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» Que le bail à rente viagère fait par le même sieur Bourdaiseau, de tous ses biens aut profit de la demanderesse, postérieurement à la rédaction de son testament, n'avait ni les caractères ni l'étendue du legs porté en son testament; que le bail à rente ne comprenait que des corps certains, et ne comprenait pas les biens à venir;

Qu'en droit, l'alienation faite par un tes tateur, depuis la confection de son testament, de corps certains et présens, ne revoque point une disposition à titre universel, tant des biens présens que des biens à venir; » Que la demanderesse, ayant renoncé au bénéfice du bail à rente, avait droit aux trois quarts des biens qui avaient été compris dans ce bail, ainsi qu'aux trois quarts des autres biens, » Que la cour d'appel seante à Poitiers, en décidant que le bail à rente opérait la Revocation du legs, a violé la loi ci-dessus citée, et fait une fausse application de l'art. 1038 du Code civil;

»Par ces motifs, la cour casse et annulle..». (Bulletin de la cour de cassation, tome 10, page 121).

Même décision dans l'espèce suivante : Le 2 mars 1808, le sieur François Albitte fait un testament olographe, par lequel il lègue l'universalité des biens qu'il laissera à son décès, au sieur Louis Albitte de Vallivon, son frère.

Le 8 janvier 1814, il lui vend, par acte notarie, presque tous ses biens meubles et immeu bles,moyennant une somme de 5,000 francs une fois payée, et une rente viagère de 2,000 francs.

Il meurt le 26 décembre de la même année, avant d'avoir touché les 5,000 francs qui for ment une partie du prix de la vente.

Des neveux qui lui restent d'un frère prédécédé, se présentent comme héritiers, et soutiennent, en citant l'art. 1038 du Code civil, que la vente du 5 janvier 1814 a révoque le legs universel contenu dans le testament du 2 mars 1808.

Le 25 mars 1822, arrêt de la cour royale de Rouen qui le juge ainsi,

«Attendu qu'un testament ne peut avoir d'effet qu'au décès du testateur, et autant que celui-ci n'a pas changé de volonté ; qu'une aliénation postérieure à un testament et de la totalité des objets légués, est une Revocation du testament, aux termes de l'art. 1038 du Code civil;

» Attendu que, dans l'espèce particulière, le sieur François Albitte, par acte passé devant Me Gervais, notaire à Neufchâtel, le 5 janvier 1814, a vendu à son frère, Albitte de Vallivon, la totalité de son mobilier et de

son immobilier, pour le prix de 5,000 francs et de 2,000 francs de rente viagère ; que, tant que cet acte existera, le sieur Albitte de Vallivon ne peut invoquer le testament olographe du 2 mars 1808, cet acte de libéralité ayant été anéanti par ledit acte onéreux du 5 janvier 1814, quoique cet acte ait été fait au profit de celui qui avait été établi legataire universel; puisqu'il résulte des circonstances du procès que le sieur François Albitte voulait aliéner sa fortune mobilière et immobilière, mais seulement en donner la préférence à son frère Albitte de Vallivon, dans le cas où celui-ci accepterait les conditions de la vente ».

Mais le sieur Albitte de Vallivon se pourvoit en cassation ; et par arrêt contradictoire du 27 mai 1824, au rapport de M. Portalis, et sur les conclusions de M. l'avocat général Jourde,

« Vules art. 1003 et 1038 du Code civil...; » Attendu que le legs universel n'est point une disposition par laquelle le testateur donne l'universalité des biens qu'il possède au moment de l'institution, mais seulement l'universalité des biens qu'il laissera le jour de son décès;

» Que, dès-lors, les diverses dispositions que le testateur peut faire de ses biens durant sa vie, postérieurement à son testament, soit par vente, soit par donation, diminuent sans doute les avantages qui auraient pu résulter, pour le légataire, de son legs universel, mais ne sont point une preuve que le testateur ait changé de volonte à son égard, et ne sauraient par conséquent entrainer la revocation du legs universel;

» Attendu que, si l'art. 1038 du Code civil décide que toute alienation faite par le testateur, emporte révocation du legs pour tout ce qui a été aliene, cette règle, qui est essentiellement applicable aux dispositions testamentaires par lesquelles un testateur a legué un corps certain, ou une chose déterminée,ne saurait l'ètre au legs universel qui n'a point pour objet les biens actuellement en la possession du testateur, mais qui se réfère uniquement à la somme éventuelle et indéterminée qu'il possédera au temps de sa mort ;

» Attendu qu'en jugeant que le legs univer sel institué au profit d'Albitte de Vallivon par François Albitte, avait été révoqué par la vente à lui passée le 6 janvier 1814, la cour royale de Rouen a expressément violé et faussement appliqué les art. 1003 et 1038 du. Code civil;

» La cour casse et annulle..... (1)».

