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l'exposé des moyens le plus habituellement employés pour cet examen, et d'indiquer, en même temps, quelques procédés nouveaux ou peu connus en France.

Le rectum n'est pas, comme l'anus, directement accessible à la vue. Ce n'est que par l'emploi de certains artifices et l'application d'instruments spéciaux qu'il peut être soumis à l'exploration. Dans la plupart des cas, du reste, l'inspection directe n'est pas nécessaire et en apprend moins au chirurgien que les sensations fournies par le toucher. Parmi les procédés d'exploration du rectum, le toucher rectal occupe donc la première place. L'examen à l'aide du spéculum, des bougies et de quelques autres instruments ne vient qu'en seconde ligne.

Quel que soit le mode d'examen auquel doit être soumis le rectum, il faut toujours avoir soin de le faire précéder de l'administration d'un lavement d'eau tiède destiné à le débarrasser des matières fécales qu'il peut contenir et dont la présence dans l'ampoule rectale aurait pour effet, non seulement d'être gênante et désagréable pour le chirurgien, mais de l'exposer à des erreurs.

Beaucoup de malades, et principalement les femmes, répugnent à se soumettre au toucher rectal; aussi, chez elles, est-il souvent nécessaire de le pratiquer sans les prévenir et comme s'il s'agissait du toucher vaginal. Chez l'homme, le toucher rectal est généralement accepté, et dès qu'il y a lieu de soupçonner l'existence d'une affection du rectum, il ne faut pas hésiter à le pratiquer après en avoir fait comprendre la nécessité au malade. Cette exploration d'ailleurs, à moins d'un état spasmodique du sphincter anal ou de complications, est rarement douloureuse. Du reste, il ne faudrait pas reculer devant l'emploi de l'anesthésie si quelque obstacle de ce genre se présentait.

La position à donner au malade varie. Dans la plupart des cas, cependant, le décubitus dorsal est la meilleure position. Les cuisses devront être relevées et écartées; il est utile également de faire reposer le siége du malade sur un coussin un peu dur ou simplement de lui faire placer les deux poings sous les ischions, de manière à exhausser le bassin et à en exagérer la rotation autour de son axe transversal. Il est, quelquefois, plus commode de faire placer le malade transversalement sur le milieu du lit, les fesses dépassant un peu le bord du ma. telas. Les cuisses peuvent être alors plus fortement fléchies sur le bassin et plus écartées que dans la position précédente. Dans beaucoup de cas, enfin, le malade est couché sur le côté gauche, le membre inférieur gauche étendu, le droit fléchi sur le bassin, position qui est aussi la plus favorable pour l'examen de la région anale. On peut, à la rigueur, pratiquer le toucher rectal, le malade étant debout. Rarement on aura besoin, comme pour l'application du spéculum, de le faire reposer sur les genoux et sur les coudes fléchis, la tête fortement inclinée en avant et en bas et les fesses relevées. C'est au décubitus dorsal ou latéral gauche qu'il convient généralement d'avoir d'abord recours; mais les autres positions peuvent être nécessitées par quelque circonstance spéciale telle que la localisation de la lésion à explorer en un point de la paroi rectale, soit en avant, soit en arrière.

Placé à la droite du malade, le chirurgien, après avoir largement graissé son index avec du cérat, ramène l'extrémité de celui-ci, d'arrière en avant dans le sillon interfessier jusqu'au niveau de l'anus et pénètre dans cet orifice par une pression douce aidée d'un léger mouvement de rotation du doigt. Aucune brusquerie ne doit être apportée dans ce premier temps de l'exploration. Le sphincter anal n'oppose, en général, pas de résistance considérable à l'introduction du doigt, malgré sa tonicité très-accusée chez les sujets jeunes. Parvenue dans l'ampoule rectals, la pulpe de l'index explore le pourtour de la paroi, constate les inégalités de la mu

queuse, l'induration des orifices et des trajets fistuleux, la présence d'ulcérations, de polypes, de masses cancéreuses, de corps étrangers. L'index tout entier est facilement introduit jusqu'à sa base chez tous les sujets et peut ainsi explorer le rectum sur une hauteur de huit centimètres au moins. Avec un peu d'effort, l'extrémité du doigt peut atteindre plus haut, et dans le cas où le point malade est encore inaccessible, on a la ressource, souvent employée par Amussat, de se faire pousser le coude, par un aide, de manière à déprimer plus fortement le plancher périnéal.

