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venir, nous devons l'admettre dans le passé, et puisque nous nous flattons, par nos efforts, de renouer, entre l'humanité et les célestes intelligences, cette chaîne qui, dans les œuvres du créateur, embrasse tous les êtres et nous joint aux anges, nous devons mettre plus de soins à montrer la noblesse morale des générations qui nous ont précédés, que leur immorale dégradation; donner moins de place à leurs vices et à leurs erreurs, qu'à leurs vertus et à leur gloire.

Ce n'est que dans ce sens que nous aimons à écrire l'histoire; c'est dans ce sens qu'il faut écrire nécessairement celle d'une période de progrès et de raison. Or, le progrès est le caractère des derniers siècles, et ce qui les distingue de tous les autres, c'est d'abord la domination de la science, c'est ensuite celle de la raison; ce sont du moins les efforts et les travaux de la première, qui caractérisent la première moitié de cette période, et les efforts et les travaux de la seconde qui distinguent l'autre.

La séparation de l'Eglise d'Occident en deux communions n'est autre chose qu'un premier pas, ou un premier fait de cette domination de la science qui était depuis si long-tems préparée.

En effet, nous avons vu, dans tout le cours de la période précédente, des efforts d'affranchissement. Les serfs s'affranchissent des barons; les barons, de la royauté; les fidèles, de la discipline de l'Eglise; les scissionnaires, de l'Eglise.; les écoles, de l'épiscopat et de la papauté; les littératures populaires, de la littérature latine. Des provinces entières, la Suisse, par exemple, se détachent de leurs anciens maîtres. Or, tous ces phénomènes sont

l'effet d'un peu plus d'instruction, d'un peu plus de science, qui est devenue le partage de l'Europe depuis les croisades; et tous les travaux, toutes les tendances, toutes les découvertes, toutes les études, depuis le onzième siècle, préparent cette domination de la science et de la raison, qui caractérise le monde moderne.

Un grand pas avait déjà été fait dans le monde ancien. Après la longue domination du polythéisme, la raison et sa fille première née, la philosophie, avaient régné depuis Socrate. Elles avaient peu à peu converti la mythologie en un système religieux, dont, vers la naissance du christianisme, Cicéron est pour nous l'organe le plus pur et le plus éloquent interprète.

Depuis cette époque le christianisme était venu étendre son empire sur l'ancien monde civilisé et le nouveau monde barbare. Par ce fait les travaux de la philosophie ancienne, qui avait renversé le polythéisme, étaient renversés à leur tour; ses doctrines, à la vérité, demeuraient déposées dans les écrits des Platon et des Aristote, mais ces écrits étaient enfouis dans les bibliothèques, et n'étaient plus que des lettres mortes.

Cependant cette philosophie, qui avait fait son tems, qui ne pouvait plus ressaisir un sceptre que ne portent jamais deux fois les mêmes doctrines, devait un jour, non pas ressusciter elle-même, mais donner le jour à une philosophie nouvelle, et ramener un nouvel empire de la science. Vaincue, au quatrième et au cinquième siècle, avec toutes ses théories, ses fictions, ses prestiges et ses monumens, la littérature de la classique antiquité devait, au quinzième et au seizième siècle,

reparaître avec toute sa gloire, concourir à l'enfantement d'un nouveau monde, et amener encore triomphe de la philosophie.

une fois le

Et pourtant, qu'on ne se trompe pas à cet égard, ce n'est pas la philosophie ancienne, anti-polythéiste et anti- chrétienne à la fois, qui parvient à l'empire; ce n'est pas une philosophie purement rationnelle; c'est une philosophie religieuse et chrétienne; c'est à la fois une œuvre de spéculation et de foi. En effet, c'est une œuvre où domine la science, qui est le caractère du seizième et du dix-septième siècle, mais c'est si bien une œuvre de foi, que long-temps toute doctrine moderne qui ne l'est pas, se trouve délaissée, méprisée. Ni Servet ni Socin ne peuvent fonder des communions un peu notables au seizième siècle; les libres penseurs de l'Angleterre n'y parviennent pas au dix-huitième. La foi chrétienne reste en général fortement empreinte dans la société moderne. Les doctrines qui la critiquent sont accueillies avec faveur, à partir de la fin du dix-septième siècle; celles qui prétendent la remplacer sont honnies jusque dans ces derniers tems. Des encyclopédistes et des économistes peuvent jouir, en philosophie, en littérature et en politique, d'un crédit immense, mais leur œuvre postume, le théophilanthropinisme, n'est qu'un objet de risée publique. Les écoles d'Edimbourg et de Koenigsberg, religieuses et chrétiennes l'une et l'autre, et celles qui en émanent, sont les seules qui prennent racine dans la société moderne. Le monde moderne est chrétien.

Le caractère véritable de ces siècles est donc la domination de la science et de la raison, ou, si l'on veut,

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de la philosophie, mais c'est la domination d'une philosophie religieuse et chrétienne.

En saisissant ce caractère dans les principaux faits qui le décèlent, en le fixant pendant toute la durée de cette période, nous en ramènerons les événemens et les tendances sous le point de vue le plus propre à faire apprécier et leur nature et leur importance.

La domination de la science se montre d'abord dans deux grands faits qui marquent les premiers tems du monde moderne, ce sont le rétablissement des anciennes études d'histoire, de philologie et de philosophie, et le protestantisme, avec les différens systèmes qui s'y rattachent plus ou moins, le socianisme par exemple.

La domination de la raison plus ou moins pure vient ensuite se révéler dans deux autres faits également grands et riches, les doctrines d'opposition des libres penseurs de l'Angleterre et des philosophes de la France du dixhuitième siècle, et enfin dans la philosophie chrétienne des écoles allemandes et écossaises des derniers tems.

Les efforts qu'inspirent et les succès qu'obtiennent ces puissantes tendances, la résistance et les travaux qu'y oppose l'Eglise ancienne, depuis si long-tems en possession de gouverner la société, constituent le grand drame historique des trois derniers siècles.

Quant à leur caractère le plus général, nous distinguons ces siècles en deux périodes, celle de la domination de la science ou des nouvelles études d'histoire, de philologie et de philosophie, période qui embrasse deux siècles de combat; et celle de la domination du rationalisme ou de la philosophie plus ou moins anti-chré

tienne, qui commence avec le dix-huitième siècle et dont la fin n'est pas à prévoir.

Les principaux faits, dans la première de ces divisions, ce sont de nouveaux enseignemens, de nouvelles académies, de nouvelles prédications, des professions de foi, des fédérations religieuses, des conciles, des colloques, des guerres de religion, des traités, des formules de concorde et de discorde, des édits de tolérance et d'intolérance, des persécutions en Europe et des missions en Asie, en Afrique et en Amérique; ce sont surtout, de part et d'autre, des publications d'un haut et puissant intérêt.

Nous allons esquisser ces faits, en commençant par le rétablissement des études et les mouvemens religieux et moraux qui ouvrent les premières scènes historiques de l'âge moderne.

CHAPITRE II.

Rétablissement en Occident des anciennes études classiques?

On

a souvent considéré le rétablissement des études

de la classique antiquité comme la cause principale des mouvemens religieux et moraux qui ouvrent la scène du nouveau monde, et l'on a considéré ce rétablissement

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