Page images
PDF
EPUB

<< Lorsqu'une femme (y est il dit) demande Ia Séparation, elle a la faculté de renoncer à la communauté ou de l'accepter....

» Il est vrai que ceux qui n'ont pas fait réflexion sur cet usage, sont d'abord prévenus d'un sentiment contraire, ne pouvant pas comprendre qu'une femme qui demande la Séparation, causée toujours par la ruine et la dissipation de son mari, puisse demander le partage d'une communauté qu'elle trouve bonne, puisqu'elle demande à la partager; mais en réfléchissant, on trouvera que ce qui

s'est observé, est fondé en raison....

» L'on a trouvé qu'il n'était pas nécessaire qu'un homme fût ruiné, pour obtenir par la femme une Séparation; mais lorsque l'on connaissait un déréglement...., on a cru qu'il n'était pas juste d'attendre que le bien qui avait été acquis ex mutuá collaboratione, fût dissipé, et qu'une femme, en justifiant que son mari, par ses déréglemens, vergit ad inopiam, pou vait demander la Séparation et le partage de la communauté ».

[[Le Code civil consacre formellement cette doctrine. Après avoir dit, art. 1441, que » la >> communauté se dissoud, 1o par la mort na»turelle, 2o par la mort civile, 3o par le di»vorce, 4 par la Séparation de corps, 5o par » la Séparation de biens »; il ajoute, art. 1453 après la dissolution de la communauté, la femme ou ses héritiers et ayant » cause, ont la faculté de l'accepter ou d'y re» noncer ». ]]

II. Du principe que la Séparation de biens dissoud la communauté, il résulte évidemment que tout ce que chacun des époux séparés acquiert, est pour son compte seul ; mais la sentence de Séparation a-t elle, en cette matière, un effet rétroactif à la demande, et peut-elle, par exemple, empêcher de tomber en communauté une succession mobilière qui est échue à la femme dans l'intervalle des premières poursuites au jugement?

L'affirmative ne peut souffrir aucun doute. La sentence qui a prononcé la Séparation, déclare que la femme a eu droit de demander la dissolution de communauté : cette dissolution était donc une justice qui lui était duc, le jour même où elle en a formé la demande; et dès là, pourquoi son effet ne remonterait-il pas à la même époque ? Vouloir que cet effet fût retardé par la procédure qu'il faut faire pour parvenir à la Séparation, ce serait autoriser le mari à plaider le plus long-temps qu'il lui serait possible,et à multiplier les chicanes. Aussi Pothier nous assure-t-il, dans son Traité de la communauté, que l'usage cons tant du châtelet de Paris est de prendrele

temps de la demande pour époque du partage qu'il y a à faire entre un mari et sa femme, lorsque celle-ci a obtenu une sentence de Séparation de biens. V. l'article Séparation de corps, §. 3.

[[ L'art. 1445 du Code civil est d'ailleurs là-dessus tres formel: « le jugement qui pro» nonce la Séparation de biens, remonte, » quant à ses effets, jusqu'au jour de la de» mande ». ]]

le droit, en renonçant à la communauté après III. On a déjà fait entendre que la femme a la sentence de Séparation, de demander ses reprises matrimoniales et le remploi de ses propres; mais doit-on, en ce cas, lui accorder les intérêts de ces objets, du jour de sa requête en Séparation?

Un arrêt du parlement de Paris, du 8 avril 1672, rapporté au Journal des audiences, a juge qu'elle ne peut les prétendre que du jour de la sentence, parceque, jusqu'à ce moment. son mari a été obligé de la nourrir et de l'entretenir.

Mais Rousseaud de Lacombe assure que l'usage constant du châtelet est contraire à cet arrêt, et qu'on y adjuge toujours les intérêts du jour de la demande en Séparation, sous la déduction néanmoins des alimens qui ont été fournis à la femme depuis ce temps, et de la part dont elle a dû contribuer aux charges du mariage.

