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père Charles IV qui arriva après lui à Bayonne, avec son inséparable prince de la Paix. Il venait rétracter son abdication; et l'on vit à Bayonne Charles, descendu du trône par sa volonté qu'il reniait, son fils roi par droit de succession, et Napoléon, arbitre entre les deux, donner, pour les mettre d'accord, le trône à Joseph. C'eût été la Fable des deux plaideurs, si ces deux princes eussent seulement eu chacun une coquille. La révolte du 2 mai, à Madrid, précipita le sort de Ferdinand que l'on en accusait; ce soupçon tombait du moins sur ses amis et ses adhérens.

Charles IV, a-t-on dit, ne voulut pas retourner en Espagne, et demanda un asile en France. Il signa une renonciation à ses droits sur l'Espagne, cette renonciation fut signée par les infans.

J'ai vu dans ce temps le prince royal de Suède, qui était à Hambourg, et les ministres de toutes les puissances blâmer hautement la conduite de Napoléon avec l'Espagne. Je ne puis assurer que M. de Talleyrand ait conseillé de ne pas entreprendre ce renversement d'une branche de la maison de Bourbon; son bon esprit et ses vues

élevées pourraient le faire penser; mais ce que je

puis dire, c'est que tout le monde était d'accord que s'il eût conservé le porte-feuille des affaires

étrangères, cette révolution se serait terminée avec plus de convenances, de loyauté, des moyens plus nobles que la tragi-comédie jouée à Madrid et à Bayonne.

Voilà ce que j'ai su de positif sur les affaires d'Espagne depuis les premiers signes de mésintelligence qui éclatèrent entre le père et le fils à l'occasion du prince de la Paix, jusqu'au moment où l'empereur crut donner de l'avancement à son frère Joseph en le faisant passer du trône de Naples au trône d'Espagne où il ne put jamais s'asseoir solidement. J'aurai occasion d'en parler dans plusieurs circonstances,

PIECES AUTOGRAPHES.

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AVIS DE L'ÉDITEUR.

ན་

Un des points les plus importans de l'histoire de Napoléon, mis au jour par M. de Bourrienne, est sans contredit la révélation qu'il a faite, et que lui seul pouvait faire, sur la pensée intime du premier consul, relativement à un projet de descente en Angleterre. Ainsi, tant de dépenses, tant de mouvemens d'impulsion, tant d'ordres donnés, n'auraient été que des moyens pour cacher au monde le véritable but de la réunion et de l'organisation d'une armée formidable sur les côtes du nord de la France! Il n'y a pas à en douter, puisque le premier consul en est convenu avec M. de Bourrienne, qui avait deviné la pensée de son ancien ami, et que, dans les six volumes qui ont précédé celui-ci, rien n'a pu être l'objet d'une controverse

VII.

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raisonnable, parmi les faits nombreux et nouveaux que l'auteur a pour la première fois portés à la connaissance du public. Cependant, il est des choses qui étonnent tellement par le contraste qu'elles offrent avec les idées reçues, qu'on répugne à les admettre; et, bien souvent, les meilleurs esprits eux-mêmes, quand ils ont ouvert la porte à l'erreur, éprouvent on ne sait quel besoin de défendre cet hôte trompeur, lorsque la vérité tardive ne se présente que quand sa place est prise. Cette disposition assez commune n'est, hélas ! qu'une illusion de notre amour-propre qui ne veut pas connaître le vrai, pour ne pas avoir l'air d'avoir admis le faux avec légèreté.

Dans cet état de choses, un hasard heureux, ou plutôt une haute bienveillance a mis à notre disposition quatorze pièces autographes qui ne faisaient point partie du riche portefeuille de M. de Bourrienne, mais que nous sommes autorisés à publier, et que nous publions d'autant plus volontiers qu'il en est parmi elles qui semblent destinées à expliquer le secret de Napoléon, relativement au camp de Boulogne. On sera surpris, à la lecture des trois dernières, de voir comme les ordres du départ, et les détails les plus minutieux sur la marche des troupes et différens corps d'ar

mée étaient déjà préparés dans la tête de l'empereur, quand il leva le camp de Boulogne.

Il nous semble nécessaire de dire quelques mots encore sur la nature de ces pièces qui nous ont paru d'un grand intérêt. D'abord, nous rappellerons au lecteur l'usage où fut Napoléon, depuis son avènement à l'empire, de ne plus donner d'ordres spéciaux aux divers chefs de ses armées; tout était compris dans un ordre général adressé à Berthier, souvent même dicté en sa présence, et quelquefois écrit par lui. Berthier transmettait ensuite des ordres partiels aux différens chefs de corps, chacun en ce qui pouvait le concerner. Avant son entrée en campagne, il fit la même chose à l'égard de Berthier, alors ministre de la guerre, et ce sont ces pièces que nous possédons et que nous publions. On est réellement confondu d'étonnement à la lecture de ces ordres généraux, quand on voit tout ce qui était présent dans l'intelligence de Bonaparte. Tout lui était connu le nombre d'hommes, le nombre de malades, le nombre de chevaux, combien de soldats étaient absens, où étaient situés les détachemens, les corps manquant d'officiers, les divisions où l'artillerie avait besoin de remonte, enfin cette immensité de détails que l'on trouvera

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