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charger la terre d'une race d'êtres défigurés, rachitiques, rebut honteux, véritable opprobre de l'humanité : et le crime qui l'outrage ainsi dans sa source, ne sera point un motif de Séparation!

» La maladie dont vous vous plaignez (continue le sieur N..........., du ton paisible d'un homme familiarisé avec elle), trouve partout que de la des guérisseurs : rien de plus facile détruire; et la société est pleine de mains qui s'empressent à remplir avec succès cet emploi c'est une raison de plus pour ne le pas mettre au rang des causes de Separation.

» Il serait à souhaiter pour lui et pour sa femme, que son propre exemple ne dementit pas une assertion aussi hardie. Si le virus vénérien est si facile à détruire, pourquoi donc, plus de huit ans après sa première cure, s'en est-il encore trouvé infecté? De deux choses l'une ou c'était le mal ancien qui se reproduisait malgré les précautions, et alors le sieur N........ serait une preuve convaincante qu'il est des espèces de corruptions qui resistent à tous les remèdes ; il serait démontré que ses caresses et son amour seront, le reste de sa vie, un piége redoutable dont la justice ne peut trop se hater d'éloigner une femme. Si, au contraire, c'est un mal nouveau, si ces indices d'un sang vicié, manifestés au milieu du mariage, sont le fruit d'une debauche ré cente, il nous administre donc de lui-même de nouvelles preuves de son inconduite; et la justice doit encore moins hésiter à prononcer la Séparation.

» Mais le mariage ( dit le sieur N.......) est une communauté de biens et de maux. Les conjoints se sont soumis à supporter les uns, comme ils ont droit de demander à partager

les autres.

» Oui, sans doute; mais cette communauté n'est pas celle des maux que le libertinage procure, comme ce n'est pas celle des biens dont l'origine serait honteuse.

» On vous a cité la lèpre; on vous a dit, elle n'autorise point les Séparations : les maladies vénériennes, en a-t-on conclu, ne doivent donc pas avoir plus d'efficacité; mais, messieurs, quelle différence! La lépre n'était qu'une maladie de la peau; elle était incommode, dégoû tante, contagieuse même; mais enfin, elle n'attaquait point les sources de la vie; le malade, après une retraite plus ou moins longue, reparaissait dans la société ; il y reprenait ses fonctions: avec des soins, on se garantissait, en le servant, d'une communication fâcheuse. L'expérience de plusieurs siècles avait prouvé que le commerce le plus intime, la tendresse conjugale même, n'avait rien de funeste pour TOME XXX.

une épouse prudente, et qu'elle pouvait remplir ses devoirs en tout genre, sans compromettre sa santé. Ce n'était donc point là le cas d'une Séparation.

» En est-il de même ici? Si l'un des conjoints. est atteint, l'autre peut-il tarder à l'être, à moins qu'ils ne fassent d'eux-mêmes ce que nous demandons aujourd'hui, à moins qu'ils ne se séparent volontairement, et que l'infirme ne renonce à jouir de ses droits d'époux? Mais s'il est capable d'en user, malgré son état, comme fait le sieur N..., il est impossible que la peste qui le consume, ne devienne en peu de temps commune à sa triste compagne, et que, pour prix de son exactitude à remplir ses devoirs, elle ne se trouve bientót souillée par cette maladie odieuse,qui atteste avec quelle audace lui-même a violé les siens : c'est donc là le cas d'une Séparation.

» Et ne croyez pas qu'il y ait jamais eu d'obscurité ou d'incertitude à cet égard, dans les opinions des jurisconsultes : ne pensez pas que la jurisprudence ait jamais varié, ni qu'elle ait rejeté, comme on a voulu vous le persuader, du nombre des causes valables de Séparation, celle que nous produisons aujourd'hui. Peu de femmes, il est vrai, ont réussi par cette voie; mais c'est que peu de femmes ont pu acquérir la preuve d'un fait ordinairement presqu'impossible à établir; c'est que, dans toutes les demandes en Separation qui ont été fondées sur cette raison, les maris niaient tou. jours un attentat dont il était difficile de les convaincrc; c'est qu'une confusion impénétrable cachait la source du désastre dont les deux époux se plaignaient : tous deux s'accusaient reciproquement des excés qui l'avaient produit; tous deux étaient peut-être également fondés; et la justice ne trouvant, ni d'une part ni de l'autre, des preuves capables de la déterminer, la justice apercevant qu'ils pouvaient être tous deux également criminels, ne pouvait se résoudre à rien changer à leur état : ce n'était pas l'insuffisance du moyen qui la retenait, mais celle de la preuve.