Il faut convenir que cet usage parait très-conséquent, surtout si l'on fait attention au principe établi ci-dessus, la que sentence de Séparation doit avoir un effet rétroactif à la demande. Cependant il est un cas où il serait plus sage de s'en tenir à l'arrêt du 8 avril 1672: c'est lorsqu'il n'y a pas une notable différence entre les intérêts de la dot et les objets dont la femme doit faire raison à son mari, tant pour sa nourriture et son entretien, que pour sa contribution aux charges du mariage, et qu'en outre le procés en Séparation n'a pas duré long temps.

IV. On a agité au parlement de Bourgogne, la question de savoir si la femme qui a obtenu une sentence de Séparation, peut demander la main-levée des saisies que les créanciers de son mari avaient pratiquées auparavant sur les fruits de ses propres, encore pendans par racines. Perrier, quest. 128, rapporte un arrêt du 16 mai 1673, qui a jugé pour l'affirmative, sur le principe que les fruits sont regardés comme une partie du fonds.

V. La séparation ótant au mari l'adminis tration des biens de sa femme, il est clair qu'il ne peut plus, après qu'elle est prononcée,

recevoir, sans l'intervention de celle-ci, le remboursement d'une rente qu'elle a apportée en mariage, ou qui lui est échue depuis la bénédiction nuptiale : mais est-il privé de ce droit par la seule demande en Séparation, et ne peut-il pas l'exercer pendant l'instance? Qu'il puisse l'exercer pendant l'instance, lorsque la femme ne s'y oppose pas, c'est ce qu'on ne peut pas révoquer en doute. La question se réduit donc au point de savoir si la femme peut s'y oppposer; et elle vient de se présenter, sous cet aspect, au parlement de Paris.

La demoiselle Maillard, mariée au sieur D.., a été dotée de 15,000 livres par son père, dont 5,000 livres comptant, et 10,000 livres, en une rente de 500 livres. La dame D.... a été obligée de former sa demande en Séparation. Pendant le cours de l'instance, son père est mort; et par-là, le mari s'est trouvé dans le cas de recevoir le remboursement des 10,000 livres. La dame D.... a demandé à être

présente au remboursement et au remploi qu'il en ferait, et a formé opposition au rembour sement fait hors de sa présence. Une sentence du bailliage de Beauvais l'a déboutée de sa demande, et a fait main-levée de l'opposition. Sur l'appel, son défenseur disait qu'étant en procés avec son mari, elle devait le tenir pour suspect, et veiller elle-même à ses propres intérêts. Le maria soutenu que la femme n'étant pas séparée, ne pouvait former aucune demande qui tendit à ôter ou à gêner l'administration qui appartient de droit au mari; et que, dès-lors, la sentence des premiers juges, qui avaient débouté la femme de sa demande, ne pouvait manquer d'être confirmée. Par arrêt du 28 janvier 1782, l'appellation a été mise au néant, et la dame D.... a été condamnée aux dépens.

Mais il est à croire que des circonstances particulières ont déterminé cet arrêt. Si, comme on l'a vu plus haut, §. 3, art. 2, no 3, la femme peut, en se pourvoyant en Séparation, exercer des mesures conservatoires sur les meubles de la communauté dont le mari a, de droit, la libre disposition, à combien plus forte raison doit-il lui être permis d'exercer de pareilles mesures sur un capital qui lui est propre ?

VI. La femme séparée peut-elle demander son douaire, son préciput et ses autres droits de survie, comme si le mariage était dissous par mort?

Les lois et les stipulations faites pour un cas, ne doivent pas être étendues à un autre, lorsqu'il n'y a point entre eux une identité assez TOME XXX

croire que l'intention du legismarquée pour lateur ou des contractans a été de les com prendre tous deux dans leurs dispositions. Or, le cas de Séparation de biens n'a certainement point une telle identité avec le cas de mort; on ne peut donc pas accorder à la femme, dans l'un, des droits qui ne lui sont donnés, par la loi ou par son contrat de mariage, que dans l'autre.

C'est ainsi qu'ont jugé plusieurs arrêts du parlement de Paris.

Auzanet, sur l'art. 238 de la coutume de Paris, en rapporte un du 11 juillet 1616, qui déclare une femme séparée de biens non recevable dans la demande qu'elle faisait de son

douaire.

