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vori était l'objet de l'exécration de tous ceux qui n'étaient pas ses créatures, et ceux mêmes qui s'étaient attachés à sa fortune nourrissaient pour lui le plus profond mépris. La haine des peuples est presque toujours le juste salaire des favoris, parce qu'un tel rôle annonce quelque chose d'abject dans l'ame et des sentimens vils et bas. Si cela s'applique aux favoris en général, quels sentimens devait inspirer un homme qui, au su de toute l'Espagne, ne devait la faveur du roi qu'aux faveurs de la reine. Godoï fut un homme fatal: son ascendant était sans bornes sur la famille royale; son pouvoir était celui d'un maître absolu; les trésors de l'Amérique étaient à sa disposition, etilles employait à des séductions infâmes; enfin il avait fait de la cour de Madrid un de ces lieux où la muse indignée de Juvénal a conduit la mère de Britannicus. Nul doute que Godoi ait été une des principales causes de tous les malheurs qui depuis n'ont pas cessé d'accabler l'Espagne sous des formes diverses.

La haine des Espagnols contre le prince de la Paix, était générale. Le prince des Asturies la partageait et se déclara ouvertement l'ennemi de Godoi. Celui-ci s'unit à la France dont il espérait une puissante protection contre ses nombreux en

nemis, cette alliance déplut en Espagne, et fit regarder la France de mauvais œil. Le prince des Astu. riesse trouva encouragé et soutenu par les plaintes des Espagnols qui désiraient la perte de Godoi.

De son côté, Charles IV regardait comme dirigé contre lui tout ce qu'on faisait contre le prince de la Paix; et dès le mois de novembre 1807, il accusait son fils de vouloir le détrôner.

M. de Beauharnais, parent du premier mari de Joséphine, était un homme fort circonspect. Combien, alors, sa position devint délicate et difficile à Madrid! tout en rendant justice aux excellentes qualités sociales de cet homme de bien, je dois convenir qu'elle était un peu forte pour lui. Cependant, sans être doué d'un esprit supérieur, M. de Beauharnais l'était d'un certain tact qui lui faisait bien voir les choses, et ce fut lui qui informa d'abord le gouvernement des mésintelligences qui existaient entre le roi d'Espagne et le prince des Asturies. Il ne pouvait en effet ne pas informer sa cour de tout ce dont il était témoin; plusieurs fois, m'a-t-on dit, il s'était interposé avec toute l'autorité que lui donnait sa position, avant d'avertir l'empereur; mais les choses en vinrent au point où le silence aurait été une faute grave. Pouvait-il laisser ignorer à l'empereur que dans

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l'excès de son irritation contre son fils, Charles IV avait manifesté hautement le désir de voir révoquer la loi qui appelait le prince des Asturies à la succession de l'un des trônes de Charles-Quint? Charles IV ne s'en tint pas à des plaintes et à des manifestations verbales, il agit, ou plutôt le prince de la Paix agit en son nom, il fit arrêter les plus chauds partisans du prince des Asturies. Celui-ci bien instruit des sentimens de son père, écrivit à Napoléon pour lui demander son appuì. On vit alors le père et le fils, en guerre ouverte, réclamer l'un contre l'autre, l'appui de celui qui ne demandait qu'à se défaire de tous les deux pour mettre un de ses frères à leur place, et avoir un cadet de plus dans le collége des rois de l'Europe; mais, comme je l'ai dit, cette ambition nouvelle n'était point préméditée, et si, comme on le verra plus tard, il donna le trône d'Espagne à son frère Joseph, ce ne fut qu'au refus de son frère Louis, déjà roi de Hollande. J'ai lu la lettre que Napoléon écrivit à Louis en cette circonstance; j'en ai même conservé une copie, mais ce n'est pas ici le lien de la rapporter.

Quoi qu'il en soit, l'empereur avait promis à Charles IV de le soutenir contre son fils; ne voulant pas se compromettre dans ces vilaines affaires

de famille, il est certain qu'il ne répondit pas aux premières lettres du prince des Asturies. Mais, voyant que les intrigues de Madrid prenaient un caractère sérieux, il commença provisoirement par envoyer des troupes en Espagne. Les Espagnols en furent offusqués. La nation espagnole n'avait rien, en effet, à démêler avec la France. Les Espagnols n'étaient pas complices des infamies de Godoi et des mésintelligences du roi avec son fils. Dans les provinces que traversèrent les troupes françaises, on se demandait pourquoi cette invasion avait lieu; selon le parti auquel ils étaient attachés, les uns l'attri-. buaient au prince de la Paix, les autres, au prince des Asturies; mais tous en étant indignés, des troubles éclatèrent à Madrid avec la violence inséparable du caractère espagnol.

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Dans ces circonstances effrayantes et plus me naçantes encore pour l'avenir, Godoi proposa Charles IV de le mener à Séville, où il serait plus à portée de déployer toute sa sévérité contre les factieux. Une proposition de Godoï à son maître était moins un conseil qu'un ordre. Charles IV résolut donc de partir; mais dès lors le peuple regarda Godoï comme un traître. Le peuple se souleva, investit le palais, et le prince de la Paix fut sur le point d'être massacré dans un grenier où

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il s'était réfugié. Un de ces furieux eut la présence d'esprit d'invoquer en sa faveur le nom du prince des Asturies, et c'est ce qui l'arracha à une mort certaine.

Cependant Charles IV ne conserva pas son trône; facile à intimider, on profita d'un moment d'effroi pour lui demander une abdication qu'il n'avait ni le courage ni la force de refuser. Il céda ses droits à son fils et dès lors disparut le crédit insolent du prince de la Paix; on le constitua prisonnier, le peuple espagnol, facile à remuer comme toutes les populations ignorantes, manifesta sa joie avec un enthousiasme barbare. Pendant ce temps-là, le malheureux roi, soustrait par sa faiblesse aux violences et aux dangers plus apparens que réels qu'il avait courus, et satisfait d'avoir gagné le droit de vivre en échange de sa couronne, changea d'idée aussitôt qu'il se vit en sûreté. Il lui revint alors des velléités royales et écrivit à l'empereur pour protester contre son abdication. Il le prenait pour arbitre et s'en remettait à lui sur son sort futur.

Pendant le cours de ces dissentions intestines, l'armée française suivait sa marche vers les Pyrénées; bientôt ces montagnes furent franchies, et Murat fit son entrée dans Madrid vers le commen

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