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cité, e'est-à-dire qu'il jugea qu'une femme se parée n'a besoin pour tester de ses propres comme pour les vendre, que d'une autorisation judiciaire ; ce qui était juger implicitement qu'elle peut tester de ses meubles et acquêts, aussi librement et sans plus de forma. lité qu'une fille majeure.

Mais quelque exact que cet arrêt fût au fond, il était irrégulier dans la forme. Ce n'était pas au parlement de Flandre qu'il fallait adresser la requête en autorisation: c'était au prévót de Maubeuge, juge royal de la situation des biens, comme réprésentant immédiatement la cour de Mons dans les matières attribuées å celle-ci en première instance, et notamment dans les autorisations pour aliener. L'arrêt du conseil du 7 décembre 1718 est la-dessus trèsformel. Aussi a-t-on vu, après la mort de la duchesse de Holstein, le comte et la comtesse de Coswaren-Looz, ses héritiers légitimes, former opposition à l'arrêt d'autorisation, et en obtenir une rétractation solennelle par arrêt du 18 décembre 1726..

Il est vrai que le comte de Mérode a fait casser ce dernier arrêt au conseil d'état, mais cette cassation ( uniquement fondée sur l'évocation que le roi avait faite antérieurement de cette affaire au châtelet de Paris, avec déense au parlemenl de Flandre d'en connaître, fn'a porté aucune atteinte au principe consacré par cet arrêt, que les autorisations à fin de tester d'un bien propre, ne peuvent être accordées à des époux séparés que par le juge royal immédiat du lieu de la situation, et que son refus seul peut fournir une raison légitime de se pourvoir au parlement.

Nous aurons occasion de revenir sur les suites de cette affaire, à l'article Testament, sect. 1, §. 5.

Au reste,quelque différence qu'il y ait en gé néral, sur la nécessité de l'autorisation des femmes séparées, entre le droit commun de la France et la jurisprudence particulière à la Belgique, à la Bourgogne, à la Normandie, et aux coutumes de Sedan, de Montargis et de Dunois, il est un point dans lequel toutes les parties de la France sont réunies depuis l'ordonnance de 1731: c'est que, suivant l'art. 9 de cette loi, « les femmes mariées, » même celles qui ne sont pas communes en » biens, ou qui ont été séparées par sentence » ou par arrêt, ne peuvent accepter aucune >> donation entre-vifs, sans être autorisées par >>leur mari, ou par justice à son refus ».

[[ Aujourd'hui, la législation est, sur toute cette matière, uniforme dans toute la France. L'art. 217 du Code civil porte que « la fem

» me, même non commune ou séparée de » biens, ne peut donner, aliéner, hypothé» quer, acquérir à titre gratuit ou onéreux, » sans le concours du mari dans l'acte, ou » son consentement par écrit ».

L'art. 1449 lui permet,comme on l'a vu plus haut, d'administrer ses biens, de disposer de son mobilier et de l'aliéner; mais il ajoute qu'elle « ne peut aliéner ses immeubles sans le » consentement du mari, ou sans être aun torisée en justice, à son refus ».

X. La femme séparée de biens n'a pas besoin de l'autorisation de son mari pour intenter ou soutenir en justice des actions mobilières; mais cette autorisation, ou à son défaul, celle du juge, lui est indispensable, lorsqu'il s'agit d'actions qui concernent des immeubles ou des droits immobiliers.

De là est née la question suivante.

Lorsqu'une femme séparée de biens est assignée à raison de ses droits immobiliers, conjointement avec son mari, et à leur domicile commun, doit-il être laissé deux copies de l'assignation, l'une pour son mari, l'autre pour elle?

Le 5 germinal an 3, le sieur Lachaussade, acquiert de sa sœur les droits qui lui appartiennent dans une succession.

Deux ans après, la demoiselle Lachaussade, devenue l'épouse du sieur Berthier, demande la rescision de la vente pour cause de lésion. Le 14 fructidor an 5, jugement qui ordonne l'estimation des biens.

