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CONCLUSION

I. Dans l'ancien Droit français, les menses épiscopales, non seulement servaient à l'amélioration matérielle du titulaire, mais, la plupart du temps, à cause de leurs multiples ressources, elles permettaient aux évèques d'exercer autour d'eux une haute et salutaire influence : besoins du culte, propagation de l'enseignement catholique, soulagement des misères humaines, tels ont été les objets de la sollicitude constante de l'ancien et glorieux épiscopat français. Malheureusement, à la suite de l'envahissement exagéré des biens de mainmorte, de nombreux abus se sont introduits qui nous empêchent de regretter, outre mesure, le passé; de même, à cause de l'inégale répartition des biens du clergé, de la réglementation enchevêtrée des pensions, bénéfices, et portions congrues, nous sommes, suivant l'expression de M. l'abbé Sicard (1), peu « tentés de verser des pleurs sur une législation que la Révolution a fait disparaitre sans retour ».

L'étude des menses épiscopales depuis 1813 jusqu'à nos jours, nous force à reconnaitre que, gràce à la législation de 1817, la jurisprudence judiciaire s'est, en

(1) La nomination aux bénéfices, avant 1789, p. 41.

général, montrée aussi large qu'équitable vis-à-vis des menses épiscopales. Le Conseil d'Etat, au contraire, à partir de 1840, cherche de plus en plus à restreindre la capacité de nos établissements ecclésiastiques ; après le dernier revirement de sa jurisprudence, en 1880, il applique avec une rigueur exagérée le principe de la spécialité aux menses épiscopales.

Actuellement l'évèque, premier pasteur du diocèse, ne peut accepter aucune libéralité pour un motif autre que son bien-être personnel. Si, par exemple, un legs est fait à la mense pour une fondation de messes, pour l'établissement d'une école ou d'un patronage ou pour une œuvre pieuse quelconque, le prélat est incapable de l'accepter. Ne devrait-on pas chercher à relever et à ennoblir le rôle de la mense épiscopale, au lieu de l'amoindrir et de l'annihiler en empêchant l'évèque d'accomplir sa haute mission et d'étendre sa sollicitude sur les besoins généraux de son diocèse? Comment pourrat-il sauvegarder et développer nombre d'intérêts religieux qui ne peuvent rentrer dans la spécialité d'aucun des autres établissements ecclésiastiques? Impossible pour lui de recevoir des dons et legs, afin de venir au secours des fabriques pauvres : impossible de fonder des bourses d'enseignement supérieur en faveur des professeurs de séminaires ; impossible d'accepter des libéralités pour l'éducation religieuse de la jeunesse. Ce qu'on permet à l'évèque, c'est de songer au luxe de son palais, à la somptuosité de sa table, aux agréments de sa maison de campagne.

II. Si l'on tient à appliquer strictement le principe de spécialité aux menses épiscopales, du moins

devrait-on ne pas refuser aux diocèses la personnalité civile; l'équité l'exige.

Du reste, malgré l'avis du Conseil d'Etat, du 17 mars 1880, on peut toujours se demander au nom de qui l'évêque acceptait, depuis 1802 jusqu'à 1813, les fondations destinées à l'entretien des ministres et à l'exercice du culte. Ce n'était certainement pas en son nom personnel. Derrière l'évêque, il y avait donc une personnalité capable d'acquérir et de posséder. De tous les établissements ecclésiastiques constitués depuis, aucun ne répond à l'article 73 de la loi de germinal, si ce n'est le diocèse personnifié dans son chef.

La personnalité civile du diocèse a donc été établie par la loi de germinal an X. Dans l'avis de 1880, le Conseil d'Etat affirme que cet établissement public n'était que provisoire, mais il n'apporte aucun texte à l'appui. Comment admettre qu'une personne morale puisse être privée de son existence civile sans un texte formel?

Ces motifs juridiques sont confirmés par la pratique gouvernementale, qui n'a pas varié jusqu'en 1884, pratique corroborée par de nombreux avis du Conseil d'Etat, autorisant l'évèque à accepter des libéralités au nom des intérêts généraux du diocèse.

III. Un troisième point, d'une gravité exceptionnelle, s'impose à notre attention. Depuis 1888, date du retentissant procès relatif à la mense épiscopale de Limoges, de nombreux décrets du Président de la République, statuant en Conseil d'Etat, ont autorisé les agents régaliens à vendre un grand nombre d'immeubles, pendant la vacance des sièges. Les fameuses « notes de jurisprudence » ont même

organisé la vente en masse des biens appartenant aux menses épiscopales

Nous croyons avoir démontré, en parlant de la régularisation du patrimoine des menses en temps de régale, que les principes généraux du droit, qui régissent la matière, condamnent absolument cette pratique.

Le Conseil d'Etat, en s'arrogeant un droit de haute police sur l'administration des biens de la mense, en faisant vendre des immeubles légalement entrés dans le patrimoine de l'évêché, outrepasse manifestement ses pouvoirs.

Son unique droit, son unique devoir, n'est-il pas, lorsqu'un bien est donné ou légué à cet établissement, d'empêcher que l'auteur de la libéralité impose à l'évêque d'affecter ce bien à une œuvre non conforme au caractère de la mense?

Le bien une fois acquis légalement, avec approbation du Conseil d'Etat, la mense est unique propriétaire; seul, l'évèque a la jouissance et l'exercice des droits de cette mense. L'évèque est donc maitre d'affecter cette libéralité à telle œuvre qui lui convient, sous la double condition: 1° de ne pas porter atteinte à ses successeurs, et 2o de n'en pas faire un usage contraire à l'ordre public.

Admettons même, pour un instant, que le Conseil d'Etat s'arroge le droit exorbitant de contrôler l'administration temporelle de la mense; s'il trouve que loger des religieux ou établir un cercle catholique dans les immeubles d'une mense est incompatible avec le principe de spécialité, qu'il signifie sa décision directement à l'évêque, mais qu'il ne profite pas de la vacance du siège pour aliéner les immeubles.

Autrement on ne pourra nous blamer de dire que le but, à peine déguisé de cette jurisprudence, mise en pratique depuis 1888, est, avant tout, de diminuer peu à peu, pour arriver à supprimer totalement les biens de mainmorte possédés par les menses épiscopales.

Vu :
Le Doyen,

GLASSON.

Vu, le 2 mai 1905:

Le Président de thèse,

E. CHÉNON.

Vu et permis d'imprimer :

Le Vice-Recteur de l'Académie de Paris,

LIARD.

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