulait que la bulle eût son exécution. Il requit l'empereur, qui avait besoin de sa bonne grâce pour pouvoir se passer de celle du roi de France, de se charger de cette affaire. L'empereur étant avocat de l'Eglise, le droit canon et les précédens étaient pour cette mesure, mais les mœurs du tems ne l'étaient pas. Charles les comprenait un peu et hésitait. On insista et il fléchit. Cependant il ne pouvait pas faire saisir, sans en traiter, un sujet de l'électeur de Saxe, et rien n'était fait quand même on tenait un homme dont déjà les ouvrages et les opinions étaient partout. C'est ce que Léon X eût dû comprendre encore mieux que CharlesQuint, c'est ce que Charles-Quint lui-même ne considéra pas assez. Ce prince, d'un autre côté, véritable roi d'Espagne, élevé dans l'orthodoxie de l'époque, n'envisageait pas sans s'alarmer l'état de fermentation où était l'Allemagne. Pour la pacifier d'autorité et procéder réguliè

TOME IV.

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