Le 4 germinal an 10, les sieur et dame Berthier notifient au sieur Lachaussade qu'ils sont séparés de biens, et l'assignent en constitution d'avoué.

Le 22 germinal an 13, le sieur Lachaussade les fait assigner à domicile, en parlant au mari, pour voir déclarer l'instance périmée.

Cette assignation est réitérée dans les mê mes termes, le 20 floréal suivant ; et il n'est laissé de l'une et de l'autre qu'une seule copie.

Les sieur et dame Berthier soutiennent que, par cette raison, elles doivent être annulées. Le 8 thermidor an 13, jugement qui, en effet, les déclare nulles.

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» l'espèce, le but de la loi se trouve suffisam»ment rempli par la connaissance que la » dame Berthier et son mari, ont eue de la » demande en péremption ».

Les sieur et dame Berthier se pourvoient en cassation contre cet arrêt, et soutiennent ́qu'il a contrevenu à l'art. 3 du tit. 2 de l'ordonnance de 1567, dont on retrouve la disposition dans l'art. 68 du Code de procédure civile.

Par arrêt contradictoire du 7 septembre 1808, au rapport de M. Schwendt,

« Vu l'art. 2 du tit. 2 de l'ordonnance de 1667;

» Considérant que, dans l'espèce surtout où Ja dame Berthier était séparée de biens d'avec son mari, toute action concernant sa

propriété devait être intentée contre elle par assignation à elle adressée, dont la copie lui serait laissée ou à quelqu'un pour elle, charge de la lui faire parvenir, sauf à assigner aussi le mari pour l'autoriser ;

» Que, dans l'espèce, la demande en pe remption d'instance a été formée par un exploit adressé au sieur Berthier et à sa femme, sans que copie en ait été laissée à la dame Berthier ni à personne pour elle;

» D'où il suit que, quoique vraiment principale partie, elle n'a été assignée ni à personne ni à domicile; et qu'en validant à son égard une telle assignation, l'arrêt attaqué a contrevenu à la disposition citée de l'ordonnance; » La cour casse et annulle..... ».

On trouvera des arrêts semblables et plus récens, au mot Surenchère, no 3. ]].

XI. Le mari est-il obligé au remploi du prix des biens vendus par sa femme, depuis qu'elle est séparée de lui?

V. l'article Remploi, §. 2, no 3.

XII. Suivant l'ordonnance des aides de Paris, tit. 8, art. 17, et celle de Rouen, tit. 10, art. 16, la femme d'un marchand de vin ou d'un vigneron, qui s'est fait séparer de biens, ne peut pas réclamer les meubles qui lui appartiennent et qui se trouvent dans les lieux occupés par son mari, au préjudice des droits d'aides que celui-ci peut devoir au roi.

[[ Cette disposition est devenue sans objet par la suppression des droits d'aides, et on ne la retrouve pas dans les lois nouvelles qui concernent les impôts sur les boissons.

Il parait au surplus que, si la question se présentait relativement à ces impôts, elle devrait être résolue par la distinction que fait, les femmes des comptables de deniers pour

publics, l'art. 2 de la loi du 5 septembre 1807, rapportée au mot Comptable. ]].

XIII. Lorsque la Séparation de biens est suivie, de la part de la femme, d'une renonciation à la communauté, cette renonciation decharge certainement la femine des dettes contractées jusqu'alors par le mari, et auxquelles elle ne s'est pas obligée nommément.

Mais n'y a-t-il pas une exception à cette règle en faveur des dettes qui ont leur cause dans des fournitures faites avant la Séparation, pour l'usage commun des deux époux ?

L'affirmative a été soutenue en 1742 par Pierre Pelletier, sellier à Paris. Il prétendait faire condamner solidairement le sieur Beau

pré et sa femme au paiement des équipages qu'il leur avait fournis avant qu'ils fussent séparés de biens. Sa raison était qu'il doit y avoir une solidarité entre les deux époux pour toutes les espèces de fournitures qui leur sont faites pendant la communauté. La dame de Beaupré répondait que les équipages avaient été livrés long-temps avant la Séparation; que, dès-lors, le paiement ne pouvait en être demandé qu'au mari: et qu'il serait injuste que le chef de la communauté eût le droit de s'en approprier tout le revenu, sans être seul oblige d'en acquitter les charges. Par arrêt rendu au rapport de M. Severt, le 10 juillet 1742, le sellier a été débouté de sa demande contre la dame de Beaupré, et le sieu r de Beaupré a été scul condamné au paiement des équipages.

