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Il est regrettable et sera certainement plus dommageable pour nos finances publiques qu'on ne se trouve plus en présence seulement de l'ancien propriétaire, mais il est nécessaire que les pourparlers aboutissent. La disparition de la forêt d'Eu serait un malheur national, une perte irréparable.

Le voyageur qui, partant d'Abancourt, se dirige par la vallée de la Bresle vers le Tréport, est frappé de la différence de richesse des deux versants de la vallée. Tandis que celui,exposé au sud, est sec et dénudé, sans valeur même agricole, celui du nord est recouvert, sur plus de 50 km., par les pentes verdoyantes des futaies d'Eu et d'Aumale, s'étendant sur près de 10.000 hectares, qui descendent d'un côté vers la Bresle et de l'autre vers l'Yères.

La forêt d'Eu disparue, c'est l'assèchement rapide de ces deux vallées. Les sources de la Bresle ont déjà reculé de 4 km. vers la mer depuis moins d'un siècle. Naguère la Bresle prenait ses eaux aux Fosses Quatresses, entre Criquiers et Formerie; au milieu du xixe siècle les habitants de Criquiers y venaient encore laver leur linge; mais actuellement la source de la Bresle sort d'une prairie entre le bois de Blaigies et le bois Lequin; encore est-elle intermittente et ne devient-elle permanente qu'au bas d'Hadancourt 1. L'assèchement des sources de la Bresle suivit vers 1840 le défrichement d'un grand bois, situé sur le territoire de Formerie. Quelle ne serait pas alors la désastreuse influence au point de vue hydrologique du déboisement intensif de la forêt Eu.

On sait que toutes le sources des vallées, taillées dans la craie, sont des sources artésiennes sur lesquelles le niveau de la nappe phréatique a une importance capitale. Seules les forêts et les grands massifs boisés peuvent régulariser le niveau de cette nappe et par suite le débit des sources auxquelles elle donne naissance. Les forêts disparues, c'est l'intermittence certaine du débit pour des rivières du pays de la craie (Picardie et Bray), quand ce n'est pas leur assèchement complet.

Et alors pour l'agriculture et l'industrie de la région ce serait la ruine. Toute la vallée de la Bresle est occupée par des prairies flottées, dont l'irrigation serait rendue impossible si la rivière se transformait en un maigre ruisseau. La production de la forêt, venant à diminuer où à disparaître, les scieries seraient obligées de s'arrêter et les nombreuses verreries ne trouveraient plus à bon compte le bois nécessaire à leurs emballages. Installées autrefois dans le pays pour profiter du combustible, fourni par la forêt voisine, elles l'ont remplacé petit à petit par la houille

I. Demangeon, la Picardie, pages 131 et 135. Paris, Armand Colin.

mais elles utilisent encore de grandes quantités de sciures et de déchets pour le chauffage de leurs fours. Ce chauffage économique leur serait interdit.

Et si l'on songe que les exploitations régulières des forêts d'Eu et d'Aumale répandent chaque année dans les environs pour près de 200.000 francs de salaires, ce serait bientôt la dépopulation des vallées riveraines. « Les forêts précedent les peuples, les déserts les suivent », a dit Chateaubriand. C'est ce que M. Paul Descombes a si justement paraphrasé dans le Journal des Débats du mois d'octobre dernier,à propos précisément de la forêt d'Eu. « Le bûcheronnage, le façonnage, l'écorçage, « le transport aux gares, toutes ces mains d'œuvre, qui s'exécutent en << hiver sans nuire aux travaux agricoles, contribuent à l'aisance des << ouvriers ruraux. Un millier de familles seront ainsi mises dans la gêne << par la suppression de ce gain hivernal de 200 francs en moyenne; beaucoup iront dans les villes grossir l'armée de la misère, et les bras <«< qui resteront ne suffiront plus pour les travaux des champs. Une crise agricole est inévitable dans ces conditions et elle s'aggravera encore << par la création sur les parties défrichées de cultures nouvelles, qui << augmenteront pendant l'été, la demande des bras déjà trop rares pour « les cultures préexistantes. » L'auteur de l'article1 aurait pu ajouter que cette crise dans la main-d'oeuvre locale aura sa répercussion immédiate dans la vie industrielle, car les familles, disparues et non remplacées, priveront les verreries de quelques-uns de leurs meilleurs ouvriers.

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Ce n'est pas tout. Si le débit de la Bresle diminue, les roues des vieux moulins transformés en stations hydroélectriques s'arrêteront pour jamais et les riverains, reculant d'un siècle en arrière, se verront obligés de tirer de la lourde armoire de chêne fleurie les quinquets fumeux de leurs pères pour remplacer l'ampoule brillante pour longtemps obscurcie.

Adieu peut-être aussi les pêches fructueuses à la truite qui, chaque printemps, à l'époque de la mouche de mai, attirent sur les bords de la Bresle et de l'Yères nos sportsmen parisiens les plus habiles au spinning; le goût de plus en plus développé de ce sport apporte, chaque année, dans la vallée pour près de 20.000 francs, sous forme de locations de biefs de pêche; depuis dix ans leur montant augmente tous les jours, au grand avantage des particuliers et des communes.

Toutes nos stations balnéaires, si connues et sifréquentées du Tréport

1. M. P. Descombes, président de l'Association centrale pour l'Aménagement des montagnes.

2.- - MM. le Sénateur Poirrier, le Docteur Wurtz, Professeur agrégé à la faculté de Médecine, Membre de l'Académie de Médecine de Paris, MM. les Docteurs Bouchut et Valude, M. Joyant, directeur de la maison Manzi-Joyant de Paris soat des fervents de la pêche en Bresle.

et de Mers, de Criel-sur-Mer et d'Onival ne seront-elles pas délaissées, si leurs habitués ne peuvent plus trouver à s'abriter, sous les majes tueuses futaies de la Faisanderie et de la Basse Forêt, des coups trop fréquents du « suroît » qui obligent trop souvent, même l'été, à délaisser la plage?