Ce n'est que par l'étude des différentes affections du rectum décrites plus loin qu'on appréciera bien la variété des notions que le toucher rectal est susceptible de fournir.

Nous avons dit que l'inspection directe de la muqueuse du rectum ne pouvait être faite que par l'application du spéculum. Chez la femme, cependant, H.-R. Storer a indiqué un moyen ingénieux, et jusqu'ici à peu près inconnu en France, d'examiner la muqueuse rectale. Ce procédé, désigné quelquefois sous le nom d'éversion de la muqueuse, consiste à introduire l'index dans le vagin, la pulpe tournée vers la cloison recto-vaginale et à déprimer celle-ci en arrière et en bas au-dessus du sphincter anal. Celui-ci cède ordinairement, et l'index, se coiffant de la muqueuse rectale comme d'un gant, arrive à la faire saillir hors de l'anus. Si le sphincter résistait trop, il faudrait en pratiquer préalablement la dilatation forcée. Cette invagination artificielle permet, lorsqu'elle est bien pratiquée, d'examiner non-seulement la partie antérieure du rectum, mais toute sa circonférence, sur une certaine hauteur. Elle est appelée à rendre des services, surtout pour le diagnostic des ulcérations de l'anus qui se prolongent dans le rectum.

Nous devons maintenant dire quelques mots des moyens d'exploration qu'on peut qualifier d'exceptionnels, et qui, employés jusqu'ici par quelques chirurgiens, n'ont pas encore passé, comme le toucher rectal, dans la pratique générale. L'avenir décidera si les tentatives hardies faites par ces chirurgiens, dans ce sens, doivent être imitées.

On sait depuis longtemps qu'il est possible d'introduire dans le rectum plusieurs doigts, et les accoucheurs ont pu quelquefois y faire pénétrer la main tout entière pour remédier à la rétroversion utérine au début de la grossesse. Allingham a, plusieurs fois, chez la femme et sous l'influence du chloroforme, introduit la main entière dans le rectum après avoir dilaté le sphincter. Néanmoins il croit cette manœuvre impraticable chez l'homme. Il cite, en outre, deux cas de mort, observés par Heslop (de Birmingham), publiés dans the Lancet (11 mai 1872) et qui sont survenus après cette introduction. Il s'agissait, il est vrai, de rétrécissements, et l'on a cité récemment des faits de mort après une simple exploration digitale.

Mais les chirurgiens allemands, dans ces derniers temps, ont été beaucoup plus loin. Gustave Simon (de Heidelberg), dans un mémoire récent (Archiv für kli nische Chirurgie, XVe vol., Ire livr., p. 99), établit que la dilatation du rectum peut se faire sans opération sanglante, pendant l'anesthésie chloroformique, et permet l'introduction de la main tout entière chez les adultes bien conformés et de deux doigts au moins chez l'enfant. En procédant avec douceur il a pu faire pénétrer un ou deux doigts dans l'S iliaque, et atteindre jusqu'au rein gauche en arrière, et en avant, jusqu'à l'ombilic. Mais, sur le cadavre, il a pu constater que le rectum au-dessus de l'insertion du méso-rectum se déchire lorsque la dilatation est portée au delà de quinze centimètres en circonférence, et que la main ne peut, par conséquent, franchir sans danger cette limite.

En incisant le sphincter sur la ligne médiane, en arrière, l'introduction de la main devient plus facile, mais il reste une incontinence des matières fécales qui persiste de dix à douze jours. G. Simon a employé l'un et l'autre procédé pour l'extraction de corps étrangers, pour le traitement des plaies du rectum, l'extirpation de tumeurs, l'opération de fistules très-élevées, et pour le diagnostic de certaines affections abdominales. Poussant encore plus loin la hardiesse de ces tentatives, Nussbaum (de Munich), aurait pu, dit-on, atteindre avec les doigts l'appendice xiphoïde, après avoir introduit la main dans le rectum. Nous espérons que jusqu'ici ses études n'ont été faites que sur le cadavre.

