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l'une ou l'autre, dans la maison conjugale, il la conserve tout entière après l'une ou l'aucomme il pouvait auparavant, se char ger des détails du ménage, en fixer les dépenses et les payer par lui-même.

tre

» Qu'importe que, par la Séparation de biens ou par la restitution de la dot, la femme acquière le droit d'administrer personnellement ses biens et d'en percevoir elle-même les revenus?

» La femme qui, pendant le mariage, obtient la restitution de sa dot ou la Séparation de biens, ne fait que se placer dans l'état où elle se fût trouvée, si, en se mariant, elle avait stipulé, ou qu'elle serait séparée de biens d'avec son mari, ou qu'elle posséderait tous ses biens comme paraphernaux. Or, où a-t-on vu que la Séparation contractuelle et la stipulation des paraphernaux transférassent à la femme la qualité de chef de la maison conjugale, et, avec cette qualité, la dispensation des sommes nécessaires au menage ?

» En même temps que le Code civil assure à la femme séparée contractuellement de biens, ou dont tous les biens sont paraphernaux, le droit d'administrer sa fortune et d'en percevoir les revenus, il lui impose, art. 1537 et 1575, l'obligation de contribuer aux charges du ménage; et assurément elle ne peut y contribuer qu'en versant entre les mains de son mari sa part contributive, à moins qu'il ne veuille l'autoriser à faire elle-même l'emploi de cette part à l'acquit des charges matrimoniales.

» Telle était, avant le Code civil, la doctrine de tous les auteurs, comme la jurisprudence de tous les tribunaux.

» La Séparation contractuelle (dit Bourjon, tome 1, page 511, édition de 1770) habilite la femme à toute autre administration.... (Mais) la femme est tenue de FOURNIR A SON

MARI, SUR SES REVENUS, UNE PENSION CONVENABLE;

devant contribuer aux charges du mariage, sa qualité, sa co-habitation l'assujétissent à cet engagement, qui néanmoins n'affaiblit pas sa jouissance d'un bien paraphernal. Cela a été jugé au parc civil (du châtelet), moi plaidant, contre la dame Langlois, pour son

mari.

» Si la femme (dit Pothier, Traité de ta communauté, no. 464) qui, en conséquence d'une Séparation contractuelle, jouit séparément de ses biens, refusait de contribuer aux charges du mariage, le mari pourrait la faire condamner à y contribuer; le juge doit en ce cas régler la portion que cette femme doit a SON MARI avec qui elle demeure, à une somme, eu égard à ses facultés et à sa qualité; il doit

pareillement régler la somme pour laquelle elle doit contribuer aux alimens et à l'éducation des enfans communs.

» Et il est à remarquer que Pothier ajoute, no 465: En cela, la Séparation contractuelle convient avec celle qui intervient durant le mariage, par une sentence du juge....

» Le Code civil a-t-il dérogé à cette doctrine, à cette jurisprudence? Non,et bien loin de-là. » A la vérité, il n'explique pas formellement de quelle manière la femme séparée de biens, soit par contrat de mariage, soit par jugement, doit contribuer aux charges matrimoniales. Mais par cela seul qu'il l'oblige de contribuer à ces charges, il décide qu'elle doit verser sa part contributoire entre les mains de son mari ; il le décide, en ne dérogeant point, pour ce cas, à la régle écrite dans l'art. 213, que la femme doit obéissance à son mari, obéissance qui évidemment se réduirait à rien, si la femme séparée de biens pouvait employer elle-même, de sa propre autorité, la somme à laquelle s'élève sa part contributoire; il le décide, en laissant subsister dans toute son étendue, pour ce cas, la règle écrite dans l'art. 1388, que le mari est tellement le chef de la maison conjugale, qu'on ne peut lui en ôter ni la qualité ni les droits, même par le contrat de mariage; il le décide surtout par la manière dont est conçu l'art. 1448: La femme qui a obtenu la Séparation de biens (porte ce dernier article), doit contribuer proportionnellement à ses facultés et à celles du mari, tant aux frais du ménage qu'à ceux d'éducation des enfans communs. Si la femme, par cela seul qu'elle est séparée de biens, avait le droit d'employer elle-même sa part contributoire aux frais du ménage, elle aurait aussi et elle aurait nécessairement celui d'employer elle-même sa part contributoire aux frais d'éducation des enfans communs. Elle aurait par conséquent le droit de donner à ses enfans tels maîtres, de les placer dans telle pension, qu'elle jugerait à propos, comme elle aurait celui de régler les dépenses du ménage, de les augmenter, de les diminuer à son gre. Or, conçoit-on un pareil renversement de tous les principes?