>> Ici, au contraire, nous avons la preuve acquise, le vrai coupable est connu : des aveux de sa propre bouche ont manifesté la vérité : écartons donc, messieurs, tout cet appareil de citations, qui ne peuvent avoir aucune force: l'espèce est absolument neuve ».

A ces moyens, le défenseur de la femme ajoutait une fin de non-recevoir qu'il tirait du silence que le mari avait garde pendant quinze années consécutives, sans réclamer contre l'arrêt qu'il attaquait.

« Cette fin de non-recevoir (disait-il ) est

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écrite dans deux dispositions de l'ordonnance de 1667. L'une fixe à trois ans la faculte de l'appel, dans le cas où la partie qui a gagné sa cause, a sommé son adversaire de déclarer s'il entend se pourvoir ; l'autre la prolonge et l'arrête à dix ans, lorsque les deux parties sont également restées dans l'inaction et le silence après le jugement.

» Les années ne doivent se compter que du jour de la signification des sentences; quand elles sont écoulées, elles leur donnent la force ét l'autorité des arrêts ».

On répondait que ces articles n'avaient ja mais reçu d'exécution (1); que le droit d'interjeter appel, était une action et devait en avoir la durée; que, dans le texte de l'ordonnance, le délai fatal ne courait que du jour de Ja signification, et qu'à consulter l'esprit de la loi, cette signification devait être faite au domicile de la personne, formalité qui n'avait pas été remplie.

Mais n'avait-elle pas été suppléée par l'âcquiescement formel que le mari avait donné au jugement qui l'avait séparé de sa femme,

dans deux actes consécutifs, dans une transaction qui offrait la preuve écrite et de sa connaissance personnelle du jugement et de sa volonté d'en reconnaître la justice?

Il était difficile au mari de repousser les armes qu'il avait fournies contre lui-même, et de rétracter des aveux, un consentement qu'il avait signés de sa main : il ne lui restait qu'une ressource. celle de soutenir que ce consentement ne dépendait pas de sa volonté : il la saisit, et appelant le droit public à son secours, il soutint [[ et, il faut le dire, avec raison, que la Séparation des époux en, faisait partie, que la dignité du mariage, le sort des enfans, et le scandale que produit le divorce, intéressant essentiellement l'ordre public, ne peuvent être abandonnés aux caprices d'une femme ou à la faiblesse d'un mari; que ni le consentement des parties, ni les arrangemens qu'il leur plaît de faire entre eux, ne forment pas des fins de non-recevoir que la justice puisse admettre; en un mot, qu'on ne transige point, qu'on ne prescrit point contre le droit public et contre les mœurs.

« Les mœurs ( reprit le défenseur de la femme) Que ce mot est bien placé dans la bouche d'un tel mari! Eh! Qu'y a-t-il de commun entre les mœurs et lui?.... J'avoue qu'un accord par lequel des époux consentiraient d'eux-mêmes à ne point habiter ensemble, serait nul de plein droit. Mais il n'en est pas de même de l'acquiescement qu'ils donnent

(1). Particle Appel, sect. 1, §. 5.

à la décision du premier juge : leur obéissance alors peut-elle passer pour un concert frauduleux ? Y a-t-il donc une loi qui enjoigne aux parties de fatiguer des tribunaux supérieurs de leurs contestations, et leur fasse un devoir de renouveler devant eux tous les débats que les sièges inférieurs ont terminés ?

