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mentèrent pas ce grand acte de la Législative ou ne le mentionnèrent même pas, du silence des premiers historiens de la Révolution, qui parurent n'en avoir connu ni les circonstances ni même la date, on peut presque inférer qu'au milieu du bruit des armes et dans l'émoi causé par l'invasion austro-prussienne, la loi qui laïcisa l'état civil laissa l'opinion indifférente, et passa même inaperçue.

14 octobre 1905.

V

LES ORIGINES DE LA SÉPARATION DES ÉGLISES ET DE L'ÉTAT LA CONVENTION NATIONALE

I

Nous avons tâché de mettre en lumière les incidents les plus significatifs qui, à propos de l'application de la Constitution civile du clergé, avaient pu préparer les esprits à l'idée de la Séparation des Églises et de l'État.

Au début de la Convention, Cambon crut que l'opinion était mûre pour cette réforme, et il fit une démarche qui se trouva être aussi prématurée que celle par laquelle, dès le mois de juillet 1791, il avait, comme président du club des Jacobins de Montpellier, demandé la République (1). Le 13 novembre 1792, il dit à la tribune de la Convention que le Comité des finances, dont il était le rapporteur, préparait un projet de suppression du budget des cultes. Ni les journaux, ni le club des

(1) Voir mon Histoire politique de la Révolution, p. 142.

Jacobins, ni la Convention elle-même ne suivirent Cambon, dont le projet causa tant d'inquiétude dans les campagnes qu'il y eut à ce propos, en Eure-et-Loir, une émeute de paysans. Le 30 novembre, sur la motion de Danton, la Convention déclara << qu'elle n'avait jamais eu l'intention de priver les citoyens des ministres du culte que la Constitution civile du clergé leur avait donnés » (1). Elle renouvela la même déclaration le 11 janvier 1793, et le 27 juin suivant, sur la motion de Barère, elle décréta que « le traitement des ecclésiastiques fait partie de la dette publique ». Le 10 décembre 1792, elle avait passé à l'ordre du jour sur la motion d'un de ses membres, qui avait demandé que les ministres du culte ne fussent plus qualifiés de fonctionnaires publics.

Dans la première année de sa carrière, la Convention saisissait donc toute occasion de complaire à l'opinion publique en affirmant son attachement à la politique d'union de l'Église catholique et de I'État.

Mais l'idée de la séparation, étrangère encore à la masse des Français et bruyamment désavouée par le gouvernement, n'en faisait pas moins des progrès. On peut dire que la logique des choses continuait

(1) J'ai raconté en détail toute cette affaire de la motion de Cambon dans mon étude sur Danton à la Convention nationale, étude qui a d'abord paru dans la Révolution française t. XXV, p. 126 et suivantes, et que j'ai reproduite dans la 4o série de ces Études et Leçons sur la Révolution.

à la favoriser, surtout par cet affaiblissement général du sentiment religieux que provoqua l'application, même restreinte et incomplète, des principes de la Déclaration des Droits.

Il arriva aussi que le sanctuaïre perdit une partie de son prestige depuis que le peuple y était entré pour l'exécution des décrets de la Constituante et de la Législative (29 septembre 1789, 10-12 septembre 1792), qui envoyaient à la Monnaie l'argenterie des églises non indispensable à la célébration du culte, et aussi pour l'exécution du décret de la Convention du 22 juillet 1793, qui ordonnait de fondre en canons les cloches, en n'en laissant qu'une dans chaque paroisse.

D'autres décrets violèrent encore le prestige du sanctuaire. Ainsi, le 9 décembre 1792, la Convention décréta «< qu'un jour par semaine, le magistrat lirait, dans tous les lieux où le peuple se rassemble, les écrits dont elle aurait ordonné l'impression et l'envoi aux départements » (1).

C'est Manuel qui avait proposé ce décret, déclarant qu'il s'agissait surtout << des lieux de rassemblement de tous les cultes », des églises, dont il s'étonnait que les curés osassent interdire l'entrée aux magistrats civils En vain, Jeanbon Saint-André objecta qu'on tendrait ainsi à donner «< un air de légalité aux cultes >>. « Vous n'en reconnaissez, dit-il, vous n'en devez reconnaître

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(1) Procès-verbal de la Convention, t. IV, p. 122.

aucun. » Treilhard et l'évêque Massieu soutinrent et firent voter la motion de Manuel (1).

Sans doute ce décret, qui introduisait des magistrats civils dans les temples, pouvait être considéré comme un des effets ou des moyens de la politique d'union de l'Église et de l'État. En fait, on y vit et ce fut surtout une mesure antireligieuse, puisque les fidèles étaient ainsi obligés de subir, à l'occasion, la lecture d'une pétition ou d'une adresse « philosophique », reçue et envoyée par la Convention. Ce fut même, si on veut, une sorte d'atteinte à la liberté des cultes.

Pendant que tant de mesures ou de circonstances discréditaient la religion, il arrivait une chose remarquable, et qui a une grande importance pour l'histoire des origines de la Séparation : c'est que les prêtres papistes n'étaient plus seuls en butte à l'animadversion du peuple des «< patriotes »>, du peuple des clubs ou des sections : les prêtres constitutionnels aussi devenaient impopulaires.

Élu en 1791, en plein régime monarchique et bourgeois, le clergé constitutionnel ne vit pas avec sympathie le triomphe de la politique républicaine et démocratique. Ainsi le maire de Paris, Petion, rendant compte à la Convention, dans la séance du 5 janvier 1792, de l'état de la capitale, parla en ces termes du clergé parisien : « Les prêtres nous tra

(1) Moniteur, réimp., t. XIV, p. 700.

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