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généraux. Joséphine avait accompagné l'empereur jusqu'à Mayence, et y resta quelque temps après lui, jusqu'au moment, je crois, où M. de Talleyrand, qui était aussi à Mayence, fut mandé à Varsovie; ensuite elle retourna à Paris. Bien persuadée du bonheur que j'éprouverais à lui être agréable en quelque chose, Joséphine eut la bonté de me recommander quelques personnes auxquelles elle s'intéressait, et je n'ai pas besoin de dire quel empressement je mis toujours à faire tout ce qui dépendait de moi en faveur de ses protégés. Voici un de ses billets de recommandation qui prouve que, depuis mon éloignement de Paris, elle n'avait pas changé de sentimens à mon égard.

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« Monsieur Bourrienne, M. Fazy, natif de Ge« nève, se rend à Hambourg pour y suivre un procès relatif à une succession qui lui est con« testée. Il désire que je le recommande à votre « bienveillance, et je vous écris en sa faveur, d'autant plus volontiers que je profite de cette « occasion pour vous renouveler l'assurance de << mon amitié.

Paris, le 11 février 1807.

« JOSEPHINE.>>

Muni de la lettre qu'on vient de lire, M. Fazy se présenta chez moi, et je lui fis l'accueil qu'exigeait une pareille recommandation et que d'ailleurs il méritait personnellement.

Je trouve dans mes papiers de cette époque une note qui me fut transmise, je ne sais plus par qui ni comment, et qui se rapporte également à l'effet que produisit en Prusse la mort du duc d'Enghien et à l'inimitié de la Prusse pour les Français au commencement de la campagne d'léna. Au surplus, je crois pouvoir garantir l'exactitude des faits qu'elle contient. Il se peut, sans que j'en sois toutefois parfaitement sûr, que ce soit un article destiné au Correspondant de Hambourg qui aura été intercepté, et qui, par conséquent, n'aura pu y être inséré. Quoi qu'il en soit, voici

cette note.

« Le jour où l'on apprit à Berlin la nouvelle de la mort du duc d'Enghien, il y avait réception et jeux à la cour. Quand le courrier porteur de cette affreuse nouvelle arriva, il était trop tard pour contremander la réunion, et d'ailleurs dans la nécessité ou était le roi de Prusse d'observer beaucoup de ménagemens avec le chef du gouvernement français, il y aurait eu de l'imprudence de sa part, n'étant point déterminé à écouter les of

fres d'alliance que lui proposait l'Angleterre. L'embarras fut grand le soir pour les personnes chargées de faire les honneurs et d'arranger les parties. Dès que la nouvelle de la mort du jeune prince assassiné fut connue, les esprits furent tellement exaspérés que la plupart des Français résidans à Berlin devinrent un objet de haine ou tout au moins de répugnance. C'était un sentiment irréfléchi, injuste, sans doute, mais spontané. Enfin le soir, quand il s'agit d'organiser les parties, on ne trouva personne qui voulût s'asseoir à la même table que l'ambassadeur de France, et lui servir de partner. C'était une chose résolue d'avance parmi toutes les personnes présentées. Il n'y avait rien. là de personnellement désobligeant pour M. de Laforest, tout s'adressait au représentant de celui qui venait d'assassiner si lâchement un prince de la maison de Bourbon. Malgré l'estime que pour sa personne et qu'il mérite, dès qu'il arriva à la cour, tout le monde lui tourna le dos, et l'on refusa de jouer avec lui et avec aucune des personnes attachées à la légation. La personne qui arrangeait les parties se trouva cruellement embarrassée, ne pouvant pas, à cause de la position du roi, laisser l'ambassadeur dans l'inaction, là où tout le monde jouait, et cette personne fut ré

l'on a

duite à la nécessité de lui faire faire ce que l'on appelle une partie de famille. »>

La note que l'on vient de lire exprimait sans trop d'exagération, à l'exception de quelques mots que je n'ai pas voulu adoucir pour n'y rien changer, l'opinion de toute la Prusse sur la mort du duc d'Enghien; on ne se fait pas idée de l'horreur que l'empereur inspira depuis cette époque aux Prussiens, horreur qui devint une espèce de rage frénétique lorsqu'il se fut conduit d'une manière si inconcevable, et, j'ose le dire, si inexcusable, avec la belle et vertueuse Wilhelmine, femme aussi adorable qu'elle fut adorée par ses sujets, qui faisait le bonheur d'un époux digne d'elle, et que d'infâmes libellistes n'ont pas craint de calomnier dans des feuilles vendues à la police de Fouché. Ces indécentes injures ne contribuèrent pas peu à ce vaste mouvement qui, par la suite, arma la population de la Prusse et lui inspira des sentimens de haine et de vengeance contre Napoléon et la France. Sa mort même, que l'on attribua à ses chagrins politiques, donna quelque chose de plus violent à des désirs de vengeance, et voilà, en général, quel est le fruit des injures; il est rare qu'en définitive, elles ne tournent pas au préjudice de ceux qui les ont dictées.

Je me suis laissé aller sans aucune préméditation à quelques réflexions que m'a inspirées la note que j'ai rapportée plus haut; je reviens maintenant à quelques faits. Parmi les personnes que je vis à Hambourg au commencement de 1807, je me rappelle monsieur de Turenne, officier d'ordonnance de l'empereur. Ce fut lui qui m'annonça que le maréchal Victor avait été fait prisonnier près de Colberg, et qu'on le croyait à Saint-Pétersbourg. Cette nouvelle nous affligea beaucoup.

Cependant, les affaires intérieures des villes où s'étendait ma juridiction diplomatique, me donnèrent bientôt plus d'occupations que jamais. Ma position de ministre à Hambourg, et auprès des villes Anséatiques, était plus que délicate, car je voulais, autant que cela m'était possible, conserver les droits de ces villes neutres et les maintenir dans toute leur intégralité. Pour cela, j'eus souvent à combattre, non pas contre ces villes pressurées de tant de façons, mais en leur faveur contre les autorités françaises, et surtout contre les autorités militaires. Le plus grand malheur de l'empire fut, selon moi, l'abus du droit que s'arrogeaient les porteurs de grosses épaulettes. J'ai pu juger alors tout ce qu'il y avait d'odieux dans le gouvernement militaire; le pire, selon moi,

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