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s'en donner le plaisir, il n'exige pas que la loi mette une imposition sur le riche pour lui procurer ce petit délassement.

<«< Au pis aller, il en sera de même des églises catholiques on se cotisera d'abord pour payer un prêtre, et peut-être finira-t-on par s'ennuyer de cet usage. Mais les femmes tiendront bon et n'abandonneront jamais leurs prêtres; car il est

dit:

Tant que femme portera béguin,
Jamais prêtre ne mourra de faim.

Alors ce sera votre affaire de conserver en France la mode des béguins. >>

Cependant le plan de séparation du citoyen Bert ménageait les transitions. Les intérêts d'aucun ecclésiastique ne s'y trouvaient lésés: c'est seulement à la mort ou la démission du curé actuel que nul citoyen ne serait plus tenu, dans la commune, de payer un prêtre.

Bert se disait « du département de la Nièvre », mais il ne se targuait aucunement de parler au nom de ses concitoyens de ce département, où lui-même n'habitait peut-être plus. Sa brochure n'est donc, à aucun degré, l'indice qu'il y eût un mouvement provincial en faveur de la Séparation, et je ne vois guère de trace d'un tel mouvement, ou du moins il n'y eut que quelques manifestations dans ce sens, comme celle des Jacobins de Pontarlier qui, le

30 pluviôse an II, votèrent une adresse à la Convention contre le salaire des prêtres (I).

Dans son Histoire du mariage des prêtres (2), Grégoire mentionne aussi une pétition « des républicains de la ville d'Auxerre » contre le salaire des prêtres; mais il n'en donne pas la date, et je n'ai pu en trouver le texte.

D'autre part, les cinquante-six Sociétés populaires qui, le 21 brumaire an II, avaient pétitionné contre le salaire des prêtres ne renouvelèrent pas leur pétition.

En somme, pendant la Terreur, il s'établit donc une sorte d'accord tacite, et presque unanime, pour ajourner l'établissement légal d'un régime politicoreligieux à l'époque où le succès de la défense nationale rendrait possible une organisation normale.

En fait, l'État était laïcisé, on ne voyait plus aucune cérémonie du culte, aucun vêtement ecclésiastique, presque toutes les églises étaient fermées, la religion semblait avoir disparu, les traitements et pensions du clergé n'étaient plus payés. Quand la victoire de Fleurus et la chute de Robespierre eurent marqué la fin de la période violente et dictatoriale, le régime de la Séparation s'imposa et devint sans difficulté le régime légal.

14 novembre 1905.

(1) Sauzay, Histoire de la persécution révolutionnaire dans le Doubs, t. VI, p. 72.

(2) P. 78.

VI

NOTES SUR L'HISTOIRE DU CONCORDAT

§ 1. L'ÉGLISE DANS L'ÉTAT

-

Nous ne nous proposons ni de développer, ni même de résumer l'histoire des négociations d'où sortit le Concordat de 1801, et dont toutes les pièces ont été publiées dans l'excellent recueil de M. Boulay (de la Meurthe).

Nous voudrions seulement indiquer dans quel esprit et après quels débats furent arrêtés les plus importants articles du Concordat, ceux dont on parle davantage dans les journaux et à la tribune, ceux qu'il importe le plus de bien connaître au moment où la dénonciation de ce Concordat est à l'ordre du jour du Parlement et de l'opinion.

Rappelons d'abord que l'ancien Concordat, celui de 1516, avait été aboli en fait par la Constitution civile du clergé en 1790, et que, depuis la fin de septembre 1794, le régime de la séparation des Églises et de l'État existait en France.

Ce régime, d'abord troublé par les circonstances de guerre civile et étrangère, avait fini par fonctionner très normalement, au grand profit de l'État, sans aucun détriment pour les consciences individuelles. La liberté avait maintenu le schisme entre catholiques non papistes et catholiques papistes; ceux-ci se subdivisaient, politiquement, en ralliés et en non ralliés, les uns ayant prêté le serment ou la promesse de fidélité à la République, les autres restés fidèles à Louis XVIII. Ainsi divisée, l'Église catholique n'était plus assez forte pour opprimer les autres groupes réformés, calvinistes, israélites, libres-penseurs, théophilanthropes. Entre les groupes religieux, il y avait concurrence et équilibre au-dessus, l'État semblait neutre, laïque, libre, maître. Le Premier Consul avait présidé, avec son habileté et son bonheur habituels, à ce régime qu'il avait reçu de la Convention et du Directoire et qui procurait à la France la paix religieuse dans la liberté, quand il se décida à le détruire.

Et pourquoi se décida-t-il à cette destruction? Nous avons essayé de le démontrer ailleurs (1): ce ne fut point par piété (il était indifférent en matière religieuse), mais dans la vue de commander par le pape aux consciences, pour réaliser par le pape ses rêves d'empire et d'empire universel. Dans la délaïcisation de l'État, dans la conclusion d'un Concor

(1) Voir mon Histoire politique de la Révolution, p. 733 et 734.

Jat, il voyait aussi, accessoirement, l'avantage de se Jébarrasser de l'Église ci-devant constitutionnelle, restée démocratique par le régime électoral qui en faisait la base, d'ôter à Louis XVIII et l'appui du pape Pie VII (par lequel il avait été reconnu) et ses moyens d'action sur la France par les évêques d'ancien régime; enfin, il y voyait l'avantage de pacifier définitivement la Vendée et la Bretagne, dont les populations, si catholiques, ne manqueraient pas de se rallier au gouvernement consulaire, si le gouvernement consulaire se réconciliait avec

le pape.

C'est après la victoire de Marengo que se précisèrent, en Bonaparte, les rêves d'ambition impériale, et c'est après cette victoire qu'il fit faire à Pie VII des ouvertures par le cardinal Martiniana, évêque de Verceil (fin juin 1800). Le pape accepta ces ouvertures, et envoya à Paris un négociateur sans pouvoirs, Mgr Spina, archevêque de Corinthe. Les négociations commencèrent en novembre 1800. Le négociateur français ne fut pas le ministre des relations extérieures, Talleyrand, qui, avec tout l'entourage de Bonaparte, était hostile au Concordat ce fut l'abbé Bernier, un Vendéen qui avait plus ou moins trahi les royalistes et qui était un habile homme. On n'aboutissait pas. Le pape se décida à envoyer un négociateur avec pleins pouvoirs (juin 1801) ce fut son propre secrétaire d'État, le cardinal Consalvi. La convention (qu'on n'osa pas appeler Concordat, à cause de l'ancienne AULARD, Etudes. — V.

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