(1) Ibid., tome 16, page 218.

Par la même raison il est clair que, si, après vous avoir légué un immeuble, je vous le donne entre-vifs, la donation entre vifs n'emportera pas révocation du legs, et que, si l'une venait à être annulée, l'autre n'en conserverait pas moins tout son effet. V. L'arrêt de la cour de cassation, du 6 juin 1814, rapporté à l'article Simulation, §. 5, no 2. ]]

Dans les cas où l'aliénation révoque le legs, la Revocation s'éteint-elle par le rachat que fait le testateur de la chose aliénée ?

La loi 15, D. de adimendis legatis, décide que non; mais elle excepte le cas où le légataire parviendrait à prouver que le testateur a fait le rachat pour revalider le legs.

[[Mais l'art. 1038 du Code civil, en confirmant la règle générale établie dans cette loi, ne la limite point par la même exception; et dés-là, nul doute que le légataire ne soit inad missible à prouver le retour du testateur à sa première volonté, autrement que par un nou. veau testament. ]]

50 L'inimitié survenue depuis le testament ou le codicille, entre le testateur et le légataire, révoque le legs, ou du moins le rend inutile par voie d'exception. C'est ce que prou. vent les lois 3, §. dernier, et 22, D. de adimendis legatis, et la loi 9, D. de his quæ ut indignis.

On demandera, sans doute, pourquoi l'inimitié produit cet effet contre le legs, tandis que, suivant le second des textes qu'on vient de citer, elle ne porte aucune atteinte à l'institution.

La raison en est simple : c'est qu'aux termes de la loi 36, §. 3, D. de testamento militis, la seule volonté du testateur suffit pour révoquer un legs, au lieu que, pour révoquer une institution, il faut des solennités particulières. Une légère brouillerie, un petit refroidissement n'a pas, en cette matière, le même effet qu'une inimitié véritable: sin autem levis offensa, manet fideicommissum, dit la loi 3, §. dernier, D. de adimendis legatis.

« On doit aussi (selon Pothier) avoir égard à la qualité de la personne du légataire : si le legataire n'avait d'autre titre que celui d'ami du testateur, pour avoir mérite le legs qui lui a été fait, l'inimitié survenue de puis fait facilement présumer la révocation de ce legs; mais si le légataire était l'un des enfans du testateur, ou son plus proche parent en collaterale, ou son insigne bienfaiteur, on ne présumera pas si facilement la Révocation du legs; car, en ce cas, on peut croire que, si le testateur n'a pas révoqué le legs, c'est qu'il a été plus sensible aux liens du sang

ou aux bienfaits reçus, qui lui rendent chère la personne du légataire, qu'à l'offense qu'on présume qu'il lui a pardonnéę.

» Suivant ces principes (continue Pothier), le legs fait à un domestique, doit être cense révoqué si le testateur, depuis, l'a chassé de chez lui par mécontentement.

» Il en serait autrement, s'il en était sorti parcequ'il n'était plus en état de servir, ou qu'il eût demandé son congé pour prendre un établissement, de l'agrément de son mai

tre ».

Ce dernier point a été confirmé par un arrêt du parlement de Paris, du 13 juillet 1767, rapporté dans la Collection de jurisprudence. Il s'agissait d'un legs que M. le maréchal de Thomond avait fait au nommé Sevestre, son cuisinier. On soutenait que, celui-ci s'était rendų indigue de la libéralité du testateur, en quittant son service. Il répondait « qu'il n'é»tait sorti de chez le maréchal de Thomond, » qu'à cause d'une maladie; qu'il n'avait point » perdu pour cela la protection de ce seig»neur, qui même l'avait placé chez le mar» quis de Sassenage; enfin, que s'étant écoulé >> trois ans depuis sa sortie, sans que le testa» teur eût révoqué le legs, c'était une preuve » que M. le maréchal de Thomond avait per»sisté dans sa volonté ».