L'application du spéculum au diagnostic des maladies du rectum est, comme nous l'avons dit, d'une utilité moindre que le toucher rectal. Cependant, à l'aide de cet instrument, il est possible de constater certaines lésions superficielles de la muqueuse que le toucher ne révèle pas d'une manière suffisamment nette. On a construit sous le nom de speculum ani un certain nombre d'instruments spéciaux. Le modèle le plus usité en France est un spéculum bivalve, analogue, sauf les dimensions, à celui qui sert pour le vagin. Charrière a construit un spéculum à trois valves et à développement; M. Barthélemy a proposé un spéculum conique

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en étain, à ouverture supérieure, et Amussat employait un instrument bivalve à bout fermé en cône. Tous ces instruments sont généralement insuffisants. Mieux vaudrait employer ceux qui servent pour le vagin et dont l'introduction est possible chez beaucoup de sujets. Le spéculum de Cusco offre certains avantages, et notamment celui de déplisser facilement la muqueuse de l'ampoule rectale; mais, dans la plupart des cas, le volume de son extrémité s'oppose à son usage.

Le spéculum de Marion Sims, employé pour les fistules vésico-vaginales, peut également rendre des services. Certains instruments spéciaux, dont on se sert en

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Angleterre et en Amérique sont cependant préférables. Allingham emploie un spéculum ouvert à la fois à son extrémité et sur le côté que construisent Ferguson, Weiss, Krohne; il est muni d'un embout en bois. Lorsqu'il s'agit d'examiner un

point du rectum très-profondément situé, il conseille l'usage d'un long spéculum, d'un faible diamètre, garni de verre argenté à l'intérieur et coupé obliquement à son extrémité. Curling (Observ. on the Diseases of the Rectum, 3e édit., 1863, p. 4, fig. 2) recommande une forme analogue de spéculum dont nous reproduisons la figure. C'est à ce modèle que nous donnons la préférence, ou encore au spéculum figuré par Gross (Syst. of Surgery, 5e édit., t. II, p. 624). L'extrémité en est arrondie et fermée; latéralement il porte une fenêtre ovale et l'intérieur est en glace argentée. L'éclairage est facile avec cet instrument, et il n'offre pas, comme les spéculums bivalves, l'inconvénient de laisser la muqueuse s'engager entre les valves.

L'introduction de ces divers spéculums se fait en suivant les règles usitées pour celle des instruments analogues qui servent pour le vagin. Il faut les huiler largement, et au besoin les chauffer. Ils ne doivent être poussés qu'avec beaucoup de douceur. Leur pénétration offre certaines difficultés si le sphincter anal présente une tonicité exagérée, et il est quelquefois nécessaire de faire préalablement la dilatation forcée de l'anus.

Il y a avantage, dans certains cas, à placer, pour l'examen, le malade, dans une position différente de celle qui est habituelle dans l'application du spéculum vaginal, et qu'on emploie généralement aussi pour l'exploration du rectum. Cette position, recommandée par Marion Sims, est la suivante : Le malade est couché sur le ventre; le bassin fortement élevé par des coussins, de telle manière que la masse intestinale, par son poids se porte vers le diaphragme. Dans cette position le rectum tend à se dilater au moment de l'expiration, et Allingham assure qu'on peut voir alors, avec le spéculum, très-distinctement la courbure de I'S iliaque.

Pour constater l'état de la muqueuse, il faut, comme pour l'examen du col utérin, enlever avec soin, à l'aide d'un pinceau ou d'un tampon de coton, les mucosités qui pourraient cacher des lésions superficielles.

Il nous reste peu de choses à dire de l'emploi des bougies dans le diagnostic des maladies du rectum. Elles servent quelquefois à constater un rétrécissement; plus souvent on en fait usage pour le traitement par la dilatation lente. Ces bougies sont faites comme celles qui servent pour l'urèthre; elles sont seulement d'un diamètre plus considérable; il atteint celui du doigt, ou même du pouce. Ces bougies sont cylindriques ou coniques, mais toujours terminées par une extrémité mousse. Les bougies en caoutchouc vulcanisé, que l'on fabrique aujourd'hui, sont d'un usage commode; seulement elles doivent être enduites de glycérine et non de corps gras, au moment de leur introduction. Nous verrons que, pour apprécier exactement la situation des rétrécissements et leur étendue, on a proposé quelques instruments spéciaux. Les bougies en cire destinées à prendre l'empreinte des points rétrécis sont aujourd'hui abandonnées.