V. les articles Antorisation maritale, Biens, Communauté, Divorce, Dot, Femme, Mari, Puissance maritale, Séparation de corps, [[et mon Recueil de Questions de droit, aux mots Séparation de biens. ]]

SÉPARATION DE CORPS. Il n'est pas besoin sans doute de donner la définition de ces termes : jamais l'idée qu'ils expriment, n'a été plus fréquemment manifestée dans la pratique que de nos jours. Il suffit de dire qu'ils répondent, dans le droit canonique, au mot divorce, et en sont le synonyme.

Suivant le droit romain, le divorce était une désunion réelle, entière et parfaite, qui remettait les deux parties dans leur premier état, leur rendait toute l'étendue de leur liberté, et en faisait deux individus absolument étrangers l'un à l'autre. Dans le christianisme, et d'après les lois canoniques subordonnées à ses préceptes, le divorce n'est qu'une désunion imparfaite, et qui relâche la chaîne sans la briser.

De cette différence, il suit que le divorce

adopte parmi nous, renferme une sorte de contradiction, en ce qu'il sépare de fait ce qui pourtant reste réellement uni et inséparable, et que ce n'est qu'un remède violent, introduit par nécessité et par l'obligation naturelle de choisir entre deux maux celui qui est le moindre.

[[La loi du 20 septembre 1792 avait rétabli en France l'usage du divorce proprement dit, et tel que l'admettaient les lois romaines. La même loi avait dit, §. 1, art. 7 : « à l'avenir, » aucune Séparation de corps ne pourra être » prononcee. Des époux ne pourront être » désunis que par le divorce ».

Le Code civil maintenait le divorce et vou. lait en même temps, art. 306, que, dans le cas où il y aurait lieu à la demande en divorce pour cause déterminée, il fut libre aux époux de former demande en Séparation de corps.

« Le pacte social (disait M. Threilliard, conseiller d'état, en présentant cette disposition au corps législatif) garantit à tous les français la liberté de leur croyance : des consciences delicates peuvent regarder comme un précepte imperieux l'indissolubilité du mariage.

» Si le divorce était le seul remède offert aux époux malheureux, ne placerait-on pas des citoyens dans la cruelle alternative de fausser leur croyance, ou de succomber sous un joug qu'ils ne pourraient plus supporter? Ne les mettrait-on pas dans la dure nécessité d'opter entre une lacheté et le malheur de toute leur vie ?

>> Nous aurions bien mal rempli notre tâche, si nous n'avions pas prevu cet inconvenient. En permettant le divorce, la loi laissera l'usage de la Séparation; l'époux qui aura le droit de se plaindre, pourra former à son choix l'une ou l'autre demande : ainsi, nulle gêne dans l'opinion; et toute liberté à cet égard est maintenue ».

Mais la loi du 8 mai 1816 a aboli le divorce et n'a même laissé subsister, que comme demandes en Séparation de corps, les demandes en divorce qui avaient éte formees précédemment. . l'article Effet rétroactif, sect. 3, S. 2, art. 6. ]]

Nous examinerons d'abord quelles sont les causes qui doivent motiver une demande en Sépararation de corps;

Ensuite, quelles sont les fins de non rece. voir qui peuvent l'écarter;

Puis, dans quelle forme il doit être procédé à cette Séparation;

Enfin, quels sont les effets qui en résul

tcnt.

S. I. Des causes en vertu desquelles on peut demander une Séparation de

corps.

