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cement d'avril 1808. Je sens bien qu'ici je m'aventure au milieu d'événemens postérieurs à différentes choses sur lesquelles il faudra que je revienne; mais au point où je suis parvenu, le lecteur doit être habitué à mes allures un peu capricieuses; je continue donc à raconter ce que j'ai su des préliminaires de la guerre d'Espagne. J'ai su, par exemple, et cela avant d'avoir reçu à Hambourg aucune dépêche du gouvernement, que la présence de Murat à Madrid, bien loin de produire un bon effet, avait encore ajouté au désordre. Cette assurance me fut donnée par un négociant de Lubeck, qui avait eu la complaisance de venir à Hambourg exprès pour me communiquer une lettre qu'il venait de recevoir de son correspondant à Madrid. Je crois avoir déjà dit que les maisons de commerce des villes Anséatiques étaient toujours informées les premières des nouvelles importantes, je puis ajouter que la primeur de ces nouvelles n'était pas leur seul mérite; elles étaient plus exactes que les nouvelles officielles, et j'ai eu plus d'une fois l'occasion de vérifier que le gouvernement même ne se faisait pas toujours scrupule d'induire ses propres agens en erreur. Fouché, notamment, ne s'en faisait pas faute dans sa correspondance. Quant à la lettre

dont je viens de parler, l'Espagne y était représentée comme une proie que Murat voulait saisir pour lui, et tout ce que j'ai appris depuis m'a prouvé combien celui qui l'avait écrite était bien informé. Il est en effet de toute vérité que Murat ne croyait pas faire pour un autre que pour lui la conquête de l'Espagne, et il n'est pas étonnant que les ha→ bitans de Madrid aient été informés de ses projets, car son indiscrétion était telle qu'il manifestait tout haut son désir de devenir roi d'Espagne. L'empereur en ayant été instruit, lui fit entendre en termes très-significatifs que ce n'était pas à lui que le trône d'Espagne et des Indes était destiné, mais qu'il penserait à lui. Ainsi, Murat, grand-duc de Berg, de Clèves et de Juliers, n'était pas content! Réellement lorsqu'aujourd'hui je pense de sang-froid à cette épidémie d'ambition, dont Bonaparte avait eu le premier germe et qu'il communiqua à ses lieutenans, je me perds dans mes souvenirs.

Quoiqu'il en soit, les remontrances de Napoléon ne furent point assez efficaces pour retenir Murat dans sa conduite inconsidérée, et si, à ce jeu d'effronterie, il ne gagna pas la couronne d'Espagne, il contribua puissamment à la faire perdre à Charles IV. Ce monarque, qu'une vieille habi

tude attachait au prince de la Paix, demanda a l'empereur de faire rendre son favori à la liberté, et l'on vit un descendant de Louis XIV, l'arrière successeur de Charles d'Anjou, solliciter comme une grâce d'aller vivre avec sa famille dans un lieu sûr, pourvu que Godoi fût avec lui. Le malheureux Charles IV était arrivé à ce point où' le dégoût des grandeurs n'a plus de bornes, comme s'il existait une ambition rétrograde aussi difficile à satisfaire que les ambitions ascendantes.

Le roi et la reine sollicitèrent de Murat avec les plus vives instances la liberté de Godoi; Murat dont la gloriole était agréablement chatouillée par des sollicitations royales, prit le prince de la Paix sous sa protection; mais il déclara en même temps que malgré l'abdication de Charles IV, il ne re connaîtrait que ce prince comme roi d'Espagne jusqu'à ce qu'il eût reçu de l'empereur des ordres contraires. Cette déclaration mit Murat en opposition formelle avec la nation espagnole qui haïssait mortellement le prince de la Paix et qui, par l'effet de ce sentiment, embrassait le parti de l'héritier de la couronne en faveur duquel Charles IV avait abdiqué.

On a dit que Napoléon se trouvait dans une position difficile, au milieu de cette lutte entre le

roi et son fils. Cela n'est pas exact. Le roi Charles, quoiqu'il eût dit, postérieurement à son abdication, qu'elle avait été arrachée par la violence et les menaces, ne l'avait pas moins donnée; Napoléon pouvait s'en tenir au premier acte.

Par cet acte, Ferdinand était bien roi; mais le roi disait que c'était contre sa volonté et il se rétractait ; il fallait la reconnaissance de l'empereur, il était maître de la donner ou de la refuser. Il ne lui restait qu'à s'emparer des deux rois, leur dire qu'aucun d'eux ne le serait, et envoyer à Madrid celui qu'il voudrait mettre sur le trône. C'était là qu'il voulait en venir. La révolution d'Aranjuez avait l'assentiment général, et si on en admettait les résultats, adieu l'Espagne pour Joseph.

Dans cette situation de choses, Napoléon était arrivé à Bayonne. On détermina Ferdinand à s'y rendre, pour arranger avec l'empereur les différends qui le divisaient avec son père. Il fut quelque temps à prendre sa résolution; mais enfin des amis trompés le déterminèrent, et il partit pour Bayonne. Arrivé à Vittoria, la réflexion lui vint; il se méfia des intentions de l'empereur, et soupçonna quelque piège. M. Urquijo, d'ailleurs, assura au jeune roi que l'empereur voulait s'emparer de sa personne, et mettre la couronne d'Espagne sur

la tête d'un membre de sa famille. Ferdinand vit alors la faute qu'il avait commise. Il était déjà presque au milieu des troupes françaises; sa volonté n'était déjà plus libre; il hésita, il voulait rester à Vittoria, tourmenté de l'idée qu'une fois arrivé à Bayonne, il ne pourrait plus en sortir. Tous ses amis, et beaucoup de personnes qui étaient accourues pour le voir à Vittoria, l'engageaient à y rester. Il fallut retourner à Bayonne pour demander de nouveaux ordres et de nouveaux conseils à l'empereur.

Celui qui fut chargé de cette commission, retourna à Vittoria. Il remit à Ferdinand une lettre de Napoléon, pleine des assurances les plus perfides, et des promesses les plus astucieuses, et dans laquelle Napoléon laissait entrevoir que le trône d'Espagne serait ou à Charles ou à Ferdinand selon qu'il aurait la conviction de la vérité de ce que disait Ferdinand ou de la violence alléguée par Charles IV.On ne comprend pas comment un homme raisonnable

pu se laisser prendre à un pareil piége. A une lettre de Napoléon l'envoyé joignit de vive voix les as surances les plus positives que la couronne d'Espagne serait placée sur la tête de Ferdinand, que tout était disposé pour cela à Bayonne. Victime de lant de perfidie, on sait ce qui lui arriva ainsi qu'à son

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