» En matière criminelle, l'acquiescement même de la partie condamnée ne suffit pas pour motiver l'exécution de la sentence: te législateur a voulu assurer cette ressource de plus à l'innocence découragée par la longueur de l'instruction, et la sauver de son propre désespoir, qui aurait pu lui faire préférer une mort prompte à une justification tardive, ou donner à la société des exemples nécessaires, dont l'indulgence ou l'aveuglement des premiers juges auraient pu la priver. Voilà pourquoi l'appel interjete par le ministère public, n'est jamais subordonné aux fins de non-recevoir. Mais dans les objets purement civils, dans ceux-mêmes où son intervention est né

cessaire, il a le choix d'adhérer à la sentence ou d'en appeler. Quand, persuadé par le résultat de l'instruction et de la soumission des parties, il ne trouve dans un jugement rien de répréhensible, rien que de juste, il lui est permis de manifester son approbation par le silence. La matière des Séparations n'est point à cet égard d'une nature particulière : l'ordre public y est intéressé; mais l'intervention du ministère public le met à couvert : or, le ministère public a concouru à la sentence de Reims, et les fins de non-recevoir que le temps a fait naître et fortifiées, doivent avoir leur effet (1).

» Que reste-t-il maintenant des moyens du sieur N....? Rien, absolument rien, si ce n'est ce fantôme de l'intérêt public, cette crainte imaginaire de blesser la dignité du sacrement, ou d'autoriser la révolte des femmes, dans un temps où la licence générale ne rend déjà les bons ménages que trop rares. Mais, messieurs, que notre adversaire se rassure. D'abord, il doit être bien convaincu que des époux aussi dangereux que lui, sont aussi peu communs que des maris scrupuleusement fideles. Ensuite, il faudrait examiner si ce n'est pas en consacrant sa pretention, que les tribunaux porteraient vraiment un coup fu neste à l'honnêteté publique. Il faudrait chercher si le goût du libertinage dans les maris, n'est pas encore plus redoutable que celui de l'indépendance dans les femmes, et s'il n'est pas mille fois plus à craindre de laisser l'un impuni que d'encourager l'autre.

» Hélas! Les devoirs du sexe,dans le mariage, (1) [[ V. ci-après, §. 3, no 5. ]]

sont si multipliés, ses dédommagemens sont si restreints?

» Quel effroi peut-il inspirer? Il n'y a pas une loi pour récompenser ses vertus, il y en a mille pour proscrire ses écarts. Je suppose que le succès de la dame N... pût enhardir quelques infortunées à élever la voix comme elle, à revendiquer les secours de la justice contre leurs empoisonneurs : eh bien ! Qu'en résulterait-il? Quelques demandes en Séparation qui seraient soumises à votre jugement. Celles qui se trouveraient appuyées des mêmes moyens que la nôtre, produiraient les mêmes droits, et motiveraient le même accueil. Celles qui n'auraient à alléguer que des preuves faibles, des indices douteux, seraient rejetées. Quel éclat, quel trouble a donc à craindre la société de ces discussions paisibles, dont l'unique but est de diminuer dans son sein le nombre des malheureux?、

» Si au contraire, vous prononciez en faveur du sieur N..., vous scelleriez, messieurs, par le même arrêt, le triomphe de l'infidélité crapuleuse. N'est-ce donc pas assez que nos lois autorisent à poser ouvertement en principe que l'adultère, puni dans la femme avec la dernière sévérité, ne donne pas même ouverture à la moindre plainte contre le mari? Ah! Que celui-ci jouisse de cette préférence singuliere; qu'il ait le droit de porter impune ment hors de sa maison,des hommages qui sont un crime pour l'objet qui les reçoit: mais qu'il lui soit au moins défendu d'empoisonner son retour. Qu'il lui soit permis d'affliger sa femme par des privations, mais non pas de l'assassiner par des jouissances.

» Soyez-en bien convaincus, messieurs, la paix commune ne sera point altérée par la liberté dont vous assurerez la possession à celle que je defends; la dignité du mariage n'en sera pas blessée; son indissolubulité n'en est pas moins à l'abri de toute atteinte. L'infortunée n'en trainera pas moins, le reste de ses jours, les liens affreux sous lesquels elle succombe; elle renonce, en cas même de veu. vage, à chercher dans les bras d'un autre une indemnité aux maux qu'une alliance indiscrète lui a causés: mais pourriez vous la forcer à retourner dans ceux de son époux? El! Qu'il ait-elle y faire?

» Il l'invite à s'y rejeter: il offre de la traiter en bon mari. Mais le peut-il? La seule idée de sa tendresse fait fremir; où est la caution que ce venin rebelle, qui le rend si redoutable, est dissipe? 11 proteste de son amour! Ah! S'il veut nous rappeler auprès de lui, qu'il parle plutôt de sa haine ».