» Mais, dit-on, si l'on oblige la femme se parée de biens par un jugement, de verser entre les mains du mari une portion de ses revenus, que deviendra la disposition de ce jugement qui a rétabli la femme dans le droit d'administrer ses propres biens? N'est-ce pas rendre au mari l'administration d'une portion des revenus de sa femme ? Et peut-on lui rendre l'administration d'une partie, après qu'un jugement lui a été l'administration du tout? » Vaine subtilité, mauvaise équivoque. Le

droit d'administrer emporte sans doute, et il emporte essentiellement, le droit de passer les baux, de percevoir les revenus, de pourvoir aux réparations. Mais il n'emporte pas toujours, il n'emporte point par soi, le droit de faire toute la dépense.

>> Le tuteur d'un enfant dont le père en mourant a confié l'éducation à un tiers, administre les biens de cet enfant, il en fait les baux, il en surveille et régle les réparations, il en touche les revenus; et cependant il est tenu de verser entre les mains de la personne chargée de l'éducation, la somme à laquelle le pere, ou, à son défaut, le conseil de famille, a fixé la pension du mineur.

»La femme mariée sous le régime dotal et dont tous les biens sont paraphernaux, administre elle-même ces biens et en perçoit personnellement tous les revenus. Cependant le mari a le droit d'exiger qu'elle lui remette une somme déterminée pour sa part contributoire dans les frais du ménage.

» Il en est de même de la femme séparée de biens par le contrat de mariage: son marine peut pas l'empêcher d'administrer ses propres; mais elle ne peut pas non plus se dispenser de verser entre les mains de son mari le tiers de ses revenus.

» Et pourquoi en serait-il autrement de la femme séparée de biens par jugement? Elle n'a obtenu cette Séparation, elle n'a obtenu l'administration de ses biens,que parce que le mari, par des baux indiscrets, par le défaut de réparations, par le défaut de recette ou le mauvais emploi des revenus, aurait pu compromettre sa fortune. Elle n'a donc plus à se plaindre, lorsqu'elle touche personnellement les revenus, lorsqu'elle pourvoit elle-même aux reparations, lorsqu'elle fait elle-même les baux.

» Mais, dit-on encore, remettre au mari la part contributoire de la femme, ce serait exposer la femme aux suites de la mauvaise administration du mari; ce serait la faire retomber dans tous les inconvéniens auxquels un jugement fondé sur cette mauvaise administration, l'a soustraite pour toujours.

» D'abord, la crainte de ces suites, de ces inconvéniens, serait bien atténuée par le soin que prendrait le juge de n'imposer à la femme l'obligation de payer sa part contributoire que par douzièmes, de mois en mois ; et, dans notre espèce, le sieur de M.... n'a pas demandé autre chose.

» En second lieu, ces suites deviendraientelles aussi fâcheuses ces inconvéniens deviendraient-ils aussi graves qu'on l'appréhende? Le mari, se livrant à ses goûts dissipateurs, consumerait-il en vaines dépenses l'ar

gent que sa femme lui remettrait successivement pour sa part contributoire? Alors, le mari refractaire à l'art. 413 du Code civil qui l'assujetit à fournir à la femme tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie, se. lon ses facultés et son état, serait nécessairement coupable envers elle d'excès et de sévices, qui, aux termes des art. 231 et 306, peuvent fonder une demande en divorce ou en Separation de corps.

» Objectera-t-on qu'il est possible que le mari, sans porter aussi loin sa mauvaise administration, ne règle pas la dépense du ménage de manière à satisfaire tous les goûts, à contenter toutes les fantaisies de sa femme?

» Assurément la chose est très-possible. Mais qu'en conclura-t-on ? Que le mari, de maître, de chef qu'il est par la loi, n'est plus, par l'effet de la Séparation de biens, qu'un subordonné dans la maison conjugale? Que la femme qui doit obéissance à son mari, acquiert, par la Séparation de biens, le droit de ne plus déférer à ses volontés? Ce serait une étrange conséquence, ce serait une conséquence diamétralement opposée à la loi ; et c'est cependant à cette conséquence que l'arrêt attaqué a donné sa sanction.

