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On était au samedi. La cérémonie de Notre-Dame devait avoir lieu le lendemain dimanche. Il fallait en finir. Le légat ne vit qu'un moyen : c'était d'avoir deux faux témoignages. Pancemont se refusa-t-il à cette supercherie? Toujours est-il que Bernier dé clara n'avoir pu le rencontrer. Il rapporta au légat un « décret d'absolution », signé de lui seul. Il affirma que chaque évêque constitutionnel avait donné une lettre pour le Saint-Père (ce que l'on constata en effet), avait satisfait « à ce qui était exigé », et avait reçu l'absolution.

La farce était jouée. Les évêques prêtèrent serment entre les mains du Premier Consul, avant d'avoir reçu leurs bulles de Rome.

L'affaire de la prétendue rétractation des évêques constitutionnels devait rester secrète : c'était convenu entre Caprara et Bernier. Mais le pape fit, le 24 mai 1802, une allocution qui fut publiée avec des pièces relatives à la ratification et à la publication du Concordat. Parmi ces pièces se trouvait, pour chaque évêque constitutionnel, un décret d'absolution avec l'attestation de Bernier.

Les évêques ainsi mystifiés s'indignèrent, et l'un d'eux, Lacombe, évêque d'Angoulême, publia une lettre où il protestait contre la supercherie et niait qu'aucun évêque constitutionnel se fût rétracté. Au contraire, disait-il, quand le décret d'absolution leur avait été présenté, ils l'avaient jeté au feu, «en présence de celui de qui ils l'avaient reçu, sous les yeux du citoyen Portalis ».

Bernier ne souffla mot.

A Rome, les évêques protestataires furent considérés comme relaps.

Pie VII décida que les bulles confirmant l'institution donnée par le légat ne seraient expédiées qu'à deux évêques constitutionnels sur douze, c'est-àdire à Montault et à Charrier, qui avaient antérieurement fait soumission complète.

Les choses restèrent en cet état jusqu'au voyage du pape à Paris pour le sacre. Alors il donna audience aux dix évêques, les endoctrina, leur fit signer (même à Le Coz, qui se débattit) une formule de « soumission aux jugements du Saint-Siège et de l'Église catholique, apostolique et romaine sur les affaires ecclésiastiques de France ». La réconciliation fut ainsi et définitivement opérée en mai 1805, tous les évêques reçurent leur bulle.

Voilà comment le Concordat de 1801 rétablit l'unité dans l'Église catholique de France.

12 novembre 1904.

$ 3. Le BUDGET DES CULTES

L'actuel budget des cultes est sorti, si je puis dire, des articles 13 et 14 du Concordat, relatifs aux biens nationaux et au traitement du clergé. Ces articles sont ainsi conçus :

Sa Sainteté, pour le bien de la paix et l'heureux rétablissement de la religion catholique, déclare que ni elle,

ni ses successeurs ne troubleront en aucune manière les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés, et qu'en conséquence la propriété de ces mêmes biens, les droits et revenus y attachés, demeureront incommutables entre leurs mains ou celles de leurs ayants cause.

Le gouvernement assurera un traitement convenable aux évêques et aux curés dont les diocèses et les paroisses seront compris dans la circonscription nouvelle.

Bonaparte avait exigé que cette question des biens nationaux fût réglée de manière à en tranquilliser les possesseurs, et il avait fait de ce règlement la condition sine qua non du Concordat.

Mais le pape se refusa absolument à ratifier ou à reconnaître les aliénations, pour ne pas avoir l'air de mettre en doute le droit ou le prétendu droit de propriété de l'Église.

Bonaparte demandait que, du moins, la propriété de ces biens fùt déclarée incommutable entre les mains des détenteurs actuels.

Alors Consalvi, le négociateur romain, trouva l'ingénieuse formule définitive, dont il était très fier, surtout du en conséquence, « qui, dit-il, sauve notre maxime, parce qu'il ne constitue pas une véritable et originaire concession aux acquéreurs (dont quelques-uns ne sont pas catholiques), mais présente le maintien de la propriété de ces biens entre leurs mains comme une simple conséquence du fait de ne pas les molester ».

On remarquera qu'il n'est question que des biens aliénés. Au dernier moment, Bonaparte voulait

absolument supprimer ce mot: aliénés. Consalvi s'y opposait, cherchait une combinaison, la trouvait, la proposait. Puis Bonaparte ne s'en souciait plus (c'est ainsi qu'il négociait), et laissait le mot contesté, à l'étonnement de Consalvi.

Quant au traitement des ecclésiastiques, dans le premier projet de Concordat proposé par Bona parte, il était dit que « les biens nationaux appartenant aux métropoles, évêchés et cures, non encore aliénés, seraient affectés à la subsistance et entretien des ministres de la religion conservés, déduction faite de la valeur des dits biens sur le traitement qui leur est alloué ».

Puis Bonaparte retira cette proposition. D'ailleurs, les biens des cures non aliénés furent en grande partie rendus aux fabriques par une série d'arrêtés consulaires et de décrets impériaux.

Il fut admis que les évêques et les curés seraient salariés par l'État.

Rome y répugna d'abord: cela lui semblait un peu honteux. Puis elle admit que l'on pourrait laisser les évêques libres de refuser ou d'accepter. Enfin elle se résigna, et en vint même à demander que Bonaparte «< assurât» le salaire. Le chiffre d'ailleurs n'en fut fixé que par les articles organiques.

Mais on remarquera que ni dans les négociations, ni dans le texte du Concordat, le traitement des ecclésiastiques n'est représenté comme étant le rachat ou la conséquence de l'aliénation des biens.

de l'Église, ce que pourrait faire supposer le rapprochement des deux articles relatifs à cette aliénation et à ce traitement.

Cela mérite quelques explications.

Sans vouloir traiter de l'aliénation des biens ecclésiastiques sous la Révolution (1), il faut rappeler les faits qui peuvent éclairer cette question du salaire concordataire du clergé.

D'autant plus que la doctrine de la Révolution à cet égard n'est pas limpide, tant s'en faut.

Ce salaire est-il en quelque sorte l'intérêt des biens pris par la nation? Par l'octroi de ce salaire, a-t-on reconnu le droit de propriété du clergé ? Supprimer ce salaire, serait-ce voler le clergé, comme quelques personnes le croient ou le disent aujour

d'hui ?

Le 2 novembre 1789, l'Assemblée constituante avait décrété: « 1° que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres, et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d'après les instructions des provinces; 2° que, dans les dispositions à faire pour subvenir à l'entretien des ministres de la religion, il ne pourra être assuré à la

(1) On trouvera, sur cette question, une remarquable étude de M. Edme Champion, dans la Revue bleue du 26 juillet 1890.

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