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La séance est ouverte à 9 heures et demie sous la présidence de M. Dislère.

M. le Président, après avoir communiqué à la Commission plusieurs lettres d'excuses, demande si quelque membre a des observations à présenter au sujet des procès-verbaux des neuvième, dixième et onzième séances qui ont été imprimés et distribués depuis le 20 décembre dernier. M. le directeur Monod fait observer qu'il ne peut figurer parmi les absents de la séance du 20 décembre, attendu qu'il n'a pas reçu de lettre de convocation.

M. le Dr Butte et Mme Avril de Sainte-Croix présentent diverses observations au sujet du procès-verbal de la séance du 20 décembre (onzième séance) qui devra reproduire un certain nombre de rectifications indispensables dans le texte et la pensée de leurs discours ou observations. M. Bérenger présente des observations de même ordre avec une vivacité particulière.

M. le Secrétaire général Hennequin proteste du soin et de la fidélité avec lesquels le secrétariat de la Commission s'attache à rendre la parole et la pensée de tous les orateurs en général et de M. le Sénateur Bérenger en particulier. Le dernier discours de M. Bérenger notamment a été pris in extenso, ce qui constitue un véritable tour de force quand un bureau ne dispose point de sténographes. M. le Secrétaire général déclare que ce serait mettre le secrétariat dans un grand embarras, pour ne pas dire plus, si l'on parlait d'altération de texte.

M. le Président est d'avis que, d'une façon générale, les membres qui ont des rectifications ou des modifications de texte à faire, pourraient les indiquer utilement sur l'épreuve même du procès-verbal qui leur est adressée. Le mot épreuve figure d'ailleurs, en toutes lettres en tête de la première page de l'imprimé distribué; il serait naturellement tenu compte littéral de toutes les corrections dans l'épreuve définitive, la bonne feuille, comme on dit en imprimerie.

Après échange d'observations entre Mme Avril de Sainte-Croix et M. Bérenger d'une part, et M. le secrétaire général Hennequin d'autre part, il demeure convenu que ces deux membres de la Commission adresseront au secrétariat le texte manuscrit de leurs rectifications, texte qui figurera seul dans le compte rendu définitif de la séance du 20 décembre 1904 (1).

M. le Président demande si quelque autre membre désire présenter

(1) C'est ce texte définitif, dont M. le Secrétaire général nous a obligeamment donné communication, qui figure seul, comme de raison, dans le procès-verbal de la séance du 20 décembre. Nous avons le devoir d'ajouter que le texte rectifié, ainsi que M. le Secrétaire général Hennequin le fait justement pressentir dans sa réplique ci-dessus, diffère à peine du texte primitif tel que MM. les Secrétaires l'avaient reproduit et tel que l'indiquent les notes personnelles du rédacteur: il ne s'agit en réalité que de quelques changements d'expressions et rectifications de forme dans les observations échangées entre Mme Avril de Sainte-Croix et M. Bérenger au sujet d'un débat antérieur, engagé notamment au Congrès d'Amsterdam.

M. FEUILLOLEY

ADDITION AU NOUVEL ARTICLE 330 c. p, 65

une observation sur les trois procès-verbaux en question. Personne ne demandant la parole, M. le Président déclare, sous réserve des rectifications réclamées par MM. Butte et Bérenger et Mme Avril de Sainte-Croix, les procès-verbaux des trois dernières séances adoptés sans opposition.

M. le Président rappelle que dans la dernière séance l'amendement de M. Bulot à l'article 330 du Code pénal a été adopté; que la proposition du même rapporteur tendant à une modification importante de l'article 334 a été retirée par son auteur et qu'elle a été reprise immédiatement par M. le professeur Gaucher, Mme Avril de Sainte-Croix, M. Turot et M. Fiaux. L'ordre du jour de la présente séance appelle donc la discussion sur l'amendement de l'article 334 et notamment sur ce point précis : « Le fait de tenir et d'exploiter une maison de prostitution constitue-t-il un délit pénal? »

Si la Commission résout la question négativement, il y aura lieu de passer à l'examen des propositions de M. Bérenger et particulièrement, en premier lieu, de celle qui tend à soumettre tout tenancier au régime de la déclaration devant l'autorité municipale.

M. Brunot fait observer que la discussion des amendements à l'article 330 n'est pas terminée. (Exclamations.)

M. Feuilloley demande la parole sur la rédaction définitive des paragraphes additionnels à l'article 330, avant la reprise de la discussion relative à l'article 334.

L'orateur avait fait observer à la Commission qu'il y avait nécessité pratique à compléter la disposition principale de l'amendement à l'article 330, d'ailleurs formellement votée dans la séance du 17 décembre et ainsi conçue Seront punis des peines de contravention portées à l'article 479 du Code péñal Ceux qui, par leur tenue, leurs gestes ou paroles obscènes ou contraires aux bonnes mœurs auront, sur la voie publique, provoqué au libertinage...

...