» Enfin, point de milieu : ou il faut que la part contributoire de la femme soit versée entre les mains du mari, ou il faut que la part contributoire du mari soit versée entre les mains de la femme. Car vouloir que le mari et la femme disposassent chacun de sa part contributoire, ce serait une prétention aussi dérisoire en elle-même qu'impraticable dans l'exécution. Quelle serait en effet l'autorité qui, en cas de dissentiment, prononcerait entre les epoux sur les dépenses que celui-ci voudrait faire à l'exclusion de celle-là, sur les parties de l'administration du ménage que l'un voudrait s'attribuer ou rejeter sur l'autre? Bien évidemment ce serait une source perpétuelle de troubles et de désordres, ce serait une véritable anarchie.

» Ainsi, juger, comme l'a fait l'arrêt attaqué, que la femme ne doit pas remettre sa part contributoire au mari, c'est juger que le mari doit remettre sa part contributoire à la femme; c'est juger que le mari doit, pour le réglement des dépenses du ménage, obéissance à la femme; c'est juger que la femme est le chef du ménage ; c'est violer, c'est bouleverser tous les principes.

» Et vainement a-t-on dit, dans notre espèce, que la dame de M...., jusqu'au moment du procès, avait seule fourni aux dépenses du ménage, et qu'elle consentait d'y fournir seule à l'avenir.

» La femme ne peut pas, par un sacrifice d'argent, acquérir une indépendance qui répugne au vœu de la loi, comme à celui de la nature. Elle ne peut pas, en dispensant son époux, malgré lui, de la loi qui l'oblige de contribuer aux dépenses du ménage, se dispenser elle-même de la loi qui, relativement aux dépenses du ménage, lui interdit d'avoir d'autre volonté que celle de son époux. » Et d'ailleurs quand même la dame de M... serait dans le cas prévu par le §. 2 de l'art. 1448 du Code civil, quand même, par l'épuisement total de la fortune de son mari, elle serait forcément réduite à supporter entiè rement les frais du ménage, en serait-elle moins assujétie à l'art. 2 13 qui lui prescrit l'obéissance à son mari? En serait-elle plus maîtresse de s'élever contre l'art. 1388 qui proscrit toute atteinte que l'on chercherait à porter aux droits appartenant au mari, comme chef? Non, messieurs, dans cette hypothese, comme dans le cas sur lequel a prononcé la cour d'appel de Paris,la puissance maritale survivrait à la Séparation de biens; et les effets en seraient inévitablement les mêmes.

» Par ces considérations, nous estimons qu'il y a lieu d'admettre la requête du demandeur ».

La requête du sieur de M.... a été, en effet, admise par arrêt du 28 juillet 1808, au rapport de M. Bailly; mais elle n'a pas eu de suite ultérieure, parceque, peu de temps après, la dame de M.... a obtenu un jugement de divorce qui a rendu la question sans objet.]]

IX. La Séparation de biens dégage-t-elle absolument la femme des liens de la puissance maritale?

Il est certain [[et l'art. 1449 du Code civil décide formellement]] qu'une femme séparée a partout la libre administration de ses revenus, et qu'elle n'a besoin, dans aucun des actes qui y sont relatifs, de l'autorisation de son mari.

Mais peut-elle, sans cette formalité, s'obliger pour d'autres objets, ester en jugement et aliéner ses biens?

On a exposé, à l'article Autorisation maritale, sect. 7, no 5, quelles sont là-dessus les regles du droit commun; il reste à examiner ici les dérogations qu'elles souffrent dans quel'ques provinces.

10 Dans le duché de Bourgogne, il est assez d'usage, lorsqu'on ordonne une Séparation de biens, d'autoriser la femme à contracter et aliéner, comme si elle n'était pas mariée. Raviot sur Perrier, quest. 251, no 68, dit que plusieurs arrêts ont confirmé cet usage, et écla ré valables des actes faits par la femme,

en conséquence d'une pareille autorisation. Mais, continue le même auteur, « si le juge»ment de Séparation ne porte pas que la » femme pourra contracter et disposer de ses » biens, tout ce qu'elle a fait sans y être au»torisée par son mari, est nul, ainsi qu'il fut » jugé par arrêt du parlement de Dijon, du 1er »juillet 1649». Nous pouvons ajouter, d'après Taisand, tit. 4, art. 1, no 3, qu'un autre arrêt de la même cour, du 12 février 1682, a jugé qu'une femme séparée de corps et de biens purement et simplement, n'avait pas pu disposer de la propriété de ses immeubles sans l'autorité de son mari.