L'inimitié révoque aussi bien un legs universel qu'un legs particulier; car,«< à cet egard (dit » Furgole, chap. 11, no 107) il n'y a point de » distinction à faire, parceque les lois n'en font » point ».

Ce principe est très-constant; néanmoins voici une espèce dans laquelle on l'a invoqué sans succès.

Marie-Catherine Dupré, riche fermière du village d'Abscon, près de Douai, avait nomme légataire universelle la dame Haly, sa parente, qui demeurait avec elle. Après sa mort, le sieur Dubuisson, heritier ab intestat, demanda la nullité du legs. Entr'autres moyens, il articula et offrit de prouver que la dame Haly s'était rendue coupable de l'ingratitude la plus noire envers la testatrice; qu'elle s'était emparée, sur la fin de ses jours, de l'administration et de la jouissance de tous ses biens; qu'elle l'avait tenue, pendant tout ce temps, en captivité dans une cuisine; qu'elle l'avait abandonnée à elle-même au milieu de l'ordure; qu'elle lui avait souvent refusé jųsqu'à de simples rafraîchissemens ; qu'elle l'avait réduite à recevoir de la compassion, de ses domestiques, les secours les plus vils et les plus humilians ; que la testatrice n'avait pas cessé d'en temoigner son désespoir; que souvent même elle s'écriait: Mon dieu! mon

dieu! Comment est-il possible d'avoir fait ce que j'ai fait? Comment ai-je pu étre attrapée par une cousinette comme ça? Qu'enfin on l'avait fait mourir dans la dernière misère.

Les officiers de la gouvernance de Douai, devant qui le procès fut porté en première instance, admirent la preuve de ces faits: mais, sur l'appel, leur sentence a été infirmée par arrêt du parlement de Flandre du 13 avril 1777, au rapport de M. Hériguer. Le sieur Dubuisson s'est pourvu en révision, mais infructueusement. Par arrêt rendu le.... décembre 1779, au rapport de M. Le Boucq, la cour a déclaré qu'erreur n'était intervenue. Le sieur Dubuisson ne s'en est point tenu là: il a pris la voie de la cassation : mais sa requête a été rejetée par arrêt du.......1781.

J'écrivais, dans cette affaire, pour le sieur Dubuisson.et j'ai su que les opinions n'avaient été uniformes dans aucun des trois arrêts.

Parmi les magistrats qui ont été d'avis de rejeter la preuve, les uns se sont déterminés par l'intervalle qu'il y avait eu entre l'époque où l'on prétendait que les mauvais traitemens avaient commencé, et la mort de la testatrice, et ils en ont conclu que la demoiselle Dupré n'avait pas voulu révoquer son testament, puisqu'elle avait eu le temps de le faire, et qu'elle ne l'avait point fait.

Les autres ont été frappés du danger d'admettre, en cette matière, la preuve testimoniale, sans commencement de preuve par écrit. Ceux-ci ont considéré que la dame Haly étant parente de la testatrice, on ne devait pas, pour quelques mauvais propos tenus passagèrement de part et d'autre, présumer que la testatrice lui eût entièrement retiré son affection, surtout en continuant de demeurer avec elle.

Ceux-là se sont décidés par le principe établi à l'article Révocation de codicille, S. 4, que, dans les Pays-Bas, il faut, pour révoquer un codicille, employer les mêmes formalités que pour le faire; et ils en ont inféré qu'on devait, dans ces provinces, appliquer aux simples legs, ce que la loi 22, D. de adimendis legatis, décide par rapport aux institutions d'héritier, c'est-à-dire que l'inimitié n'était pas plus une cause de Révocation pour les uns que pour les autres.

[[Telle était en effet la doctrine de Groenewegen, dans son traité de legibus abrogatis, sur la loi 3, §. dernier, D .de adimendis legatis. Mais il avait été victorieusement réfuté par Voet, liv. 34, tit. 4, no 5.

