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priétés, Napoléon donna ordre de les acquérir immédiatement, au prix le plus élevé. Quant aux condamnés royalistes, toujours rigoureux à leur égard depuis la dernière conspiration, il ne voulut d'abord accorder de grâce à aucun d'eux. Georges seul, par l'énergie de son courage, lui inspirait quelque intérêt; mais il le regardait comme un ennemi implacable, qu'il fallait détruire pour assurer la tranquillité publique. Ce n'était pas du reste pour Georges que l'émigration était émue. Elle l'était beaucoup pour MM. de Polignac et de Rivière; elle blâmait l'imprudence qui avait placé ces personnages d'un rang élevé, d'une éducation soignée, dans une compagnie si peu digne d'eux; mais elle ne pouvait se résigner à voir tomber leurs têtes; et il est vrai que les entraînements des partis, sainement appréciés, devaient faire excuser leur faute, et leur mériter l'indulgence du chef même de l'Empire.

On connaissait le cœur de Joséphine on savait qu'au sein d'une grandeur inouïe, elle avait conservé une bonté touchante. On savait aussi qu'elle vivait dans des craintes continuelles, en songeant aux poignards sans cesse levés sur son époux. Un acte éclatant de clémence pouvait détourner ces poignards, et calmer des cœurs exaspérés. On réussit à s'introduire auprès d'elle par le moyen de madame de Rémusat, attachée à sa personne, et on lui amena au château de SaintCloud madame de Polignac, qui vint arroser de larmes le manteau impérial. Elle fut touchée,

Mai 1804.

Grâce

accordée à MM. de Rivière et de Polignac.

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comme, avec son facile et sensible cœur, elle devait l'être, à l'aspect d'une épouse éplorée demandant noblement la grâce de son époux. Elle courut faire une première tentative auprès de Napoléon. Celui-ci, selon sa coutume, couvrant son émotion sous un visage dur et sévère, la repoussa brusquement. Madame de Rémusat était présente.

Vous vous intéresserez donc toujours à mes ennemis, leur dit-il à toutes deux. Ils sont les uns et les autres aussi imprudents que coupables. Si je ne leur donne pas une leçon, ils recommenceront, et seront cause qu'il y aura de nouvelles victimes. - Joséphine, repoussée, ne savait plus à quel moyen recourir. Napoléon devait dans peu d'instants sortir de la salle du conseil, et traverser l'une des galeries du château. Elle imagina de placer madame de Polignac sur son passage, pour qu'elle pût se jeter à ses pieds, lorsqu'il paraîtrait. En effet, au moment où il passait, madame de Polignac vint se présenter à lui, et lui demander, en versant des larmes, la vie de son époux. Napoléon, surpris, lança sur Joséphine, dont il devinait la complicité, un regard sévère. Mais vaincu sur-le-champ, il dit à madame de Polignac qu'il était étonné d'avoir trouvé, dans un complot dirigé contre sa personne, M. Armand de Polignac, son compagnon d'enfance à l'École militaire; que cependant il accordait sa grâce aux larmes d'une épouse; qu'il souhaitait que cette faiblesse de sa part n'eût pas de suites fâcheuses, en encourageant de nouvelles imprudences.-Ils sont bien coupables,

madame, ajouta-t-il, les princes qui compromettent la vie de leurs plus fidèles serviteurs, sans partager leurs périls.

Madame de Polignac, saisie de joie et de reconnaissance, alla raconter au milieu de l'émigration épouvantée cette scène de clémence, qui valut alors un instant de justice à Joséphine et à Napoléon. M. de Rivière restait en péril. Murat et sa femme pénétrèrent auprès de l'Empereur, pour le vaincre et lui arracher une seconde grâce. Celle de M. de Polignac entraînait celle de M. de Rivière. Elle fut immédiatement accordée. Le généreux Murat, onze ans plus tard, ne rencontra pas la même générosité.

Tel fut le terme de cette triste et odieuse échauffourée, qui avait pour but d'anéantir Napoléon, et qui le fit monter au trône, malheureusement moins pur qu'il n'était auparavant; qui valut une mort tragique à celui des princes français qui n'avait pas conspiré, l'impunité à ceux qui avaient tramé des complots, mais, il est vrai, avec une grande déconsidération pour châtiment de leurs fautes; enfin l'exil à Moreau, le seul des généraux de ce temps, dont on pût, en exagérant sa gloire et en rabaissant beaucoup celle de Napoléon, faire un rival pour ce dernier. Frappante leçon dont les partis devraient profiter! on grandit toujours le gouverne— ment, le parti ou l'homme, qu'on tente de détruire par des moyens criminels.

Toute résistance était désormais vaincue. En 1802,

Napoléon avait surmonté les résistances civiles, en

Mai 1804.

Mai 1804.

annulant le Tribunat; en 1804, il surmonta les résistances militaires, en déjouant la conspiration des émigrés avec les généraux républicains. Tandis qu'il franchissait les marches du trône, Moreau s'en allait en exil. Ils devaient se revoir, à portée de canon, sous les murs de Dresde, malheureux tous les deux, coupables tous les deux, l'un en revenant de l'étranger pour faire la guerre à sa patrie, l'autre en abusant de sa puissance jusqu'à provoquer une réaction universelle contre la grandeur de la France; l'un mourant d'un boulet français, l'autre remportant une dernière victoire, mais voyant déjà l'abîme où s'est engloutie sa prodigieuse destinée.

Toutefois, ces grands événements étaient bien éloignés encore. Napoléon semblait alors toutpuissant et pour jamais. Sans doute il avait éprouvé quelques ennuis dans ces derniers temps; car, indépendamment des grands malheurs, la Providence cache toujours quelques amertumes anticipées dans le bonheur même, comme pour avertir l'âme humaine, et la préparer aux infortunes éclatantes. Ces quinze jours lui avaient été pénibles, mais ils furent bientôt passés. La clémence dont il venait d'user jeta une douce lueur sur son règne naissant. La mort de Georges n'attrista personne, quoique son courage, digne d'un meilleur sort, inspirât quelques regrets. Bientôt on fut rendu à ce sentiment de curiosité émerveillée, qu'on éprouvait en présence d'un spectacle extraordinaire.

Ainsi finissait après douze années, non pas la Révolution française, toujours vivante et indestructible, mais cette République qualifiée d'impérissable. Elle finissait sous la main d'un soldat victorieux, comme finissent toujours les républiques qui ne vont pas s'endormir dans les bras de l'oligarchie.

Mai 1804.

FIN DU LIVRE DIX-NEUVIÈME.

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