20 En Normandie, la femme séparée de biens a le droit, « sans permission du juge et » sans l'avis et consentement de son mari, de » vendre et hypothéquer ses meubles de quel» que valeur qu'ils soient, ainsi que les im» meubles qu'elle a acquis depuis sa Sépara» tion ». C'est la disposition expresse de l'art. 126 des placités. L'art. 127 ajoute «< la femme » séparée ne peut vendre ni hypothéquer les » immeubles qui lui appartenaient lors de la Séparation, ou qui lui sont échus depuis, sans » permission de justice et avis de parens (1); » néanmoins les contrats qu'elle en aurait faits » sans ladite permission,pourront être exécutés » sur ses meubles et sur le revenu de ses im» meubles, après qu'il sera échu et amobilié ».

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Une question que ces textes laissent indécise, est de savoir si une femme peut vendre sans autorisation, un héritage qu'elle a retrait lignagèrement depuis sa Séparation.

La raison de douter est que ce bien forme un propre.

Mais, s'il en faut croire Houard, au mot Femme, sect. 2, il faut distinguer, en cette matière, le propre de succession d'avec le propre de retrait.

«La femme séparée (dit-il) ne peut point aliéner ce qui lui est échu par succession: l'art. 127 le décide ainsi; mais cet article est une exception à la règle générale, qui permet à une femme d'exercer de son chef, toutes les actions qu'elle a acquises depuis sa Séparation. Sans cette exception, qu'il ne faut pas étendre hors de son cas précis, la femme ne pourrait aliéner ses propres héréditaires qui lui seraient échus depuis sa Séparation. Un bien retire lignagerement

(1) [[ Cette disposition avait-t-elle lieu à l'égard de la femme marchande publique? A-t-elle lieu à l'égard de la femme mariée et séparée avant la publication du Code civil, qui aliène ou hypothèque aujourd'hui des biens dont elle était saisie avant la méme époque? V. les articles Dot, S. 8, n°6, et Puissance maritale, sect. 2, §. 2, art. 2, no 19. ]]

par une femme séparée, est réellement un immeuble acquis, et dont, par conséquent, elle peut disposer, aux termes de l'art. 126. Cet article ne distingue point entre les immeubles propres et ceux qui ne le sont pas ; il suffit que ce soit une acquisition faite par le bon ménage et l'économie de la femme, pour qu'elle ait la liberté d'en disposer. Ce n'est point au droit de retrait qu'il faut s'attacher, mais uniquement à la cause qui a rendu la retrayante propriétaire; et cette cause est l'argent qu'elle a payé. Sans ce paiement, on lui aurait bien fait sentir l'insuffisance de son droit.

» La loi n'a point envisagé la conservation des propres, en privant la femme séparée de la faculté de disposer des biens qu'elle possédait lors de la Séparation. En voici la preuve; c'est que, s'il se trouve parmi ces biens un acquêt, elle n'en peut pas plus disposer que de ses propres. Quel est donc le vrai motif de cette interdiction légale? C'est la translation qui se fait, par le mariage, de toutes les actions de la femme à la personne du mari; et la raison pourquoi la femme séparée peut disposer des biens acquis depuis la Séparation, c'est que la Séparation empêche qu'il ne se fasse, à la personne du mari, aucune translation qui concerne ces mêmes biens. Il suffit donc que le mari n'ait acquis aucun droit d'administration sur l'héritage retiré lignagèrement par la femme séparée, pour qu'on doive mettre cet héritage dans la classe des biens dont parle l'art. 126, n'importe qu'il soit propre ou acquêt ».

3o Les coutumes de Montargis, de Dunois et de Sedan vont plus loin que celle de Normandie et que l'usage de Bourgogne : elles permettent indefiniment à la femme séparée de contracter et d'aliéner, comme si elle n'avait jamais été soumise à l'autorité maritale.

4o Telle est aussi la jurisprudence des provinces belgiques.