Aujourd'hui, plus de différence entre les institutions d'héritier et le legs; et les unes sont révoquées, comme les autres, par l'inimi

tié survenue entre le testateur et l'héritier institué ou légataire. Mais l'art. 1046 du Code civil n'admet la présomption d'inimitié, à l'effet d'opérer la Révocation, soit d'une institution d'héritier, soit d'un legs, que dans deux cas : le premier, lorsque l'institue ou légataire a attenté à la vie du testateur ; le sccond, lorsqu'il s'est rendu coupable envers lui, de sévices, délits ou injures graves. ]]

60 La cessation de l'unique motif qui a porté le testateur à faire un legs, en fait présumer la Révocation.

La loi 25, D.de adimendis legatis, nous en offre un exemple. Un testateur avait légué un fonds à l'un de ses héritiers, et avait ordonné que l'autre prélèverait, sur une certaine créance, une somme égale au prix de ce fonds. Depuis, il avait aliené volontairement le fonds et, par-là, révoqué le legs fait au premier. Après sa mort, il fut question de savoir si cette Révocation emportait celle du second gs, et il fut décidé qu'oui, parcequ'il était évident que le testateur n'avait eu d'autre vue, en faisant ce legs, que d'établir une parfaite égalité entre ses deux héritiers.

La loi 30, S. 2, au même titre, nous présente un autre exemple. Un testateur avait fait un legs à une personne pour la récompenser du soin dont il la chargeait de faire conduire son corps dans un certain lieu qu'il avait choisi pour sa sépulture; mais ayant déclaré, par une disposition postérieure, qu'il ne voulait plus être inhume en ce lieu, on décida que le legs devait être présumé révoqué.

De là on peut conclure que, si un testateur avait légué quelque chose à son exécuteur testamentaire, et que, par une disposition subséquente,il en eût nommé un autre à sa place, il y aurait lieu de présumer la Révocation du legs.

A plus forte raison doit-on regarder comme révoqué, ou plutôt comme transféré, le legs qu'a fait un testateur à la personne qui serait à son service au moment de son décès, lorsque, dans l'intervalle du testament à l'ouverture de la succession, le testateur a changé de domestique. Voici une espèce qui s'est présentée depuis peu à ce sujet.

En 1761, Charles-Jean-Baptiste Jarry de Loiré, président honoraire au bureau des finances de la Rochelle, prit à son service la nommée Antoinette, femme Cornu.

Le 29 juin 1775, parvenu à l'âge de quatrevingt-cinq ans, il fit un testament olographe, par lequel il légua à la personne qui se trouverait être à son service le jour de son décès, la somme de 1,600 livres, une fois payée.

Deux ans après, il fut frappé d'une paralysie qui lui óta l'usage de toutes ses facultés, et en conséquence, sa famille le fit interdire.

A peine s'était-il écoulé un mois depuis l'interdiction, que le curateur congédia la femme Cornu, et la remplaça par le nommé Mussi et sa femme.

Le testateurne survécut que six semaines à la sortie de son ancienne domestique : il mourut en mai 1777.

La femme Cornu réclama alors le legs dé 1,600 livres porté dans le testament du 29 juin 1775. Mussi et sa femme prétendirent, au contraire, que ce legs devait leur être adjugé. Les héritiers demeurerent spectateurs du combat, et s'en rapporterent, sur le tout, à la prudence des juges.

Le 26 mai 1778, sentence du châtelet qui déclare l'ancienne gouvernante non-recevable dans sa demande, et fait délivrance à Mussi

et à sa femme du legs de 1,600 livres avec les

intérêts.

Appel au parlement de Paris.

<< Sans doute (disait le défenseur de la femme Cornu).les testamens sont les plus respectables de tous les actes, puisqu'étant les derniers vœux de l'homme mourant,ils doivent être faits dans le silence des passions et dans le recueillement de la sagesse; et que d'ailleurs chacun peut, sous la direction de la loi, disposer de sa chose à son gré. Mais ce respect n'est point pour la forme matérielle de l'acte : plus éclairé dans ses motifs, il se rapporte et s'élève au testateur seul. Ce n'est qu'en pénétrant, par les circonstances, dans l'esprit de ce législateur domestique, que l'on peut apprendre à expliquer, à connaître et honorer ses décrets; et ce soin devient surtout indispensable, lorsque la lettre du testament paraît, dans son exécution, résister à la volonté même du testateur.

