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25 Mai 1808.

'Lorsqu'on prétend qu'une lettre de change a une cause illicite, peut-on astreindre les porteurs à comparoître en personne, et à produire leurs livres de commerce?

Jugé, dans l'espèce suivante, pour l'affirmative.

Des difficultés s'élèvent sur une lettre de change ainsi concue: « Montagne-le-Motier, le 30 mai 1807. - A six mois de date, payez par cette première de change, à l'ordre de M. Paul Schaffler, 11,000 liv. tournois, valeur en compte, que passerez au mien, suivant l'avis de M. Jacques-Henri Juillera. Signé J.-H. Schaffler. Accepté, J.-H. Juillerat. - Et au dos: Payez à l'ordre de M. Isaac Schaffler, valeur entendue. Montagne-leMotier, le 2 juin 1807. P. Schaffler. »

L'ordre est passé à plusieurs autres personnes.

Le sieur Arnold, porteur de la lettre de change, la présenta à son échéance au sieur Juillerat, qui refusa de la attendu payer, - Imhoff qu'ils n'avoit aucuns fonds. et Gass, poursuivis comme endosseurs, actionnèrent à leur tour le tireur, l'accepteur et les endosseurs. Ceux-ci demandent que, sans s'arrêter aux prétendus lettre et endossement qui seront déclarés nuls, comme faits pour et sur une cause illicite, Imhoff et Gass soient déboutés de leurdemande; subsidiairement, qu'ils soient tenus de déposer leurs registres et de comparoître en personne, pour être interrogés sur faits et articles. Le 12 février 1808, jugement qui, attendu que l'acte du 30 mai dont il s'agit, contient tous les caractères d'une lettre de change; qu'elle est tirée d'un lieu à un autre; que les signataires d'icelle reconnoissent leurs signatures; qu'ils n'ont pas pris de fausses qualités ni de domicile supposé; qu'il ne s'y rencontre donc aucune des suppositions énoncées en l'article 112 du Code de commerce, qui puisse réduire ladite lettre à la valeur d'une simple promesse; Que l'article 14 dudit Code ne permet aux tribunaux d'ordonner la communication des livres que dans les affaires de succession, communauté, partage de société, et en cas

de faillite; que la voie de l'interrogatoire sur faits et articles n'est également pas admise dans les tribunaux de comOrdonne l'exécution provisoire sans cau

merce.

tion.

....

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Sur l'appel, Juillerat et consor's prétendent qu'il n'ont ni reçu ni profité des 11,coo fr.; que la cause de la lettre de change est illicite, attendu qu'elle a pour objet l'assurance de la contrebande: or, dans les principes les moins véritables, l'engagement qui a pour but de frauder les lois de l'Etat, est nul. Comment prouver cette cause illicite? - En matière de simulation, les présomptions suffisent lorsqu'elles sont fortes et concluantes: or, dans l'espèce, il y a un tireur, un accepteur et quatre endosseurs, tous recherchés ; ces six individus ne font aucun commerce, leur fortune est peu solide; le tireur est un simple métayer, n'ayant de moyen de subsistance que le produit de ses vaches; l'accepteur est un jeune homme, peintre paysagiste, et le tireur et les endosseurs sont parens, hors Roess, le quatrième endosseur. Comment ces négociations ont-elles pu être aussi rapides, et les ordres porter toujours valeur en compte, lorsque cela ne doit s'entendre qu'entre négocians étant en compte courant?

Subsidiairement, les premiers juges ayant déclaré que l'interrogatoire sur fails et articles ne pouvoit avoir lieuen matière de commerce, les appelans ne peuvent y parvenir qu'en faisant réformer le jugement. Il en est de même des livres de commerce des intimés, que les appelans ont intérêt de faire produire : en effet, si ces livres ne portent aucune trace de la lettre de change, ou si elle y est mentionnée, on verra que sa cause est illicite, et, de toutes les manières, les appelans en tireront avantage.

La célérité nécessaire aux négociations des lettres de change s'oppose, en général, à la demande des appelans; mais il en est autrement lorsque, comme dans l'espèce, il y a soupçon de fraude.

L'article 428 du Code de procédure porte que le tribunal pourra, dans tous les cas, ordonner, méme d'of fice, que les parties seront entendues en personnes, etc. A plus forte raison dans le cas actuel. Cette disposition. est encore confirmée par l'art. 642 du Code de commerce. - Quant aux livres de commerce, on objectera sans

doute un arrêt du parlement de Bordeaux, de 1703, qui a jugé qu'en matière de lettres de change le marchand ne peut être tenu à représenter ses livres : cet arrêt est contraire aux principes. L'ordonnance de 1673, titre 3, art.. 10, porte que le négociant peut être tenu de représenter ses livres, s'il en est requis, en offrant par la partie d'y ajouter foi; el Jousse observe qu'en cas de refus de produire les livres, le juge doit alors déférer le serment à l'autre partie: or, ici les appelans offrent, mais trèssubsidiairement, d'ajouter foi aux livres des intimés. On répondoit pour les intimés:

Les présomptions de fraude qu'on entend faire valoir, méritent à peine d'être réfutées.

Les appelans ne sont pas négocians, dit-on, mais tous les jours des non négocians signent des lettres de change, et par-là deviennent justiciables des tribunaux de conimerce. On dit : les intimés sont des métayers, non, ils sont des propriétaires; l'un même est horloger: leur fortune est mediocre; qu'importe, pourvu qu'un seul soit solvable?