Il n'est pas ici question de la Séparation de corps qui se prononce sur la demande du mari contre sa femme convaincue d'avoir souille la couche nuptiale par un commerce adulterin. Ce qui est dit sous le mot Adultère, [[et dans mon Recueil de Questions de droit, sous le même mot ]], dispense de détails ultérieurs à cet égard.

Nous n'avons donc à parler que des autres causes qui peuvent autoriser un mari à quitter sa femme, ou une femme à quitter son mari.

II. Quelles sont ces causes? C'est ce qu'il n'est pas facile de déterminer. On peut bien dire en general, que le remède de la Séparation doit être accordé à l'époux qui a considérablement à souffrir de la haine de son époux, et qui n'a pas lieu de s'attendre à une réconciliation sincère. Mais la difliculté est de savoir précisément quel doit être le degré et le genre de ses souffrances, pour en venir là.

D'abord, le juge doit-il être indulgent ou sévère sur ce poiut?

Cette question préliminaire n'en était pas une pour nos ancêtres. Jamais, jusqu'à nos jours, on ne s'était avisé de soutenir qu'on dut etendre et favoriser les Separations de corps. On sentait trop que ces sortes de remèdes, dont le but, il est vrai, est de prevenir de plus grands malheurs, entrainent toujours, lors même qu'ils sont justes, des maux graves et certains; on en voyait naître le scandale des mœurs, le danger de l'exemple, la division des familles, la perte des enfans, et l'on sentait que faire une seule fois flechir la loi, c'etait la forcer à fléchir bientot eucore davantage.

On n'avait même besoin, sur ce dernier inconvenient, que de se rappeler ce qui etait arrivé chez les Romains. Après des siècles écoulés sans qu'un seul mari eût usé du privilege qu'il avait seul de répudier sa femme, il s'en trouva enfin un qui le premier osa hasarder ce dangereux exemple. Bientôt les imitateurs se multiplièrent, et l'abus se propagea au point que, pour etablir une balance, on fut oblige d'accorder aux femmes la liberté reciproque de quitter leurs maris: au lieu d'arrêter le torrent, c'etait lui ouvrir deux passages. Les femmes abuserent,à leur tour,de leur nouveau droit; bientot elles compterent les années par le nombre des maris qu'elles avaient eus, autant que par celui des consulats; et la dissolution fit des progrés si rapides, qu'il fallut que les empereurs Théodose

et Valentinien spécifiassent dans une loi les seules causes pour lesquelles le divorce pourrait être autorisé.

Cet exemple si remarquable servira toujours de réponse victorieuse aux prétendus avantages du système de ceux qui voudraient accorder aux Séparations de corps, une faveur et des facilités contraires à la nature des choses.

Cependant il faut dire aussi, d'un autre côté, qu'une rigueur trop inflexible offenserait l'humanité, écraserait, à force de justice, la faiblesse opprimée, changerait les douleurs en desespoir, et deviendrait complice des crimes en les nécessitant. De tout temps le tor rent des mœurs entraina les lois; il faut né cessairement que les lois suivent l'homme de loin, qu'elles se prêtent, qu'elles cèdent un peu à ses écarts.

Ainsi, le juge doit, en cette matière, se tenir dans un sage milieu entre une molle indulgence et une rigueur outrée.

Entrons maintenant dans le détail des causes sur lesquelles on peut fonder une demande en Séparation.

III. Les mauvais traitemens du mari en

vers sa femme sont les plus communes. Il est juste en effet de plaindre et secourir la victitime infortunée, qui, au lieu de trouver un ami dans son époux, n'y rencontre qu'un tyran; et l'on ne peut lui refuser la liberté d'aller chercher ailleurs la paix et la sûreté qu'elle ne peut plus trouver auprès de lui.

Mais à quel point faut-il que les mauvais traitemens soient portés pour opérer cet effet?

Le chap. 13, de restitutione spoliatorum,aux décrétales, exige qu'ils soient tels que la femme n'ait aucun autre moyen de garantir sa vie de la haine d'un époux dénature: Sitanta sit viri sævitia ut mulieri trepidanti non possit sufficiens securitas provideri.