Les chartes générales de Hainaut surtout, s'expliquent sur cette matière en termes trèsprécis ; mais, pour bien entendre leur disposition, il faut présupposer quatre principes particuliers au Hainaut,et qu'on a developpés aux articles Condition de manbournie, Conditionner un héritage, Dévolution coutumière et Don absolu. Ces principes sont 10 qu'un veuf avec enfans ne peut aliener aucun de ses propres échus en ligne directe, ni les acquêts dont l'échéance est antérieure à la dissolution du mariage; 20 qu'il peut cependant faire à son droit et ainé hoir, c'est-à-dire, à l'aîné de ses enfans, une donation en avancement d'hoirie, d'un des fiefs qu'il possède; 3o qu'il jouit d'une

liberté entière à l'égard des biens qui lui sont échus pendant sa viduité ; 40 qu'un veuf sans enfans peut indistinctement aliéner tous ses biens, soit propres, soit acquêts. Tout cela est ainsi réglé par l'art. 1 du chap. 93, et par les art. 8, 9 et 10 du chap. 94 des chartes générales.

Voici maintenant ce que porte l'art. 8 du chap. 122:

« Les divorcés, aussi bien la femme que » l'homme, pourront déshériter fief au profit » de leur droit et aîné hoir; mais ne pourront » vendre leurs héritages et rentes de leur » côté et acquêts, au préjudice de leurs en>> fans, non plus qu'en cas de viduité; bien » pourront-ils faire aliénation et disposition » des acquêts par eux faits durant ledit di» vorce, soit qu'ils aient enfans ou non ; et si » tels divorcés n'avaient enfans de mariage, » ne pourront vendre leurs fiefs et alloets, ni » aussi leurs héritages et rentes de mainferme » venant de leur patrimoine, sans autorisation » de la cour ou du chef-lieu sous lequel les héritages seront gisans; le tout, après con» naissance de cause ».

"

Ainsi, lorsqu'il y a des enfans, la Séparation est parfaitement assimilée à la viduité : les époux peuvent, chacun de son côté, faire à leurs enfans des donations en avancement d'hoirie ; ils peuvent même aliéner les acquêts dont l'échéance est postérieure à la Séparation; mais ils ne peuvent, au préjudice de leurs enfans, disposer de leurs propres, en quelque temps qu'ils leur soient échus, ni des acquêts dont ils étaient propriétaires avant que de se séparer.

Quand il n'y a point d'enfans, la Séparation forme un état à part, qui ne ressemble ni au mariage, ni à la viduité : les époux peuvent bien aliéner leurs acquêts, mais ils ne peuvent toucher à leurs propres sans y être autorisés par la cour souveraine de Mons, exclusivement à tous les autres juges, si ce sont des fiefs ou des francs-alleux, et par prévention avec les mayeur et échevins de la situation, munis d'une charge d'enquête du chef. lieu (1), si ce sont des mainfermes (2).

Dans toutes ces dispositions, la loi égale la condition de la femme à celle du mari; on peut donc dire que celle-là n'a pas besoin d'être autorisée par celui-ci pour aliener, dans le cas où elle peut le faire : c'est aussi ce que pensent tous les auteurs belges, notamment

(1). l'article Charge d'enquéte.

(2) Il est inutile de répéter ici que la cour souveraine de Mons est, à cet égard, représentée, dans le Hainaut français, par les juges royaux. C'est une maxime qu'on a établie en divers endroits de cet ouvrage.

Christyn, sur la coutume de Malines, tit. 9,
art. 4; Pérez, sur le Code, titre de jure do-
tium; Rodenburg, de jure conjugum, tit. 3,
no 14; Peckius, de testamentis conjugum,
liv. 4, chap. 12; Néostade, de pactis dota.
libus, obs. 8; Wesel, de connubiali bono-
rum societate, tract. 4, chap. 4, no 35; et
leur avis a été confirmé par un arrêt du grand
conseil de Malines, rapporté par Peckius à
l'endroit cité; par une sentence du siége
échevinal de Tournai, rendue en 1666, et dont
il est fait mention dans le recueil de Pollet,
part. 1, §. 28; par un acte de notoriété des
avocats et procureurs de Bergues-Saint-Wi-
nockx, du 6 mars 1702, visé dans un arrêt du
conseil, du 2 octobre 1717; par un arrêt du
parlement de Flandre, de l'année 1670, rap-
porté par le premier président de Blie; par
un autre arrêt de la même cour,
du 14 mars
1704, inséré dans le recueil de Pollet à
l'endroit cité; et par un autre rendu eu 1711,
à la chambre superieure que les alliés avaient
établie à Tournai. et rapporté par Deghe-
wiet, tome 2, page 8o, édition in-12.