Cette rédaction, en ne visant expressément que le racolage sur la voie publique, semblait oublier les fenêtres, les couloirs et seuils de maisons, les portes de cabarets de bas étage, où s'embusquent très souvent les prostituées pour faire signe aux promeneurs et les attirer soit chez elles, soit dans l'arrière boutique des établissements suspects. L'orateur avait fait observer que l'intention évidente de la Commission était de punir toute provocation publique adressée aux passants.

M. Feuilloley, qui s'était engagé à apporter un texte, propose aujourd'hui la rédaction suivante :

« Ceux qui, par leur tenue, gestes ou paroles obscènes ou contraires aux bonnes mœurs, auront adressé à des personnes, sur la voie publique, des provocations au libertinage... » (Très bien! très bien !)

M. le Président demande si quelque membre a une observation à faire sur le texte proposé par M. Feuilloley.

Personne ne demandant la parole sur l'amendement de M. Feuilloley, M. le Président le met aux voix.

2. vol.

5

L'amendement est adopté, tel que le propose M. l'Avocat général Feuil

loley.

M. Fiaux demande si M. le Président entend que le texte de l'amendement de M. Feuilloley, comme celui des amendements de MM. Le Poittevin et Bérenger sur ce même article 330, sera renvoyé après clôture des débats de la Commission à une « sous-commission de rédaction » dont il a été déjà parlé, ou si le texte de tous ces amendements est définitif comme idées et termes.

M. le Président fait observer que la formation d'une sous-commission de rédaction n'a pas encore été décidée d'une façon ferme. En tout cas, les idées mères sont arrêtées et rien ne peut y être changé. (Très bien ! très bien!) La logique même des choses amènera la Commission à désigner dans son sein plusieurs membres, particulièrement qualifiés, qui se réuniront, quand les débats seront complètement épuisés, pour grouper en un projet unique toutes les propositions votées, faire, en un mot, la mise au point. (Très bien!) Ces Messieurs feront la soudure et donneront le coup de lime... (Très bien! Sourires.)

M. Brunot demande la parole. L'orateur rappelle les craintes qu'il avait élevées sur l'insuffisance, pour lui évidente, du texte additionnel à Tarticle 330, voté par la Commission, pour réprimer le racolage dans les rues, par les prostituées, et notamment leur stationnement sans limite, leur agglomération à toute heure. M. le Président avait invité M. Brunot à élaborer un texte, mais, moins heureux que M. Feuilloley, l'orateur, malgré de consciencieuses recherches, n'a rien trouvé, et il regrette d'avoir échoué dans sa tâche, car personne ne peut se dissimuler les inconvénients du stationnement. Il existe également la question des heures où le racolage simple est, soit permis, soit défendu; cette question est importante et n'a pas même été effleurée.

Actuellement, la Réglementation prévoit et vise tous ces épisodes; elle permet d'empêcher le stationnement des femmes sur un espace trop resserré; elle défend le racolage avant 7 heures du soir; elle peut agir en un mot contre les prostituées parce que, présentement, les prostituées constituent une catégorie à part, parce que la prostituée est un être défini (bruits divers) plus ou moins bien, à la vérité, l'orateur le reconnait, mais enfin, une individualité spéciale à laquelle on peut, en fait, légitimement interdire de stationner ou de circuler hors certaines conditions. (Bruits.)

Mais aujourd'hui, il n'en va plus de même. Le 10 juin la Commission a émis un vote qui supprime toute réglementation spéciale: il n'y a plus de prostituées au sens administratif du mot; la rue est libre pour tout le monde, filles comprises; ipso facto, la Commission s'est interdit tout moyen d'intervention hors les cas limitativement énumérés dans le texte de M. Bulot et les divers amendements annexes dont l'application globale, l'orateur en est sûr, ne pourra suffire à assurer l'ordre public. Pour le stationnement surtout, l'orateur tient à y revenir...

Plusieurs membres remarquent que M. Brunot rentre dans un débat clos par un vote, et réclament l'ordre du jour.

PROFESSEUR GAUCHER LE NOUVEL ARTICLE 334 c. p.

67

M. Turot fait observer que l'article 330 nouveau et les paragraphes additionnels présentés aujourd'hui et dans les dernières séances, répondent précisément au desideratum de M. Brunot.

M. le Président se voit obligé de signaler à M. Brunot l'inconvénient qu'il y aurait pour le bon ordre des débats à rouvrir la discussion générale sur un vote acquis. Un texte a été adopté par la Commission : le Président ne peut laisser recommencer un débat sur ce texte. D'ailleurs toutes réserves ont été faites sur le point spécial signalé dans les observations de M. Brunot.

M. le Président dit que la question à l'ordre du jour est la continuation de la discussion sur l'amendement à l'article 334 du Code pénal présenté par M. le Procureur général Bulot et repris par plusieurs membres de la Commission, entre autres par M. le Professeur Gaucher, le premier oraleur inscrit.