Ne croyons pas cependant qu'il n'y ait de mauvais traitemens capables de faire séparer une femme d'avec son mari, que ceux qui consistent en coups. Les chagrins, les peines morales, les traverses peuvent et doivent, jusqu'à un certain point, être mis sur la même ligne. Qu'importe qu'une femme périsse victime des effets lents, mais irresistibles de la douleur que lui causent les outrages d'un mari qui la hait, ou qu'elle expire sous l'effort des coups meurtriers dont il l'accable? Le mari n'est pas moins, dans un cas que dans l'autre, l'ho micide de sa femme; et le remède de la Séparation n'est pas moins établi pour prévenir

le premier malheur, que pour détourner le

second.

Tout ce qu'on doit remarquer, c'est que tels faits qui sont insuffisans pour séparer des époux de la classe indigente et laborieuse du peuple, prennent, entre personnes d'un état plus ou moins relevé, un caractère de gravité qui peut devenir un moyen légitime de Separation.

Les uns, nés dans une condition basse, ont contracté des mœurs et un genre de vie conformes à leur état. Accoutumés des l'enfance à un langage grossier, les propos les plus outrageans, les trouvent presque toujours insensibles; les emportemens d'un mari brutal ne laissent aucune trace de ressentiment dans le cœur d'une femme, et le calme le plus profond succède toujours à ces orages passa gers (1).

Les autres, au contraire, élevés dans la mollesse et avec douceur au sein de l'opulence, sont délicats et sensibles à l'excès: pour eux rien n'est indifferent; un geste, un regard sont des outrages; souvent un mot seul s'imprime et se perpétue dans leur pensée; ce sont moins les paroles que l'intention qui les offense; et les discours en apparence les moins déchirantes; elles y laissent des cicatrices qui outrageans, sont pour leurs cœurs des pointes ne se ferment jamais. De-là, ces longs ressentimens, ces haines irréconciliables qui, plus d'une fois, ont rendu deux époux insuppor tables l'un à l'autre, et nécessité leur Separation.

Il est même certaines positions dans lesquelles des faits qui, par eux-mêmes, ne suffiraient pas pour faire séparer deux epoux, circonstances, assez importans pour determi même d'un etat relevé, deviennent, par les ner la justice à accueillir les plaintes de la pece vraiment remarquable, qui a ete jugee femme. C'est ce qui est arrive dans une esassez récemment à Nancy.

La dame Ant.... était tourmentée d'un cancer. Son mari, au lieu de la laisser jouir de toute la tranquillité qu'exigeait son etat, parut ne s'occuper que des moyens de lui causer de facheuses revolutions. Tous les jours il lui faisait ressentir son humeur turbulente; tous les jours il trouvait de nouvelles

(1) C'est surtout entre ces personnes qu'on doit faire l'application d'un arrêt du parlement de Provence, du 12 juin 1655, rapporté par Boniface, tome 1, liv. 5, tit. 8, chap. 2, et qui juge que les menaces faites par »le mari à sa femme, ne sont pas causes suffisantes pour les Séparations de corps, et qu'il faut un at

» tentat sur la vie »

[[V. l'article Divorce, sect. 4, S. 12. ]]

occasions de la troubler par des alarmes soudaines. La nuit, loin de ramener le calme, ne servait qu'à redoubler le mal par les bruits, les apparitions de fantômes et d'autres scènes extravagantes que le sieur Ant... affectait toujours de réserver pour ce temps de repos. Enfin, les mauvais procédés furent portés à un tel excès, que la dame Ant...., par un effet naturel des frayeurs qu'elle avait ressenties, se vit attaquée d'un vomissement continuel. Elle se determina alors, d'après l'avis de plusieurs médecins et chirurgiens, à demander sa Séparation.

Par arrêt du 20 mars 1762, elle fut admise à faire preuve des mauvais traitemens et des affectations méprisantes dont le sieur Ant.... avait usé envers elle et les personnes qui lui appartenaient, pendant leur séjour au château de Maxeville.

