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PREMIÈRE PARTIE

RÉGIME DES MENSES ÉPISCOPALES

AVANT 1789

CHAPITRE PREMIER

FORMATION DES MENSES ÉPISCOPALES

Après avoir vu comment les biens ecclésiastiques se sont partagés, nous constaterons que les obligations, dont autrefois l'évèque était seul tenu, se sont également divisées. L'évêque n'eut plus exclusivement à sa charge l'entretien des clercs et des églises depuis la fondation et la dotation des paroisses. Au neuvième siècle, par exemple, il possède intégralement les revenus de son église cathédrale, le cens de ses terres, les dimes de la cité épiscopale et le quart de celles provenant des paroisses directement rattachées à l'episcopatus; mais un grand nombre des dimes des paroisses privées lui échappent, parce qu'elles ont été inféodées et restent aux mains des patrons.

D'après le décret du pape Gélase, la quatrième part des biens d'Eglise devait être employée au soin des pauvres, des veuves, des orphelins et des étran

gers. Dans les paroisses, les habitants pauvres, débiles ou trop àgés pour travailler, sont inscrits sur la matricula et secourus par le clergé. Dans les cités, la part des pauvres a servi à la construction des hôpitaux, maisons-Dieu, Domus religiosa.

A la fin du sixième siècle, Bertran, évêque du Mans, fonde plusieurs hôpitaux, en particulier celui de Pontlieu, au midi de cette ville, sur les bords de la rivière l'Huisne, par article de son testament: « Quia, dit-il, votus et deliberatio mea est. » Il est facile de prouver que beaucoup d'évèques ont fait des fondations analogues.

Au Concile d'Aix-la-Chapelle, en 816, c. 141 et 148, on décide la fondation de nouveaux hôpitaux : « Les évèques, se souvenant de ce que Jésus-Christ dit dans l'Evangile : J'ai été étranger, et vous m'avez logé, établiront, à l'exemple de leurs prédécesseurs, un hòpital pour recevoir les pauvres, à l'entretien duquel ils assigneront des biens ecclésiastiques, outre les dimes de toutes les terres de l'Eglise. Les chanoines y donneront la dime de leurs fruits, même des oblations, et l'un d'entre eux sera choisi pour secourir les pauvres et les étrangers, et pour gérer le temporel de l'hôpital. Si les clercs ne peuvent en tout temps laver les pieds des pauvres, ils le feront du moins en Carême. C'est pourquoì l'hôpital doit ètre situé dans un lieu où ils puissent aller aisément. >>

On le voit, au neuvième siècle, la masse des revenus de l'évêque est bien distincte des autres biens d'église. Ce qui est resté encore quelque temps indivis, c'est la mense épiscopale et la mense capitulaire, c'est-à-dire les revenus servant à subvenir aux besoins de l'évèque et des chanoines.

Comment et pourquoi le partage de ces menses s'est-il opéré?

Sans remonter à l'institution des chanoines, par l'évèque d'Hippone, saint Augustin, institution qui se maintint dans plusieurs églises, mème en Gaule, jusqu'au huitième siècle, rappelons qu'au Concile assemblé à Vern, en 755, par ordre du roi Pépin, il fut enjoint aux chanoines d'observer soit la règle des moines, soit la règle des chanoines, et d'obéir à leur évêque sous peine d'excommunication (1).

Vers 760, Chrodegand, évêque de Metz, établit pour son chapitre une règle de trente-quatre articles tirée en grande partie de celle de saint Benoist. Cette fondation n'engendrait pas encore celle des chanoines réguliers, canonici regulares, qui n'ont été institués qu'aux onzième et douzième siècles après les Conciles de Rome de 1059 et 1063.

Le Concile d'Aix-la-Chapelle (817) montre que les chanoines devaient habiter « dans un cloitre exactement fermé, dont la clef était portée chez le doyen du chapitre après l'heure de Complies. Il leur était permis d'avoir des habitations particulières dans le cloitre, d'user de linge, de faire gras, de donner et d'acquérir, de posséder des biens propres, tout en jouissant des bénéfices de l'Eglise. »

Ces bénéfices, fruits et oblations auxquels il est fait allusion plus haut, dans le Capitulaire d'Aix-laChapelle, à propos de la fondation des hôpitaux, étaient fixés et réglés par la coutume.