» Il faut chercher quelle est cette personne à laquelle le sieur Loiré voulait donner un legs de 1,600 livres, cette personne entre les mains de laquelle il croyait rendre les derniers soupirs; et si l'on trouve, dans la volonté, le nom qui est omis dans la disposition, c'est à cette personne-là qu'appartient le legs : In conditionibus testatorum voluntatem po. tiùs quàm verba considerare opportet.

» A l'époque du testament, il y avait quatorze ans qu'Antoinette servait le sieur de Loiré. Pendant ce long séjour, elle avait étudié le caractère, les mœurs, les goûts, les caprices et les faiblesses de son maître, elle s'y conformait. A force de soulager ses maux, elle savait en prévoir les périodes et les degrés, et elle réglait ses derniers soins sur le succès qu'avaient eu les premiers.

» D'ailleurs, les malades ont besoin, pour leur propre soulagement, de contracter, avec ceux qui les assistent, une certaine familiarité, qui ne vient que par une longue société, qui se cimente par un attachement réciproque, et qu'ils ne prennent pas sans gêne, sans embarras et sans une sorte de honte, avec de nouveaux venus. Cette contrainte de l'ame est, pour eux un autre mal, souvent plus incommode que les accidens du corps; aussi estil rare que les vieillards, et surtout les infirmes d'habitude, renvoient ceux qui ont coutume de les servir. Semblables à ces monumens antiques qui s'écroulent dès qu'on y porte la main, tout changement, mème du mal au bien, a pour eux ses dangers; et ce n'est qu'en se soutenant dans un équilibre parfait de corps et d'esprit, qu'ils peuvent durer

encore.

» Loin donc que ces malheureux songent à prendre de nouveaux domestiques, ils craignent bien plutôt que les anciens ne se rebutent; et c'est en se les attachant par des bienfaits, qu'ils se les conservent; de sorte que l'on ne sait trop si, dans l'exercice de leur liberalité, ils ne pensent pas autant à eux-mêmes qu'à ceux qu'ils gratifient. Ils sont, hélas! réduits à payer, pour ainsi dire, le peu de jours qu'il leur reste à vivre.

» Ainsi, animé, d'un côté par l'intérêt personnel; de l'autre, penetre des mouvemens de la reconnaissance, le sieur de Loiré se dispose à faire son testament. Après avoir donné ses soins à d'autres détails, il revient sur luimême ; et considérant le long temps que sa gouvernante demeurait avec lui, il veut etablir une sorte de proportion entre ses bienfaits et les services qu'il a reçus. Antoinette l'a soigné pendant quatorze années; il lui lègue une somme de 1,600 livres. Ce frappant rapport du prix à la chose, cette convenance entre le salaire et la peine, cet ordre du bienfait au service, tout publie, tout désigne la véritable destination du legs; tout annonce la volonté du testateur; tout nomme Antoinette. Ces réflexions se fortifient encore davantage, lorsqu'on observe que le testament est tracé par la main tremblante de ce vieillard. De tous les cas où l'on corrige la lettre par la volonté, le plus favorable est celui des testamens olographes. 11 n'est pas naturel d'attendre de l'ignorance des formes, moins encore de l'engourdissement de l'esprit et de la paralysie de l'ame, cette netteté, cette précision, cette exactitude que l'on ne trouve que dans la vigueur de l'âge et dans les beaux jours de la raison.

» Que nos adversaires cessent d'isoler la dis

position, qu'ils rapprochent l'effet de sa cause, et le legs perdra son obscurité prétendue ; ils sentiront que toute formule a paru propre et lumineuse au testateur, parceque, voulant récompenser quatorze ans de service, il lui semblait impossible de s'aveugler sur la destination de la récompense, parcequ'en un mot la force de l'intention lui tenait lieu de la force de l'expression. Enfin, qu'ils effacent de nos livres cette loi décisive à laquelle on ne voit aucune réplique : Nomina significandorum hominum gratiá reperta sunt, qui si alio quolibet modo intelligantur, nihil interest; ou bien qu'ils conviennent que rien ne peut plus vivement remplacer le nom de l'ancienne gouvernante, sinon les quatorze ans de service énoncés dans le prix du legs : Si alio quolibet modo intelligantur, nihil interest.