En outre, il fut ordonné qu'elle serait visitée par deux médecins et chirurgiens, pour reconnaitre la nature de sa maladie, s'expliquer sur les progrès qu'elle pouvait avoir, et déclarer les effets que pouvaient produire, en pareilles circonstances, les mouvemens de passions violentes de l'ame, surtout du chagrin, de la tristesse, ainsi que des frayeurs subites.

Ces préliminaires remplis, il intervint, le 3 août de la même année, arrêt définitif, par lequel la dame Ant.... fut autorisee à vivre séparément pendant tout le temps que durerait la maladie dont elle était attaquée.

Deux ans après, le sieur Ant.... demanda qu'elle fût visitée de nouveau. Pour lui oter à l'avenir tout prétexte de récidiver, elle sup. plia la cour d'ordonner que les médecins et chirurgiens déclarassent si le mal etait susceptible de guerison. Il fut décidé que la maladie etait incurable.

Le sieur Ant.... ne se rebuta point: il demanda, dans une nouvelle instance, que sa femme fût condamnée à rentrer avec lui, sinon à lui payer une pension viagere de 800 livres, et à se retirer avec sa fille dans un cou. vent.

Nouvel arrêt, du 21 novembre 1765, qui débouta le sieur Ant.... de ses demandes, et ordonna l'exécution du premier, le condamna aux frais des visites des médecins et chirurgiens, et à ceux de l'arrêt.

Le mauvais succès de ses tentatives n'empêcha pas le sieur Ant.... de présenter encore, le 31 décembre 1768, une requête par laquelle il demanda que le rapport qui avait déclaré le mal incurable, fût remis à de nouveaux experts qui prononceraient si l'état actuel de la maladie pouvait encore être un empêche.

ment absolu à la réunion des deux époux.

Mais, par arrêt du 11 mai 1769, la cour souveraine de Nancy le déclara purement et simplement non-recevable.

Ainsi, dans toutes les occasions où il s'agit de séparer deux époux, les excès et les dangers sont apprécies avec prudence et discernement. On admet des distinctions, des nuances, pour ainsi dire, entre les excès que peut souffrir telle ou telle femme; et ces distinctions, ces nuances, suivent la gradation des différens états de la société.

Ce n'est pas que les magistrats, par ces distinctions, fassent mépris de la partie des citoy ens la plus obscure, mais peut-être la plus utile, la plus intéressante de l'humanité, et celle qui a des droits plus particuliers à la protection des lois.

Ces distinctions sont la suite d'une observation qui n'a echappé à personne.

La classe inférieure du peuple, livrée à des travaux pénibles. n'est que peu,ou même point du tout, susceptible de cette sorte de sensibilite morale qui mine et détruit souvent l'existence des hommes bien nés. Chez les gens de cette classe, la grossièreté des manières et la rudesse des mœurs semblent liées à la franchise du caractère. Ce sont des defauts qui tiennent à une vertu précieuse, mais qui occasionnent des éclats dans les ménages. Ils en troublent l'harmonie, sans détruire l'union des cœurs; et souvent les ménages qui paraissent le plus agités, sont, au fond, les plus heureux. Les querelles amènent presque toujours les moyens de réconciliation, et avec eux de nouveaux actes de tendresse et de cordialité.

C'est à l'égard des époux placés dans cette condition, qu'on suit encore aujourd'hui la disposition littérale du chap. 13, aux décrétales, de restitutione spoliatorum, rapporté ci-dessus.

On pourrait citer un grand nombre d'arrêts conformes à ces principes; mais on se bornera à en rappeler un qui a été rendu recemment au parlement de Toulouse.

La femme du nommé Grimaud, boulanger, avait formé une demande en Séparation. Une foule de circonstances semblaient s'être reunies pour en faciliter le succes. Les deux époux n'avaient pas vécu un an ensemble. Leur union n'avait été consolidée par la naissance d'aucun enfant. Le mari semblait avoir reconnu lui-même l'impossibilite de co-habiter avec sa femme, en consentant à une Separa tion volontaire, stipulée par acte, et qui avait eu son exécution pendant trois années consé

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