Je n'entreprendrai pas ici de critiquer ce point de la jurisprudence belgique, ni d'examiner si la jurisprudence française qui défend aux femmes separées d'aliéner sans l'autorisation de leurs maris, n'est pas plus sage et plus régulière; tout dépend, à cet égard, des idees que l'on se forme de l'état des deux époux.

Si l'on croit avec les jurisconsultes belges, et même avec plusieurs jurisconsultes français, tels que Dumoulin, sur la coutume de Bourbonnais,art. 170, Chopin, de moribus Parisiorum, liv. 2, tit. 1, no 15, Coquille, sur la coutume de Nivernais, tit. 23, art. 6, Gousset, sur celle de Chaumont, art. 66, no 7, si l'on croit, dis-je, que la Séparation fait cesser les effets civils du mariage, et dépouille le mari de tous les droits que les coutumes lui donnent sur la personne et les biens de la femme, il faut nécessairement en conclure qu'elle rend inutile et superflue l'autorisation que le mariage rendait nécessaire et indispensable.

Si, au contraire, on regarde la puissance maritale comme inhérente au lien même du mariage, ou du moins si l'on pense que la mort civile ou naturelle du mari peut seule en affranchir la femme, il est indubitable qu'on n'exceptera point le cas de Séparation de la règle générale.

Quoiqu'il en soit, les législateurs du Hainaut ont certainement embrassé le premier de ces deux partis; car, je l'ai déjà dit, l'art. 8 du chap. 122 des chartes générales assimile absolument la condition de la femme séparée à TOME XXX.

celle du mari; il ne met aucune différence entre leur état et le veuvage; et il les soumet également tous deux à la nécessité de se faire autoriser en justice pour l'alienation de leurs propres directs, lorsqu'ils n'ont pas d'enfans ; ce qui prouve nettement que le mari n'a plus aucun pouvoir sur sa femme, et que celle-ci n'a pas besoin de son autorisation pour aliener. Delà résultent encore plusieurs conséquen

ces,

qui pour n'être pas écrites dans le texte des chartes générales, n'en sont pas moins certaines.

Si le mari est privé, par la Séparation, de l'autorité que la loi lui donnait sur sa femme, il est sensible qu'il ne doit plus exercer la faculté que les coutumes de Mons, de Binche et de Chimay lui accordent d'aliéner les propres de sa femme malgré elle; qu'il n'a plus de qualité pour soutenir en justice les actions quelconques qui concernent sa femme; qu'il ne l'oblige, ni par les contrats qu'il passe, ni par les délits qu'il commet.

Si la femme séparée n'a plus besoin de l'autorisation de son mari pour aliéner, à lus forte raison est-elle exempte de cette formalité, lorsqu'il est question de contracter, d'es ter en jugement, et même de disposer à cause de mort.

Il s'est présenté sur ce dernier objet, une contestation dont il est à propos de dire ici quelque chose.

La duchesse de Holstein-Ploen avait été, en 1716, séparée de son mari par une sentence du châtelet de Paris, qu'avait ensuite confirmée un arrêt du 9 août 1718. Dans cet état, elle désira pouvoir disposer au profit du comte de Mérode, de plusieurs terres considérables qu'elle avait en Hainaut, et qui formaient dans sa personne des propres de ligne directe. Comme elle n'avait pas d'enfans, ses conseils pensèrent qu'on pouvait étendre aux actes de dernière volonté, la faculté que l'art. 8 du chap. 122 des chartes générales accorde aux époux séparés de se faire autoriser par justice à vendre leurs fiefs et alloets et leurs héritagés et rentes de main ferme, venant de leur patrimoine. En conséquence, la duchesse de Holstein demanda, par une requête au parlement de Flandre, « d'être autorisée à pou» voir se déshériter de la terre de Trelon, et » d'autres terres situées en Hainaut, pour être » vendues dans l'année de son trépas, et les de>>niers en provenans, appartenir à celui qu'elle » dénommerait par son testament ». Le parlement de Flandre adopta ces conclusions, par arrêt du 9 février 1724, et approuva par conséquent l'interprétation que les conseils de la duchesse de Holstein avaient faite du texte

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