Le Journal des audiences nous en fournit un autre du 27 mars 1683, qui va jusqu'à refuser à la femme une pension qu'elle prétendait pour lui tenir lieu de douaire.

Desjaunaux nous en a conservé un du parle ment de Flandre, du 12 février 1699, par lequel il a été jugé, dans la coutume de Lille, qu'une femme ne peut, en renonçant à la communauté, après s'être fait séparer de biens, répéter son douaire et autres avantages de mariage.

Cette jurisprudence a pourtant eu bien de la peine à s'établir, et elle n'est pas universelle.

Anciennement le parlement de Paris ne faisait point de difficulté d'adjuger à la femme séparée le même douaire qu'à la femme veuve. Chenu, cent. I, quest. 42, en rapporte deux arrêts des 18 et 19 décembre 1576, et un troisième de 1577.

Dans la suite, cette cour réduisit la femme séparée à un demi- douaire. Le premier arrêt qui ait adopté ce tempérament, est du 20 mars 1593; il est rapporté par Filleau, part. 4, quest. 46; et l'on en a usé ainsi jusqu'à l'arrêt cité, du 17 mars 1684, qui a rétabli sur ce point les vrais principes dans toute leur vigueur.

L'usage du demi-douaire a encore lieu dans le Hainaut. Les chartes générales de cette province, chap. III, art. 7, décident que, si le mari a assigné le douaire de sa femme sur des biens particuliers, celle-ci aura droit, en cas de Séparation, d'en prétendre la moitié; mais que si l'assignat n'est pas fait au moment où le juge sépare les époux, le mari en sera quitte et déchargé.

D'autres coutumes vont plus loin et donnent un véritable et plein douaire à la femme sépa rée. Telles sont celles du Nivernais, du Maine et de Normandie.

[[ Mais la disposition de ces coutumes et celles des chartes de Hainaut sont abrogées.

50

Remarquez cependant que, si, par lecontrat de mariage, il avait été stipulé que les gains de survie auraient lieu dans tous les cas de dissolution de communauté, la femme pourrait les exiger en vertu du jugement de Séparation. V. l'article Préciput conventionnel, S. 1, no I. ]]

VII. La Séparation de biens ne dispense pas les époux de l'obligation de demeurer ensemble.

Denisart, au mot Femme, rapporte deux arrêts sans date, du parlement de Paris, qui l'ont ainsi jugé.

Il en a été rendu un semblable à la grand'chambre de la même cour, le 5 février 1782, audience de sept heures, contre une femme de vingt et un ans, qu'on prétendait mener une vie équivoque dans un appartement qu'elle avait loué. Une sentence du bailliage de Montbrison en Forez, lui avait ordonné de retourner avec son mari. L'arrêt a mis l'appellation au néant.

Voici néanmoins une espèce dans laquelle il en a été jugé autrement par la même

cour.

La dame Hatte ayant obtenu, le 4 septembre 1721, un arrêt qui ordonnait sa Séparation de biens d'avec son mari, se retira de sa maison, et vécut seule fort long-temps.

Elle lui fit, à différens intervalles, plusieurs sommations de la recevoir; mais aucune de ces sommations n'ayant eu de suite, il y avait tout lieu de croire qu'elle ne les avait faites que pour avoir l'air de se mettre en règle.

En 1752, après avoir été déboutée de sa requête civile contre l'arrêt qu'elle avait ellemême provoqué en 1721, clle demanda que son mari fut tenu de la recevoir chez lui. Le châtelet l'ordonna ainsi par une sentence par défaut.

Mais sur l'appel, le mari fit valoir la Sépa ration de fait qui subsistait depuis plus de trente ans ; et par arrêt rendu à la grand' chambre, sur les conclusions de M. l'avocat la général d'Ormesson, le 12 janvier 1753, cour, en infirmant la sentence du châtelet, débouta la dame Hatte de sa demande.

[[ C'est à Denisart que nous devons la conservation de cet arrêt; mais, sans doute, il nous en a laissé ignorer les principales circonstances; car celles qu'il nous retrace, ne suffisent pas à beaucoup près, pour en justifier la décision.

On trouvera à l'article Mari, §. 2, no 1, des arrêts plus récens, qui portent sur un cas d'une autre nature.

