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que, dit-il, M. le syndic Doormann dînant un jour chez lui et ayant bu un peu plus que de coutume lui avait emporté son manteau. Cette défense, per Bacco, eut un plein succès; un raisonnement puisé dans la ressemblance d'un accusé et d'un syndic devait en effet triompher, sans quoi la petite débauche du syndic aurait été condamnée dans la personne d'un autre. A parler sérieusement, ce procès terminé d'une manière assez plaisante n'en prouve pas moins que les meilleures institutions, que celles qui ont le plus de gravité, peuvent prêter au ridicule lorsqu'elles sont brusquement introduites dans des pays où les mœurs ne sont point encore disposées pour les rece

voir.

J'ai su, dans un temps déjà antérieur à celui dont je parle, combien il avait fallu déployer de rigueur dans la malheureuse Italie, et combien on courut le danger de voir partout des insurrections dans les pays où l'on voulut imposer la loi française, là où régnaient les lois paternelles de Beccaria. Ces lois n'admettaient point la peine de mort, et partout où elles étaient usitées, il y avait moins d'assassinats que ой que ce soit, et le jour où il y eut une première exécution à mort à Plaisance, la ville devint tout à coup déserte; on aurait dit que

le feu du ciel allait tomber sur cette malheureuse cité.

Ce que je voyais à Hambourg me rappelait ce que j'avais appris par des rapports sur la révolte du Plaisantin; non pas que les bons Hambourgeois fussent hommes à se révolter; mais, vraiment, c'était une grande folie de croire que l'on s'attacherait les peuples en froissant toutes leurs habitudes, toutes leurs idées. Les Romains étaient bien plus adroits dans leur domination: ils avaient toujours en réserve au Capitole une place pour les dieux du peuple vaincu. Les Romains voulaient annexer des provinces et des royaumes à l'empire; Napoléon voulut plus, il voulut au contraire faire déborder l'empire et réaliser l'utopie impossible de dix peuples différens ayant des moeurs et des idiomes divers, transformés en un seul peuple. Comment, par exemple, la justice, cette sauve-garde des droits humains, put-elle être rendue dans les villes Anséatiques quand on en eut fait des départemens français? On avait placé dans ces nouveaux départemens beaucoup de juges qui ne savaient pas un mot d'allemand et qui ignoraient complètement le droit. Les présidens des tribunaux de Lubeck, de Stade, de Bremerlehe, de Minden, étaient tellement étrangers à la

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connaissance de la langue allemande, qu'il fallait, dans la chambre du conseil, lear expliquer toutes les plaidoiries. N'y avait-il pas de l'absurdité à imposer un tel régime judiciaire et surtout de tels hommes, à un pays aussi important pour la France que Hambourg et les villes Anséatiques? Que l'on ajoute à cela, l'impertinence de quelques jeunes protégés, que l'on envoyait de Paris pour faire leur apprentissage administratif ou judiciaire dans les provinces conquises, et l'on concevra quel dut être l'amour des habitans pour le grand Napoléon.

CHAPITRE XXIV.

Commencement des affaires d'Espagne.

Point de pré

méditation de Napoléon dans l'affaire d'Espagne. Godoï et les favoris. — Haine des Espagnols envers le prince de la Paix. - Accusations réciproques entre le Roi et son fils. L'Espagne offerte à Louis. Promesse fallacieuse de Napoléon. Indignation générale causée par la présence des Français. - Abdication de Charles IV. Le prince de la Paix prisonnier.

à Madrid.

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Murat

Nouvelle importante transmise par une

lettre du commerce.

Les agens du gouvernement induits en erreur. — Ambition démesurée de Murat. Protection accordée à Godoï. — Abdication attribuée à la violence. Napoléon arbitre entre le père et le fils.

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Piège tendu. Le trône d'Espagne destiné à Joseph.
-Désapprobation générale de la conduite de Napoléon.

Dès la fin de 1807 commencèrent les affaires d'Espagne, qui se compliquèrent bientôt d'une manière si prodigieuse. Bien qu'éloigné du théâtre des évènemens je les sus alors et depuis d'une manière positive; ce fut un négociant de Hambourg

qui m'en donna les premières nouvelles, confirmées bientôt officiellement, et depuis j'ai eu souvent l'occasion d'en parler avec une personne attachée à l'ambassade de France à Madrid. Notre ambassadeur était alors M. de Beauharnais. Cependant, comme ce point d'histoire est un des plus connus, et je puis dire des mieux connus, j'élaguerai de mes notes et de mes souvenirs beaucoup de choses qui ne seraient que des répétitions pour quiconque a un peu lu. Un fait assez important que je puis certifier, c'est que Bonaparte, qui avait eu tour-à-tour des vues sur tous les états de l'Europe, ne s'était jamais occupé de l'Espagne tant que sa grandeur ne fut qu'en projets; dans tout ce qu'il me disait de son avenir, de ses destinées, de son étoile, c'était toujours de l'Italie, de l'Allemagne, de l'orient et de la destruction de la puissance anglaise qu'il était question, et non jamais de l'Espagne ; aussi quand il apprit les premiers symptômes de désordres, n'y fit-il pas d'abord beaucoup d'attention, et laissa-t-il passer quelque temps avant de prendre une part active aux événemens qui devaient avoir une si grande influence sur sa fortune.

Quel était l'état des choses? Godoi régnait en Espagne sous le nom du faible Charles IV. Ce fa

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