M. l'avocat général Vergés s'est ainsi expli

qué sur le fond de cette affaire, célèbre : « Il faut convenir d'abord que les lois ro maines, lorsqu'elles ont fait l'énumération des causes du divorce, n'ont pas compris sous les mots de mauvais traitemens, l'indignité du mari qui verse le poison de la debauche dans le sein d'une épouse fidèle, puisque les Romains ne connurent pas cette peste réservée pour nous. Mais s'il est vrai que les lois gouvernent les hommes moins par des sons que par le sens et l'idée que les sons expriment, qu'importe que le poison moderne soit préparé ailleurs que dans des mains homicides? Si ces effets deviennent aussi funestes, aussi meurtriers, la victime ne peut-elle pas recla mer des lois le même remede? Un mari qui souillerait volontairement son épouse innocente, et qui mettrait sa vie dans un danger imminent, en sera-t-il quitte pour dire les lois n'ont pas parle de moi; elle ne m'ont pas precisement nommé parmi les maris coupa bles à qui elles arrachent leur victime? Non, sans doute; il faudrait être barbare ou stupide, pour penser que les devoirs du mariage obligent l'épouse à recevoir le germe de la mort; et il ne paraît pas douteux qu'il peut se trouver des cas et un concours de circonstances où cette cause moderne devienne suffisante pour rendre une Séparation légitime et nécessaire.

» Les maladies qu'on a citées, et que la jurisprudence n'a pas admises au rang des causes de Séparation, ne peuvent être un obstacle à ce principe raisonnable. Elles manquent d'abord de deux caractères qui sont particuliers à celle-ci. Les autres sont des calamités de la nature qui attaquent la vertu comme le vice: la volonté de l'homme n'y est pour rien elles font des malheureux, et non pas des coupables; et les époux, cn s'unissant, se sont juré de partager les infirmités qu'il plait à la Providence de leur

envoyer.

:

» Mais celle-ci est ordinairement le fruit et la punition du vice; le devoir n'oblige pas toujours celle qui est innocente, à partager la punition. Cette corruption profane à la fois le moral et le physique du mariage; elle déchire les liens en éteignant l'amour; elle eufante et justifie à la fois la haine de l'epouse.

"La seconde différence n'est pas moins importante. Tout invite la femme à se précautionner contre les autres maladies: elle est avertie de leur présence par des signes visibles; tout la porte à s'en préserver, rien ne l'attire vers le péril. Dans celle-ci, le fléau est sous les voiles du plaisir, et la nature

elle-même entraîne l'épouse vers sa destruction physique.

» Ainsi, l'exclusion que les lois ou la juris prudence ont donnée aux autres infirmités, telles que la lèpre et l'épilepsie, n'entraîne pas nécessairement l'exclusion du mal vénérien pour moyen de Séparation.

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Pourquoi donc, dira-t-on, tant d'arrêts qui n'ont pas admis ou qui ont formellement rejeté la preuve de ce moyen, s'il est vrai qu'il soit légitime? Il est facile d'en sentir la raison. Tant qu'une question de cette nature se présente sous des apparences équivoques, que la vérité des faits parait problématique, le fruit des recherches incertain, l'origine du mal douteuse, ses effets passagers ou curables, et le premier coupable difficile à distinguer; admettre légèrement une pareille preuve, ce serait ébranler le premier des fondemens de la societe, et porter une atteinte fatale à l'harmonie des mariages. Il faut que les circonstances parlent, crient contre le mari coupable; qu'il soit prouvé l'être, et qu'il le soit seul; qu'epoux despotique et contagieux, il abuse en tyran de la santé de son épouse; que l'existence de sa femme soit physiquement attaquée et dans un danger manifeste; qu'il n'y ait plus d'autre remède que la Séparation; en un mot, que la nécessité fasse violence aux lois, et leur demande, au nom de la nature la conservation d'un être innocent et menacé de périr.