VIII. C'est de l'obligation de demeurer avec son mari, qui continue de peser sur la femme, nonobstant la Séparation de biens, que dérive la disposition de l'art. 1448 du Code civil: « La femme qui a obtenu la Séparation de » biens (y est-il dit ), doit contribuer, pro» portionnellement à ses facultés et à celles » de son mari, tant aux frais du ménage » qu'à ceux de l'éducation des enfans communs. Elle doit supporter entièrement ces » frais, s'il ne reste rien à son mari ».

Mais le mari peut-il exiger que la part contributoire de sa femme dans les frais du ménage, soit versée dans ses mains, pour que lui seul en fasse l'emploi, ou la femme a-t-elle le droit d'en régler elle-même l'usage?

Voici une espèce dans laquelle cette question s'est présentée.

Le 30 juillet 1778, sentence du châtelet de Paris qui ordonne que la dame de M..., « sera » séparée de son mari quant aux biens, pour » par elle jouir, à part et divis, des biens à » elle appartenant et étant en nature, et de » ceux faisant partie de sa dot, ensemble de » ceux à elle échus depuis son mariage, et qui » pourraient lur écheoir dans la suite ».

Un créancier du sieur de M.... appelle de cette sentence. Mais elle est confirmée contradictoirement avec lui et son épouse, par arrêt du parlement, du 3 février 1779; et en consequence, elle reçoit son exécution.

Le 16 mars suivant, le sieur de M.... passe un acte par lequel il consent que son épouse habite une maison séparée de la sienne.

En 1791, le sieur de M.... émigre. Il rentre en France, à la faveur de l'amnistie du 6 floréal an 10; et arrivé à Paris, il descend à l'hôtel de son épouse, où il est reçu avec toute l'attention et tous les égards qu'il peut désirer.

Quelques années se passent ainsi tranquillement. Mais en mai 1806, le sieur de M..... fait citer son épouse devant le bureau de paix, à l'effet de se concilier sur l'assignation qu'il se propose de lui donner devant le tribunal de première instance du département de la Seine, « pour voir dire qu'elle sera tenue de lui jus»tifier de ses biens et revenus..., se voir con>> damner à lui remettre, par douzième de mois >> en mois, la somme à laquelle sera fixée sa >> contribution annuelle aux dépenses commu»nes; sinon, qu'il sera autorisé à toucher lui» même cette somme des mains des fermiers, » locataires et autres débiteurs de la dame son » épouse; et attendu que la maison par eux » occupée, rue de l'Université, appartient à » cette dame, et que sa valeur locative fait par» tie des revenus et doit entrer dans la contri

>>bution de cette même dame, voir dire que » les loyers de cette maison seront estimés par >> experts; sous la réserve par lui, l'estimation >> etant faite, d'en conserver la jouissance ou » de louer un appartement commun, moins » dispendieux, dans telle autre maison qu'il » trouvera convenable ».

La dame de M.... comparaît sur cette citation, et fait à la demande de son mari, une longue réponse qu'elle résume en ces termes : << en » dernière analyse, M. de M.... veut que la >> comparante contribue aux dépenses de sa » maison. Mais elle seule tient la maison et en » paye les frais, depuis plus de vingt-cinq » ans; elle seule lui donne un appartement >> meublé dans cette maison. Il a toujours son > couvert mis à sa table; elle le fait servir, elle » fournit enfin à tous ses besoins. Si elle ne » lui demande rien, il a, à son égard, bien » moins à lui demander ».