Certains historiens prétendent que les évèques, pour parer aux inconvénients de l'indivision et éviter

(1) BALUZE, t. I, p. 173.

toute difficulté avec leur chapitre, qui, souvent, ne se pliait que difficilement à leur autorité, leur abandonnèrent des terres et des bénéfices bien déterminés; ces raisons ne vont pas contre la théorie de Guérard qui, dans la préface du Cartulaire de Notre-Dame de Paris, page LIX, explique de la manière suivante la séparation de la mense épiscopale d'avec la mense capitulaire.

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<«< La discipline concernant l'administration extérieure de l'Eglise, ayant été fortement ébranlée par la chute de l'autorité centrale, fut bientôt corrompue par l'invasion et le mélange des principes et des institutions de la féodalité. L'évèque, devenu grand seigneur terrien, n'eut sur ses chanoines, pour les choses temporelles, qu'un pouvoir purement féodal, et ceux-ci possédèrent, pour ainsi dire, leurs biens féodalement. Entrainés par l'esprit d'appropriation, qui descendit alors des plus hautes aux plus basses classes de la société, et se répandit dans toute la France, ils se saisirent des fonds ecclésiastiques dont les revenus servaient à leur entretien, et, les ayant affranchis de la juridiction épiscopale, rompirent facilement les liens de la vie commune. »

La séparation de la mense épiscopale et de la mense capitulaire s'est effectuée du neuvième au onzième siècle; pour l'Eglise de Paris, elle eut lieu en 829. Ce n'est qu'en 1113 que l'évêque de Bazas procéda au partage des biens de l'episcopatus, en présence de l'archevêque d'Auch et des évèques d'Aire, Tarbes, Oloron et Bayonne, partage qui dut ètre renouvelé ou complété en 1126 et 1127 (1).

(1) Archives historiques de la Gironde, XV, 26, 61, 64, cité par Achille LUCHAIRE: Institutions monarchiques de la France, t. II.

v

Séparation, à Paris, de la mense épiscopale d'avec la mense capitulaire. C'est devant le Concile réuni dans l'église cathédrale de Saint-Etienne (829) que l'évêque de Paris, Inchad, à la demande de ses chanoines, en présence de quatre archevêques et de vingt évêques, constitue la mense capitulaire : << Nous, Inchad, évêque de Paris, donnons et allouons à nos frères, les terres qui suivent: Andresy, Hileriacum, Orly, Chevilly, Châtenay, Bagneux, l'Hay et Itteville, avec toutes leurs dépendances ; plus les terres qu'ils ont reçues de la piété des fidèles, particulièrement celle de Sucy, qui leur a été déléguée par l'illustre comte Etienne, de sainte mémoire, et par Amaltrude, son épouse; à la condition que le tiers du revenu de cette terre soit appliqué au luminaire de l'église. De plus nous leur avons appliqué la moitié des nones provenant de nos biens ecclésiastiques. Mais nous voulons qu'ils soient chargés de l'entretien des bâtiments affectés à leur habitation et qu'ils reçoivent avec amour et admettent à leur table nos frères des autres congrégations, tant les chanoines que les moines qui viendront loger chez eux. Enfin, nous ordonnons que la dime de la partie seigneuriale, dans les terres dénommées ci-dessus, soit dévolue intégralement à l'hôpital de Saint-Christophe, depuis Hôtel-Dieu, dans lequel nos frères doivent, à l'époque fixée, laver les pieds des pauvres »> (1).

Des donations successives furent faites au chapitre soit par l'évèque, soit par le roi ou les fidèles, de sorte que les biens attribués à la mense capitulaire

(1) Cartulaire de Notre-Dame de Paris, t. I. p. 321.

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