>>Si le succès des épouses qui prennent cette route,est si rare, ce n'est donc pas que l'outrage manque de gravité, ni le moyen de legitimite; c'est qu'il est difficile de réunir les circonstances fortes et impérieuses qui peuvent seules plier la force du lien conjugal; c'est qu'il faut de grands désordres dans l'union des époux, pour leur donner pour remède un aussi grand désordre que le divorce, qui rompt la plus douce des sociétés,qui divise scandalensement les familles, compromet le sort des enfans, et offense l'honnêteté publique. Et où en serionsnous, où en seraient les sociétés actuelles, si le mal vénérien tranchait aussi aisément les liens sacrés du mariage, qu'il est sujet à les profaner? La justice sent tout le danger de reculer la barrière des lois à mesure que la corruption des mœurs s'étend et fait effort contre elles peut-être qu'une fois déplacée de la base autique où elle se soutient depuis des siècles, il serait impossible de la replacer et de l'affermir plus loin. Ne soyons done pas étonnés que de pareilles questions ne soient jamais décidées dans la thèse générale, et qu'on cherche toujours à laisser ces pro

blèmes dangereux dans une sage et salutaire incertitude ».

cieuses sur le fond, M. Verges est entré dans
Après ces réflexions générales et très-judi-
l'examen de la fin de non-recevoir que la
femme opposait à l'appel de son mari ; et il
a estimé qu'elle devait être accueillie (1).

conclusions, il est intervenu, le 16 décembre
En conséquence, et conformément à ses
claré non-recevable dans son appel.
1771, arrêt par lequel le sieur N.... a été dé-

[[La question présente, sous le Code civil, plus de difficulté que sous l'ancienne jurisprudence.

L'ancienne jurisprudence n'avait point de règle positive sur les cas de Séparation de corps, elle les abandonnait à la conscience et aux lumières des juges Mais le Code civil les détermine avec précision, et il les réduit à quatre adultere, sévices et excès, injures graves, condamnation de l'un des époux à une peine infamante. Ainsi, hors ces quatre cas, point de Séparation de corps.

Et de là ne semble-t-il pas résulter qu'il est dans l'esprit du Code civil de ne pas admettre pour cause de Séparation de corps, le mal vénérien que l'un des époux aurait communiqué à l'autre?

Voici une espèce dans laquelle cette question s'est présentée.

La dame Labrouche, poursuivie par son mari pour se voir condamner à rentrer dans la maison conjugale qu'elle avait abandonnée demande en Séparation de corps, qu'elle modepuis quelque temps, lui répond par une tive sur ce qu'il a porté la mort dans son sein par une maladie honteuse, et elle offre la preuve de ce fait. Le sieur Labrouche soutient que l'honnêteté publique s'oppose à la preuve fut-il prouve, ce fait ne constituerait pas une du fait articulé par son épouse, et ajoute que, cause de Séparation de corps.

Par jugement du 30 ventôse an 12, le tribunal civil de l'arrondissement de Bayonne déclare la dame Labrouche non-recevable dans sa demande.

Appel; et le 3 février 1806, arrêt de la cour d'appel de Pau, qui confirme ce jugement,

<< Attendu qu'aux termes de l'art. 306 du Code civil, la Séparation de corps entre époux, peut être demandée dans les cas où il determinée; que ces causes sont enumerées y a lieu à la demande en divorce pour cause en termes précis et formels, aux art 229, 230, 231 et 232 ; que la communication du mal vé

V. ci-après, S. 3, no 5.

nérien n'étant pas mise au nombre de ces cau-
cela même : inclu-
ses, elle en est exclue par
sio unius est exclusio alterius;

» Qu'il n'est pas sérieux de prétendre que
cette communication étant un mauvais traite-
ment,elle est implicitement comprise, comme
cause de Séparation, dans l'expression gené-
rique d'excès et sévices, dont se sert l'art.
231, puisque, d'un côté, tout mauvais traite-
à
ment n'est pas un excès ou sévice propre
d'autre part,
opérer une Séparation, et que,
en raisonnant ainsi de la loi par analogie et
par comparaison, on en étendrait l'applica
tion à des cas qu'elle n'embrasse point; qu'il
faut d'autant plus se renfermer ici dans le cer-
cle qu'elle a tracé, que ses dispositions sur ce
point prononcent une peine; et qu'en prin-
cipe, des dispositions de cette nature doivent
être plutot restreintes qu'étendues : odia sunt
restringenda;

» Qu'en un mot, la loi ayant clairement déduit les causes de Séparation, il faut néces sairement conclure de son silence sur le mal vénérien, qu'elle n'a pas voulu faire de la communication de ce mal, une cause de Sépa sation : quod tacuit noluit ».