A défaut de conciliation, l'affaire est portée devant le tribunal de première instance du département de la Seine où il intervient, le 13 février 1807, un jugement contradictoire par lequel,

« Considérant, en point de droit, qu'une Séparation de biens judiciairement prononcée entre deux époux, étant toujours fondée sur la preuve acquise de faits tant de dissipation que de mauvaise administration, détruit la puissance du mari sur les revenus des biens de son épouse; que, par l'effet de cette Séparation, la femme reprend la libre administration de tous ses biens, et rentre dans son droit primitif et exclusif de faire la recette et la dépense de ses revenus; que la seule charge que la loi impose, dans ce cas, a la femme, c'est de contribuer, proportionnellement à ses facultés et à celle de son mari, tant aux frais du ménage qu'à ceux de l'éducation des enfans communs; qu'elle doit même supporter entièrement ces frais, s'il ne reste rien au mari; que les droits résultans en faveur de la femme, de sa Séparation de biens, ne portent aucune atteinte à ceux acquis au mari, soit sur la personne de son épouse, soit pour veiller à la conservation de ses capitaux aliénés et de la propriété de ses immeubles réels;

» Que, dans l'espèce de la cause et en point de fait, par sentence du ci-devant chatelet de Paris, du 30 juillet 1778, confirmée par arrêt du 13 février 1779, la dame de M... a été séparée de biens, avec faculté d'en jouir à part et divis; que, depuis vingt-sept ans, ladite dame de M.... a toujours géré et administré ses revenus, et continué d'en faire la recette et la dépense ; qu'elle seule a fait les frais du ménage et de la maison commune,

sans aucune réclamation de la part de son, mari, qui, dans tous les temps, lui en a témoigné, même par écrit, sa satisfaction et sa reconnaissance; que la dame de M... offre encore de contribuer à faire seule, à l'avenir, comme par le passé,les frais du ménage et de la maison commune, dans la proportion de ses revenus ;

» Qu'enfin exiger de la part du sieur de M...., que son épouse verse entre ses mains une portion de ses revenus pour les employer aux frais du ménage, ce serait, d'un côté, le rétablir dans la partie la plus importante de l'administration des revenus de son épouse, et de l'autre, exposer celle-ci à tous les dangers de la dissipation et de la mauvaise gestion de son mari dont elle a été garantie par lesdits jugemens et arrêts de Séparation, même à payer des dettes qu'il pourrait contracter pour les frais du ménage;

» Le tribunal ordonne que lesdits sentence et arrêt de Séparation de biens, des 30 juillet 1773 et 13 février 1779, continueront d'être exécutés selon leur forme et teneur ; en conséquence, déboute ledit sieur de M.... de toutes ses demandes; dépens néanmoins compensés ».

Le sieur de M... appelle de ce jugement. Par arrêt du 5 août 1807, la cour de Paris met l'appellation au néant.

Recours en cassation contre cet arrêt de la part du sieur de M....

« L'arrêt que vous dénonce le demandeur (ai-je dit à l'audience de la section des requêtes, le 28 juillet 1808), est-il contraire aux articles du Code civil qui placent la femme sous la puissance de son mari? Telle est la question que vous avez à décider.

>> Pour la résoudre, il faut d'abord nous fixer avec précision sur la demande que le sieur M.... avait formée contre son épouse, et dont l'a débouté l'arrêt dont il s'agit.

» Le sieur de M.... se bornait-il à demander que son épouse ne supportât plus seule toute la dépense de sa maison, et qu'il fût admis à en supporter une partie qui serait proportionnée à sa fortune actuelle? Non; il demandait que son épouse, au lieu de faire elle-même toute la dépense de sa maison, fût condamnée à lui remettre par douzième de mois en mois, la somme pour laquelle il serait jugé qu'elle devrait contribuer à cette depense; sauf à lui à y ajouter ce qui manquerait. Il demandait de plus que des experts fussent nommés pour estimer la valeur locative de la maison dans laquelle demeure son épouse, dans laquelle son épouse l'a reçu, et qui, par-là, est devenue l'habitation conjugale. Il demandait enfin, que, cette estimation faite, il lui fût libre, ou

de conserver la jouissance de cette maison, à la charge d'en imputer la valeur locative sur la part contributive de la dame de M.... dans la dépense commune, ou de louer un appartement commun, moins dispendieux, dans telle autre maison qu'il croirait convenable.

» Et le but de ces demandes n'était pas équi. voque c'était évidemment, comme le sieur de M..... s'en est expliqué fort au long dans le cours des plaidoiries, de le constituer maître de la maison conjugale, de lui déférer la dispensation des sommes qui doivent y être employées, de lui assurer le droit exclusif, non-seulement d'en régler les dépenses, mais encore de les payer lui-même.