» Mais enfin pourquoi ne l'a-t-il pas expres sément nommée ? Parcequ'il était possible qu'elle le quittât elle-même; parcequ'il était possible qu'elle mourût avant lui; parcequ'il voulait, par cette incertitude, l'obliger à redoubler, de plus en plus, de zèle et de soins. Enfin, pourquoi avait-il quatre-vingt-cinq

ans ?

» S'il était vrai que le sieur de Loiré ne youlût point reconnaître les quatorze ans de service dont il avait toujours été satisfait, s'il songeait à renvoyer son ancienne gouvernante, si le legs devait appartenir à la nouvelle qu'il se proposait de prendre, quel était donc le premier acte qui devait suivre le testament? Le testateur était âgé de quatre-vingt-cinq ans ; il était assailli, de toutes parts, par les infir. mités de la caducité ; il n'avait plus qu'un pas à faire pour se perdre dans la tombe......; les momens devaient lui paraître pressans; et dans de pareilles crises, la prudence ne compte plus sur le lendemain. Si, dans la crainte d'être surpris par la mort, le sieur de Loire se hâtait de prononcer ses dernières volontés, il devait incontinent se presser de chasser son ancienne gouvernante, et de faire venir la nouvelle. A chaque minute il devait appréhender que le moment présent ne fût pour lui le dernier, et que la condition, s'accomplissant en faveur de la Cornu, ne détournât la destination hypothétique du legs.

» Cependant il la garde encore deux ans ; il la garde aussi long-temps que l'exercice de sa volonté; ce n'est que quand il ne veut plus, ce n'est que quand la loi le prive de la faculté de vouloir, ce n'est qu'un mois après son interdiction, qu'il la perd et qu'on l'en sépare, qu'on la lui enlève, qu'on la chasse; et vous viendrez soutenir, à la face des tribunaux, qu'il songeait à s'en défaire quand il a testé; et TOME XXX.

vous oserez dire qu'il entendait verser ses bienfaits sur vous, lorsqu'il a fait le legs? Ou intervertissez l'ordre de la raison, ou gardez à jamais le silence sur une prétention dont la cupidité seule vous masque l'absurdité. L'intention que vous prêtez au testateur, est la vôtre et non pas la sienne; et s'il était possible de concevoir qu'il l'eût eue un instant, il l'aurait formellement révoquée, en conservant celle que vous voulez dépouiller.

>> On objecte que la condition étant la seule base de la disposition, la femme Cornu ne peut obtenir l'une qu'en remplissant l'autre.

» Mais il faut distinguer deux classes de legs conditionnels : l'une, de ceux qui sont accompagnés de conditions arbitraires, gratuites, vaines, et dont l'exécution ne se rapporte point à la personne de celui qui les impose. Telles sont ceux-ci: Je donne 100 livres à Mévius, s'il monte au Capitole, s'il passe le Tibre à la nage, s'il arrive tel vaisseau d'Asie, si Seïus épouse Sempronia. Toutes ces sortes de conditions qui ressemblent plutôt à des gageures, et dans l'accomplissement desquelles l'intérêt du testateur est nul, doivent se remplir rigou. reusement, parceque, s'il veut se jouer de sa chose, il a droit d'exiger que l'on satisfasse à la loi sous laquelle seule il a consenti de la perdre.

» Dans l'autre classe, on comprend tous les legs dont les conditions sont dictées par un motif plus sérieux et plus respectable, et dont l'usage est plus fréquent : ce sont ceux qui tendent à attacher davantage le légataire à la personne du testateur, qui sont le prix des services reçus, et le monument sacré de la reconnaissance; ceux enfin, qui sont mérités, dus, acquis à l'instant de leur création, et dont la condition n'a pour objet qu'un supplément de fidélité, et qu'une surabondance de soins.

» Le testateur près de mourir, consacre 1,600 livres à reconnaître les services qu'il a reçus et qu'il recevra. La femme Cornu l'a servi quatorze ans avant son testament, deux ans depuis. La condition, dès-lors, est remplie; et le legs lui est dévolu depuis l'époque du testa

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