M. le Professeur Gaucher demande si l'ordre du jour comprend, avec la discussion sur l'article 334, celle des propositions faites par M. Bérenger et particulièrement celle de sa proposition qui vise les maisons publiques?... En tout cas l'orateur rappelle l'abandon, par M. Bulot, de l'amendement à l'article 334, et demande la parole pour protester à nouveau contre cet abandon.

Le premier en effet, dans la Commission, l'orateur a protesté contre le retrait de l'amendement qui mettait heureusement fin à l'existence des maisons de tolérance et aujourd'hui, comme dans la dernière séance, le Professeur Gaucher, tout en s'excusant de se mettre en opposition sur le terrain juridique avec M. le Procureur général, ne peut comprendre son argumentation.

M. Bulot nous dit en effet que, la prostitution n'étant pas un délit, on ne peut poursuivre l'aide donnée à l'accomplissement de ce qui n'est pas un délit; on ne peut poursuivre en un mot le proxénète qui aide à commettre l'acte prostitutionnel qui n'est pas délictueux.

L'orateur fera une comparaison: le suicide n'est pas un délit; il l'a peut-être été dans telle législation ancienne (1), mais il ne l'est plus le fait est entendu. Mais l'aide matérielle donnée au suicide est évidemment un crime... (Rumeur prolongée. Bruits divers.) Prenons un exemple qui ne passionnera personne... Un individu veut se suicider en se noyant; il enjambe le parapet; l'autre, un passant, l'aide en le poussant... Poursuivez-vous ce passant, demande l'orateur à M. Bulot?

1) Le suicide en effet a été, dans notre ancien Droit, l'objet de dispositions spéciales. Jusqu'en 1670 le suicide seul du criminel était puni parce que celuiri avait cherché par là à se soustraire au châtiment légitime que lui réservait la justice. L'ordonnance de 1670, œuvre de Pussort et de Lamoignon, qui codifiait le Droit pénal des ordonnances de 1498, 1536 et 1539, les aggrava sur ce point : elle étendit la disposition afflictive et infamante à tout suicide, même si ses motifs étaient d'ordre privé; procès était fait à la mémoire du mort; son cadavre était trainé sur une claie; ses biens étaient confisqués.

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Plusieurs voix.

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C'est évident..., les poursuites judiciaires ne sont

pas possibles. (Rumeurs. Bruits divers.) M. le Professeur Gaucher. Vous ne le poursuivez pas?... En ce cas voilà ma comparaison compromise et il est inutile de poursuivre mon argumentation... L'orateur avait jusqu'ici cru pour sa part et croit toujours que le fait de pousser autrui à la prostitution ne constitue pas seulement une grave faute morale, mais un véritable délit. (Très bien! de divers côtés de la salle.)

M. Hennequin, secrétaire général, le second des orateurs encore inscrits lors de la dernière séance, a la parole.

M. Hennequin dit que la reprise de la proposition de M. Bulot sur l'article 334 par Mme de Sainte-Croix, M. le professeur Gaucher, M. Turot et M. Fiaux, rouvre devant la Commission la discussion générale qui promet d'être très étudiée.

L'amendement de M. Bulot, bien qu'il ne les désigne pas, vise très clairement la maison de tolérance et le tenancier, le tenancier qui prélève d'importants bénéfices sur la prostitution de la femme, exploite au demeurant la femme. C'est donc la question de la suppression de la maison de tolérance qui est évidemment en jeu...

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Parfaitement.

M. Hennequin. - Il existe dans la Commission de nombreuses opinions sur les maisons. Mme Avril de Sainte-Croix, dont l'orateur admire le grand cœur et le talent, en reprenant la proposition de M. Bulot, a tout d'abord bien marqué l'une de ces opinions: son discours a trahi son émotion de femme; mais précisément parce qu'elle est femme elle n'a envisagé la question que sous un angle particulier. Ce qui domine dans son sentiment plus que dans son argumentation, bien qu'elle n'oublie pas la question d'hygiène, c'est un sentiment de dégoût et de révolte contre l'existence légale d'établissements où, pour les besoins ou les plaisirs de l'homme, des femmes sont maintenues dans les conditions les plus dégradantes et telles que leur relèvement est impossible. C'est contre ce sacrifice de la femme, au nom de la dignité de la femme qu'elle proteste; elle se réclame de la morale et de la justice sociales pour demander la suppression des maisons.

D'autres membres de la Commission, qui se classent eux-mêmes parmi les abolitionistes, demandent également la suppression des maisons pour les mêmes motifs que Mme Avril de Sainte-Croix sans doute, mais aussi parce qu'ils poursuivent l'abolition de la Police des mœurs et parce qu'à leurs yeux, le maintien des maisons entraînerait le maintien de la Police des mœurs.

Dans la Commission, beaucoup de membres sont perplexes. Leur ferine intention est de protéger la femme, et d'autre part ils se demandent si les maisons ne sont pas socialement nécessaires?

Avant d'examiner si la suppression des maisons est désirable et si la réforme est possible, M. Hennequin croit nécessaire, pour mieux faire

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