La dame Labrouche se pourvoit en cassation contre cet arrêt, qu'elle présente comme contraire aux art. 231 et 306 du Code civil.

«La cause ( dit-elle ) se réduit à cette simple question: la communication du mal vénérien est-elle rangée dans la classe des excès, sévices, injures graves dont deux époux peuvent se rendre coupables l'un envers L'autre? Et si l'affirmative est incontestable, la communication du mal vénérien est, aux termes de l'art. 231 du Code civil, une cause de Séparation.

»Il est vrai que la nature de ce mal est telle qu'il est souvent très-difficile de prouver lequel des deux époux l'a communiqué à l'autre, lequel des deux est le coupable ou la victime; qu'il y a des inconvéniens à ordonner cette preuve, et que les moyens en sont souvent contraires à la décence, et ses résultats incertains. Mais que conclure de là?

diffi» Que les juges doivent n'autoriser que cilement cette preuve, n'admettre l'offre de la faire, que lorsque deja cette offre sera soutenue d'indices graves.

la contravention à la loi; c'est là une fausse
doctrine qu'il serait singulièrement dange-
reux de laisser accréditer ; car telle ne peut
avoir été l'intention du législateur qui a con-
sacré parmi nous le divorce et la Separation
de corps. De toutes les causes propres à l'au-
toriser, il ne peut y en avoir de plus puissan-
la
que
-te, de plus urgente, de plus efficace,
commuuication volontaire et reiterée d'un
mal qui neutralise l'union conjugale, ou qui
ne lui fait produire que des fruits empoison-
nes, qui rend la vie commune insupportable,
qui fait de la co-habitation un danger conti-
nuel, un supplice pour l'un des deux époux».

Sur ces raisons, arrêt de la section des requêtes, du 18 février 1807, qui admet le recours de la dame Labrouche.

Le sieur Labrouche est en conséquence assigné devant la section civile, pour répondre aux moyens de cassation de son épouse; et voici dans quels termes il propose sa défense:

« L'art. 231 du Code civil autorise le divorce, et par conséquent la Séparation de corps, pour excès, sevices et injures graves de l'un des époux envers l'autre. Mais comprendre dans ces expressions la communication du mal

vénerien, c'est les dénaturer et leur attribuer un sens qui ne leur appartient pas. Ces mots excès, sévices, ont ici le même sens que sævitia dans les décrétales: ce sont les emporlemens, la haine et la férocité du mari, qui mettent en périlles jours de sa femme. Telle est aussi l'explication qu'a donnée à ces termes l'orateur du gouvernament qui a présenté au corps législatif le titre du Code civil, du divorce et de la Séparation. Les Excès, les SÉVICES, les injures graves (a dit cet orateur, M. le conseiller d'état Treilhard) sont des causes de divorce; il serait superflu d'obser ver qu'il ne s'agit pas de simples mouvemens de vivacité, de quelques paroles dures échappées dans des instans d'humeur ou de mécontentement, de quelques resus méme déplacés de la part d'un époux, mais de vÉRITABLES EXcès, de mauvais traitemens personnels, de sévices dans la rigoureuse acception de ce mot SÆVITIA, de CRUAUTÉS, et d'injures por tant un grand caractère de GRAVITÉ.

» Cette explication est tout à la fois conforme aux termes de la loi et aux anciens principes qui en avaient préparé les dispositions. Ainsi, point d'excès, point de sévices, s'ils ne sont pas les effets des emportemens, de la barbarie, de la cruauté du mari. Trouve-t-on ces caracteres d'inhumanité, de férocité, dans la communication du mal vénerien d'un mari à sa femme? Est ce par le projet barbare de por» Or, c'est là que git l'erreur ; c'est là que git ter une maladie honteuse, et peut-être la mort

» Ce n'est pas là ce qu'a fait la cour d'appel de Pau. Elle a posé comme règle générale et absolue, que la communication du mal vénérien, quelque constante et démontrée qu'elle pút être, ne pouvait, dans aucun cas, être une cause de divorce ni de Séparation.

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