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elle a été exposée. Il n'est donc pas étonnant que tant d'historiens, parmi lesquels on en compte un grand nombre de célèbres, se soient emparés de cette époque remarquable pour en tracer les événemens.

Les uns, dans des histoires très-étendues, ont recherché les causes de tant d'effets prodigieux ; ils ont aussi jugé les personnes et les choses. D'autres, dans des Chronologies, ont rapporté les faits dépouillés de toute espèce de réflexions; mais aucune de ces Chronologies n'avait encore présenté la réunion complète des événemens de la révolution, lorsque je pensai que ce serait faire un travail utile que de réunir dans un seul cadre cette immense série d'événemens, afin que l'on pût facilement en saisir l'enchaînement et l'ensemble.

La méthode chronologique me paraissait d'ailleurs convenir parfaitement à cette époque de notre histoire. En 1794, Rabaut Saint-Étienne disait : « le moment est venu « où l'on peut écrire l'Histoire de la Révo

» lution. » Il se trompait, non-seulement il n'était pas temps alors; mais cette tâche est encore difficile à remplir aujourd'hui. Ceux qui ont écrit, qui écrivent ou qui écriront d'ici à trente ans, sur ce vaste et important sujet, auront été les contemporains de la révolution; il est impossible qu'ils n'aient pas été froissés dans leurs intérêts ou dans leurs affections; peut-être aussi en auront-ils obtenu quelques avantages: leur opinion doit donc porter le cachet des sensations qu'ils ont éprouvées ou qu'ils éprouvent encore.

Sans doute il est des auteurs qui écrivent de bonne foi et avec impartialité; mais pourront-ils se garantir d'une influence quelconque les excès de la terreur ne leur feront

ils

:

pas confondre dans la même proscription tous ceux qui disposaient du pouvoir à cette époque? L'immensité de gloire acquise par nos armes, ne leur en fera-t-elle pas juger légitimes toutes les causes? Les bienfaits de la restauration ne leur en feront-ils pas approu ver tous les actes? Que de motifs d'influence

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pour un auteur! Il tient à la société par tant de liens; il est fils, il est père, il est ami, il être fonctionnaire public, il est homme

peut

enfin.

S'il est difficile de déterminer exactement les causes des événemens de la révolution et d'en suivre toutes les conséquences, il se présente encore plus de difficultés pour bien juger les hommes; cependant, les circonstances ont varié tant de fois, que, quelque adroits ou ingénieux qu'ils aient été, leur caractère et leur opinion ont dû se mettre à découvert. Mais un grand nombre de ceux qui ont pris part à la révolution, existent encore; quelques-uns sont revêtus de dignités et d'honneurs; comment sera-t-il donc possible que l'opinion d'un auteur ne soit pas influencée, quand il ne ferait qu'observer les convenances? Jamais le portrait moral d'un homme vivant ne ressemblera à celui que l'on en fera après sa mort.

L'histoire, écrite dans des temps plus reculés, pourra profiter des documens nom

breux que l'on publie chaque jour; elle ne sera plus entravée par une foule de considérations: c'est alors seulement qu'elle pourra devenir impartiale, rendre justice pleine et entière à la fidélité et au dévouement, et faire justice de la trahison et de la perfidie; son jugement, maintenant prématuré, pourrait manquer d'exactitude. Le résultat inévitable d'une histoire contemporaine est de réveiller des passions encore ardentes, et d'exciter la haine et l'animosité des partis.

C'est surtout en étudiant l'histoire, que l'on aperçoit ces difficultés : le même événement, écrit par des auteurs contemporains, est présenté sous un aspect tout différent : dès qu'on a lu quelques pages d'un ouvrage sur la révolution, il est impossible de ne pas découvrir l'opinion de l'auteur; si les faits les plus remarquables ne sont pas altérés, leurs causes, ou les conséquences qui en sont déduites, diffèrent presque toujours. En général l'on recherche les causes dans les résultats, et l'on juge toujours les hommes après l'événement.

S'il se présente une série d'événemens qui ont nécessairement entre eux de certains rapports, puisque souvent l'un a produit l'autre, l'on y découvre un plan tracé d'avance et conduit par des factieux, qui souvent n'ont eu, ni assez de génie pour le concevoir, ni aucun moyen pour l'exécuter. L'on ne veut pas penser que l'événement du jour est le résultat de celui de la veille, et que toute cette chaîne de malheurs, de cruautés et d'atrocités, a été le résultat d'un entraînement, pour ainsi dire, irrésistible. Croyons donc que la seule adresse des hommes de la révolution fut de s'emparer des événemens pour les faire tourner à leur profit, et conservons, autant que possible, l'idée consolante que tant de forfaits n'ont pu se ranger par ordre dans des têtes humaines, pour recevoir, à mesure, leur exécution.

L'on a recherché avec soin toutes les causes qui ont pu produire la révolution : elle a été attribuée au despotisme, au mécontentement du peuple, aux abus, au désordre dans les

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