» En cela, le sieur de M..... était-il d'accord ou en opposition avec le Code civil? C'est-ce que nous avons à examiner.

[ocr errors]

Supposons d'abord que la question se présente entre deux époux vivant en communauté ou sous le régime dotal. Supposons qu'un mari, après avoir, pendant plusieurs années successives, abandonné à sa femme le soin des détails du ménage et la manipulation des de niers nécessaires pour y faire face, veuille toutà-coup s'en charger lui-même : la femme pourra-t-elle prétendre, comme on l'a dit devant le tribunal de première instance, que, ces détails la regardent essentiellement ; que, si le mari est le chef du ménage, elle en est le ministre; que le mari, en sa qualité de chef, doit ordonner; et qu'elle, en qualité de ministre, doit agir et payer; et qu'il en est d'un mari comme d'un monarque qui est obligé de se reposer des détails de l'administration, sur des agens supérieurs qui s'en reposent euxmêmes sur d'autres.

» Sans doute, une pareille défense de la femme serait accueillie dans le monde; sans doute, dans le monde, le mari qui élèverait une prétention à laquelle on opposerait une pareille défense, serait condamné, persiflé, ridiculisé

» Mais, on l'a dit fort sensément dans cette cause même : autre chose est le langage du monde, autre chose est le langage de la loi.

» Qu'un monarque ne puisse pas descendre dans les détails de l'administration, il y en a une raison très-simple: c'est que le monarque est constitutionnellement affranchi de toute responsabilité ; et que la nation qu'il gouverne, devant trouver dans ses ministres, des agens à qui elle puisse demander compte du maniement des deniers publics, il faut bien que, bon gré malgré, il laisse faire par ses ministres ce que la constitution a voulu qu'il ne pût faire que par eux.

» Mais une femme, qu'est-elle dans les dé

tails du ménage, à l'égard de son mari? Un ministre dont il ne puisse se passer? Non certainement. Elle est, et rien de plus, une procu ratrice que le mari peut révoquer d'un moment à l'autre, en se chargeant lui-même des soins qu'il lui confie. Pourquoi, en effet, a-t-on cons tamment tenu pour maxime, que la femme n'a pas besoin de l'autorisation expresse de son mari, pour l'obliger au paiement de fourni tures faites à la maison conjugale ? Parceque le mari est censé, lorsqu'il ne se charge pas personnellement des détails du ménage, les abandonner à sa femme, en qualité de mandataire, Economia intuitu (dit Voët, sur le Digeste, liv. 23, tit. 2, no 46), si uxor contraxerit, se maritumque obligatum reddit, quasi et hic, consensu mariti, œconomiæ carum uxori tacite relinquentis AC COMMITTENTIS, contractus firmatus sit, dùm aliis mariti plerùmque distracti minutiis his-ce quotidianis superesse, nec honestum sibi nec commodum experimentur.

» Et il ne faut pas croire que le Code civil se soit relâché là-dessus de la sévérité des anciens principes. Les anciens principes avaient leur base dans la puissance maritale; et le Code civil, bien loin de détruire, bien loin d'affaiblir cette base, l'a consolidée, l'a raffermie. Il ne s'est pas contenté de dire, art. 213, que la femme doit obéissance à son mari; il a dit encore, art. 1388, que les époux ne peuvent deroger, par leur contrat de mariage, aux droits résultant de la puissance maritale sur la personne de la femme, ou qui appar tiennent au mari comme chef.

» Comme chef! La loi ne dit pas comme chef de la communauté ; elle dit purement et simplement, elle dit d'une manière absolue, comme chef; elle le dit par relation à la puissance maritale dont elle vient immédiatement de parler; ce qui prouve manifestement que le mari est chef, soit qu'il y ait communauté, soit qu'il n'y en ait pas.

» Mais si tels sont les droits du mari, lorsque la femme vit avec lui, soit en communauté, soit sous le régime dotal, en est-il de même lorsqu'il intervient entr'eux une Séparation judiciaire de biens, ou lorsque la femme mariee sous le régime dotal, a obtenu la restitu tion de sa dot?

[blocks in formation]
« PreviousContinue »