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en eût singulièrement simplifié les rouages; en effet, pour lui, le code diplomatique se réduisait à ces deux mots : « Ma volonté, ou la guerre. »

Aussitôt que M. d'Haugwitz fut arrivé à Berlin, le roi lui manifesta le vif mécontentement que lui causait le traité qu'il avait conclu à Vienne. Jamais souverain ne s'était, en effet, trouvé dans une plus cruelle perplexité. Que pouvait-il faire?.,... La guerre à la France?... mais alors, s'il jetait les yeux sur le triomphe de nos armées, la prudence lui ordonnait de reculer. D'un autre côté, comment rompre avec l'Angleterre? comment déchirer si subitement le traité conclu tout à l'heure avec elle?

Dans la difficulté de cette position, on eut recours à un de ces biais politiques capables de retarder le danger, mais non pas de l'éviter. On imagina de refuser la clause du traité par laquelle la France coucédait à la Prusse la propriété du Hanovre, à moins que l'on n'obtint la sanction de l'Angleterre, chose que l'on savait bien que l'on n'obtiendrait pas. On sacrifia les deux margraviats pour éviter le courroux de Napoléon, et le Hanovre ne fut reçu que comme un dépôt jusqu'à la conclusion d'une paix générale. Après tout, l'empereur, en donnant le Hanovre à la Prusse, ne lui

donnait rien, puisque ce royaume, qui ne lui avait appartenu que par droit d'occupation militaire, n'était plus occupé depuis le moment où Napoléon, au commencement de la campagne de Vienne, eut rappelé le corps d'armée placé sous les ordres de Bernadotte.

Le colonel Pfuhl avait été envoyé à Vienne pour porter à M. de Haugwitz la nouvelle du traité conclu avec l'Angleterre, mais la victoire sous nos drapeaux avait marché plus vite que les négociations du cabinet de Berlin. Cependant les Russes s'étaient retirés du champ de bataille d'Austerlitz, mais sans renoncer à toute action hostile; l'empereur Alexandre ne consentait à reconnaître Napoléon ni comme empereur des Français ni comme roi d'Italie; je me rappelle même avoir entendu dire qu'ayant eu l'occasion d'écrire à Napoléon, avant la bataille d'Austerlitz, Alexandre avait seulement mis pour suscription à sa lettre : Au chef du gouvernement français. L'empereur avait appris à Vienne la désastreuse nouvelle du combat de Trafalgar, nouvelle qui ne fut connue que par les bruits publics et par les papiers étrangers, alors à l'index en France; car il voulut si bien ensevelir ce désastre dans l'oubli, qu'aucune feuille publique n'en put parler avant

la restauration, dans toute l'étendue de la juridiction de l'empire. Les détails n'en furent point secrets à Hambourg; le commerce en fut d'abord informé, et je les appris par le rapport de mes agens avant d'en avoir reçu la confirmation officielle dans une dépêche du ministre des relations extérieures, alors à Vienne. L'amiral Villeneuve qui commandait avec Gravina les flottes combinées de France et d'Espagne, sortit de Cadix dans le but d'attaquer la flotte anglaise commandée par le fameux amiral Nelson. Nous avions trente et un vaisseaux, et les Anglais trente-trois, et le malheureux Villeneuve fut battu, comme il l'avait déjà été par l'amiral Calder, dans une circonstance que j'ai rapportée. Jamais plus grande bataille navale n'avait ensanglanté les mers depuis la fameuse Armada. L'issue du combat équivalut pour nous à la destruction de notre flotte, puisque nous perdîmes dix-huit vaisseaux; les treize autres rentrèrent à Cadix, mais prodigieusement avariés. Cette journée fut fatale aux trois amiraux ; Nelson y perdit la vie, Gravina y fut grièvement blessé et mourut des suites de ses blessures, et Villeneuve, prisonnier des Anglais, fut conduit en Angleterre et enfin se donna la mort.

Napoléon fut profondément affligé de cette nou

velle, mais il n'en laissa rien voir dans le premier moment, et je crus d'autant plus volontiers ce qu'on me dit à cet égard, que je savais que Bonaparte ne s'occupait jamais de deux choses à la fois avec un égal intérêt. Quand quelques événemens venaient à la traverse de ses projets, il en faisait, pour ainsi dire, provision pour l'avenir, afin d'y revenir en temps opportun, mais il chassait de sa pensée avec un incroyable empire sur lui-même, tout ce qui aurait pu le distraire de sa pensée dominante du moment. Ce fut ainsi qu'entièrement absorbé dans l'espoir de terminer par un grand coup la campagne de Vienne, il laissa provisoirement Trafalgar de côté ; c'est cette aptitude à n'avoir qu'un but à la fois qui lui a si souvent fait atteindre son but, et, dans le cas présent, je dois ajouter que Napoléon ayant conquis sa gloire sur terre, son orgueil ne lui permettait pas d'admettre la mer comme un élément digne d'entrer en rivalité avec la terre. S'il eût sérieusement porté ses vues sur la restauration de la marine française, aurait-il si long-temps gardé Decrès au ministère?

Il en fut de même que du combat de Trafalgar, à l'égard des fâcheuses nouvelles qui arrivèrent à Napoléon de Paris à Vienne sur la crise financière qui marqua son absence; il remit à s'en

occuper à son retour, et j'ajourne moi-même ce que j'ai à en dire jusqu'au chapitre suivant, pour rappeler ici ce que j'appris par Rapp sur son itinéraire après la guérison de sa blessure, et sur ce qui se passa à Munich lors du mariage d'Eugène avec la princesse Auguste de Bavière; Rapp venait d'y assister, quand l'empereur lui donna la mission pour lá Prusse, à laquelle je dus la vive satisfaction de le revoir. J'insiste beaucoup sur l'amitié que j'avais pour Rapp, car elle était pleine et entière entre nous; il ne le cacha pas même à Napoléon pendant ma disgrâce, et quiconque a vécu à la cour de l'empereur sait qu'il fallait pour cela plus de courage encore que pour enlever une redoute ou exécuter la plus brillante charge de cavalerie. Rapp était doué de ces deux courages, et de plus, d'une extrême bonté et d'une franchise qui le mit aussi pour un temps dans la disgrâce de Napoléon. La seule chose l'on pût reprocher à Rapp, c'était une extrême prévention contre les nobles; et je suis persuadé que si, par la suite, il ne fut pas duc, la manière trop vive dont il avait souvent exprimé son opinion sur la noblesse, en fut la seule cause. L'empereur ne le fit comte que parce qu'il voulait que ses aidesde-camp eussent un titre.

que

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