Récemment, Gustave Simon a préconisé l'introduction dans le rectum de tubes en caoutchouc, portant à leur extrémité une olive percée. Avec ces tubes on est moins exposé qu'avec les bougies ordinaires à perforer ou à léser la muqueuse du rectum. En outre ils servent à faire pénétrer un large courant d'eau qui facilite leur passage en déplissant le rectum. G. Simon n'a pu faire pénétrer ces tubes que jusqu'à l'S iliaque ou au côlon descendant. Wachsmuth affirme qu'ils peuvent aller beaucoup plus loin et dépasser le côlon transverse pour arriver jusque dans le côlon ascendant. La discussion qui s'est élevée à ce sujet n'intéresse pas l'exploration du rectum.

II. PLAIES DU RECTUM. Les plaies du rectum sont de deux ordres; les unes sont faites par le chirurgien dans les opérations de fistules, de rétrécissements (plaies chirurgicales) et ne doivent pas nous occuper ici; les autres sont le résultat d'un traumatisme accidentel et pourraient être désignées sous le nom de blessures; ce sont elles que nous avons à étudier.

Les plaies ou blessures du rectum, sont rares, et leur peu de fréquence s'explique par la situation même de la partie terminale du tube digestif. On observe, sans doute, quelquefois des lésions traumatiques de la dernière portion du rectum, celle qui avoisine l'anus, mais les plaies de la partie supérieure protégée par sa situation profonde et par toute l'épaisseur de la base du sacrum, en arrière, sont tout à fait exceptionnelles, et on en citerait difficilement des exemples, en dehors de ces grands délabrements consécutifs aux écrasements du bassin ou aux blessures par armes à feu, dans lesquels la plupart des organes du petit bassin sont intéressés.

Le siége le plus ordinaire de ces plaies est donc la dernière portion du rectum et la paroi antérieure est plus fréquemment atteinte que la postérieure, parce que, d'une part, elle est moins bien protégée que cette dernière, et que, d'autre part, elle est voisine d'organes tels que la vessie et l'urèthre chez l'homme, le vagin chez la femme qui peuvent livrer passage aux corps vulnérants, enfin et surtout parce que ces corps vulnérants pénétrant souvent par l'anus, rencontrent presque fatalement la paroi antérieure au point où la dernière portion du rectum s'infléchit à angle pour se porter en bas et en arrière.

Les plaies du rectum diffèrent en étendue et en profondeur, mais celles qui n'intéressent que la muqueuse ne méritent d'attirer l'attention qu'en raison de l'hémorrhagie à laquelle elles peuvent donner lieu, car on comprend qu'elles doivent guérir avec facilité. Celles qui divisent les trois tuniques, sans présenter nécessairement une grande gravité sont 'cependant toujours sérieuses à cause des complications auxquelles elles exposent. Mais la lésion fréquente du péritoine. donne aux plaies du rectum une gravité et un intérêt exceptionnels.

Il n'y a guère que les instruments piquants d'un très-petit volume qui puissent diviser toutes les tuniques de l'intestin sans déterminer d'accidents. Encore y a-til toujours lieu de craindre que les fluides de l'intestin s'épanchent dans le tissu cellulaire par la petite plaie ainsi produite et déterminent la formation d'abcès. En dehors des plaies chirurgicales on ne comprend guère, non plus, que les parois du rectum soient atteintes par les instruments tranchants. Presque toutes les plaies du rectum présentent les caractères de déchirures; ce sont des plaies plus ou moins irrégulières et contuses. Les plaies ar armes à feu offrent à un haut degré ce caractère et s'accompagnent presque toujours en outre de la blessure des organes voisins.

Les causes des plaies du rectum varient avec les circonstances dans lesquelles elles se produisent. Ce sont quelquefois des chutes d'une certaine hauteur sur des corps pointus qui pénètrent par l'orifice anal ou arrivent jusqu'au rectum à travers les parties molles de la fesse ou du périnée. Le supplice du pal, autrefois usité en Orient, donne une idée de ce que peuvent être ces traumatismes d'ailleurs fort rares. Gross cite le fait d'un jeune homme qui se fit une déchirure du rectum dans une chute sur un bâton de chaise, et celui d'un autre individu qui reçut un coup de corne d'une vache furieuse.

Mais, le plus ordinairement, les plaies du rectum sont produites par des instruments introduits par l'anus et mal dirigés. Autrefois l'usage des seringues métal

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