On tire avantage du matériel de la lettre de change: mais il ne s'agit pas de vérification d'écritures; d'ailleurs, les blancs-seings sont admis pour l'utilité du commerce, ce qu'a encore confirmé un arrêt récent de la cour de cassation, du 2 prairial an 13. Quant aux ordres qu'on dit avoir été mis en blanc, cela ne sauroit concerner les intimés, pour qui il suffit que la lettre ait les caractères nécessaires à sa validité. Ils n'ont pas à rendre compte des ordres qui ont précédé celui signé de Ross; que le premier porteur et le tireur se querellent, cela devient indif férent aux intimés. Les appelans demandent subsidiairement la représentation des livres et l'interrogatoire, mais les lettres de change sont le papier monnoie du commerce; une lettre une fois mise en circulation, on ne peut opposer d'exceptions contre le dernier porteur. Il résulte des art. 121, 140 et 157 du nouveau Code de commerce, et du discours de l'orateur, que le paiement d'une lettre de change ne peut être arrêté que par l'inscription de faux. Les auteurs cités par les appelans ne disent pas que le dernier porteur de lettres négociées pourra être tenu de représenter ses livres : il pourroit en être autrement, peut-être, dans un litige entre le tireur d'une

lettre et le premier endosseur, mais non à l'égard du dernier porteur, à qui toutes les négociations précédentes de la lettre ont été étrangères. Quant à l'interrogatoire qu'on exige des intimés, il seroit contre tous les principes. Le Code de procédure qui le permet en matière civile, n'a pas pas étendu sa disposition aux affaires commerciales; et si le Code de commerce autorise la comparution en personne, ce n'est pas dans le cas où il s'agit de lettres de change. D'ailleurs, que pourroient dire les intimés lors de l'interrogatoire, si ce n'est qu'ils ont acheté et payé la lettre? Ils ne sauroient répondre pour les endosseurs précédens. Il faudroit donc que ceux-ci représentassent aussi leurs livres, à quelque grande distance qu'il pussent être du tribunal saisi du litige. Cette manière de procéder ne peut être accueillie.

ARRÊT. Vu l'article 428 du Code de procédure, ainsi concu...; les articles 15 et 642 du nouveau Code de commerce, portant...;

Attendu que, dans une cause de l'espèce de celle-ci, qui sort des règles ordinaires, puisque l'objet du litige est une lettre de change que l'on soutient nulle, fondé sur des circonstances graves, et notamment sur ce que la cause de cette effet est illicite, comme contraire aux loix publiques de l'état, il pouvoit être du plus grand intérêt des appelans d'obliger les intimés à s'expliquer en face de la justice, de parvenir à découvrir la vérité; que les appelans y ayant conclu formellement eu première intance, leur demande à cet égard étoit d'autant plus dans le cas d'être accueillie par le tribunal à quo, qu'il étoit même autorisé à l'ordonner ainsi d'office, comme cela résulte des dispostions du Code de commerce ci-devant rappor tées : il y a donc lieu, en émendant, faisant ce que les premier juges eussent dû faire, d'ordonner la comparution des intimés en personne, et la représentation de leurs livres.

Par ces motifs, conformément aux conclusions de M. le procureur-général, la Cour met l'appellation et ce dont est appel aux néant: émendant, avant faire droit sur le principal, ordonne que dans le mois, à compter de la signification du présent arrêt, les intimés comparoîtront en personne pardevant la Cour, pour être entendus sur les faits allégués en la requête du & février 1808, et autres

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à suppléer, le cas échéant; comme aussi qu'ils représenteront leur livre-journal et celui de caisse, si aucun il y a, pour en extraire ce qui concerne le différend; sauf auxdits intimés à faire ficeler et cacheter toutes les feuilles des mêmes registres non relatives au même différend, pour, sur le procès-verbal qui en sera dressé ; être ultérieurement statué ce qu'au cas appartiendra, dépens.

réservés.

13 Juin 1808.

Les tribunaux de commerce peuvent-ils connoître, incidemment, de l'état des personnes ?

Peuvent-ils connoître d'une demande en paiement de billet, formée contre un tiers, non comme débiteur personnel, mais comme pouvant étre tenu aux dettes de ce débiteur?

Ces deux questions ont été jugées, dans l'espèce suivante, pour la négative.

Le sieur Gaumontavoit souscrit un billet à ordre au profit du sieur de l'Ecluse.

Celui-ci fit protester le billet à son échéance, et fit assigner le sieur Morel devant le tribunal de commerce de Bruges, pour le faire condamner à lui payer le montant du billet, comme mari d'Elisabeth Renouf, veuve Gaumont, qui avoit été commune en biens avec son premier mari, et qui l'étoit encore avec le second.

Morel comparut et soutint qu'il n'étoit pas marié avec la veuve Gaumont.

Le tribunal de commerce admit l'Ecluse à prouver que Morel avoit épousé la veuve Gaumont.

Morel refusa de faire la preuve contraire, par la raison que, s'agissant de l'état des parties, le tribunal de commerce n'en pouvoit connoître.

23 mai 1806, le tribunal, sans avoir égard au déclinatoire de Morel, trouvant la preuve concluante, condamne Morel au paiement du billet.

POURVOI par Morel pour incompétence, excès de

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