Peut-être plus que partout ailleurs la destruction de la chaîne boisée du Tréport à Aumale aurait des conséquences économiques incalculables. Pour de multiples raisons, le rachat de la forêt d'Eu s'impose, et notre gouvernement, qui déjà peut être fier d'être le seul à n'avoir pas aliéné, depuis plus de 40 ans, un pouce de notre domaine boisé, doit avoir aujourd'hui à honneur de compléter son œuvre en procédant, coûte que coûte, à l'acquisition de massifs en parfait état de rapport, qui, par leur situation, leur importance et leur histoire, méritent de ne jamais disparaître de la carte de France.

Une ère nouvelle doit être inaugurée ; c'est le rachat par l'Etat des forêts telles que O celle d'Eu et d'Aumale. Peut-être aurait-on dû entrer plus tôt dans cette voie et ne pas nous laisser devancer par d'autres nations, plus soucieuses du progrès de leurs conditions économiques et sociales. Depuis 10 ans le gouvernement belge a dépensé plus de 6.000.000 de francs pour l'acquisition de plus de 5.000 hectares de forêts. En 1907, 2.000.000 ont été consacrés à cet objet.

En 1908 la Prusse a élévé à 8.000.000 de francs le crédit voté dans le même but bien qu'elle possède déjà 2.500.000 hectares de bois domaniaux. Le budget d'Alsace-Lorraine prévoit chaque année une dépense de 60.000 francs pour l'acquisition de forêts particulières et de 1871 à 1900, dans les provinces annexées, les peuplements appartenant à l'Etat ont augmenté de plus de 3.000 hectares.

Avant leur séparation, les royaumes de Suède et de Norvège consacraient annuellement 1 million à l'acquisition de massifs forestiers et depuis sa scission le gouvernement de la Norvège a persévéré dans cette voie; dans ce pays, 170.000 hectares ont été acquis par l'Etat depuis 18701.

Il est temps d'imiter cet exemple; en attendant que la loi votée par la Chambre des Députés le 12 mars 1909 et actuellement voté par le Sénat permette aux Associations reconnues d'utilité publique, aux Sociétés de secours mutuels approuvées ainsi qu'aux Caisses d'épar

I.

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- Nous sommes heureux de nous rencontrer sur ce point avec notre excellent camarade et ami, M. Pardé, Inspecteur des Eaux et Forêts à Beauvais. Conf. Rev. des E. et F., 1er janvier 1913, p. 29.

2.

Le Sénat a voté cette loi dans sa séance du 20 décembre 1912 (Conf. Rev. des E. et F. du 1er janvier 1913, p. 22), mais une légère modification apportée à l'art. 5 du texte de la Chambre nécessitera son renvoi devant cette assemblée,

gne d'acquérir des bois et d'arracher ainsi aux griffes des exploitants les petites forêts particulières qui sur tous les points du territoire disparaissent de jour en jour plus nombreuses. Il est du devoir de l'Etat de donner le branle, en léguant aux générations futures les riches futaies, que seul il a le pouvoir de conserver intactes. C'est pour notre gouvernement une obligation.

Le retour au domaine national de la forêt d'Eu lui en offre l'occasion. En lui permettant d'accomplir ce véritable devoir social, le Parlement inscrira une date glorieuse dans l'histoire de nos forêts en France! J. DEMORLAINE.

Abbeville, 25 décembre 1912.

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III.

MULTIPLICATION DES LIANES A CAOUTCHOUC AMÉNAGEMENT D'UNE FORET CAOUTCHOUTIFÈRE

L'étude sommaire des plantes caoutchoutifères de Madagascar nous a montré que les lianes fournissaient un caoutchouc de première qualité qui, préparé par les méthodes modernes, peut lutter avantageusement avec les produits étrangers 1. Le caoutchouc de lianes est connu dans le commerce sous le nom de « Madagascar rose » ou « Pinky ». Son prix varie, suivant les années, entre 10 et 16 fr. le kilogr.

1.

Nous avons eu l'occasion de visiter dernièrement dans l'Ouest l'installation de la « rubber Company », société anglaise qui s'est montée pour l'exploitation du caoutchouc. Nous donnerons donc quelques renseignements complémentaires sur le traitement mécanique des écorces de lianes.

A Madagascar, la première usine pour le traitement mécanique des écorces de liaDes est de date récente. Elle est due à l'initiative de M. Chaplain, directeur de la « rubber Company ». Cet ingénieur a choisi pour son industrie la côte Ouest, la région du Ménabé en particulier, où les lianes à caoutchouc (L. Perrieri) abondent.

L'usine principale est installée à Belo, important village sakalave situé sur la rive

On a pensé, à tort, que les peuplements naturels de l'île étaient inépuisables et on s'est exclusivement intéressé à la culture des caoutchoutiers étrangers. Malheureusement, les espèces exotiques perdent par l'acclimatation un grand nombre de leurs facultés.

Le Céara (Manihot glazovii), cultivé depuis 10 ans, n'a pas encore donné de résultats appréciables. Il en est de même pour le Funtumia elastica, dont le rendement est très faible.

Le « Castilloa » et l'« Hevea » fournissent un latex de qualité très variable suivant la nature du sol.

A notre avis, c'est une faute grave de ne pas avoir pensé tout d'abord à augmenter la production des caoutchoutiers indigènes par la multiplication des meilleures espèces. Les résultats étaient sûrs, les conditions de végétation et les rendements nous sont en effet connus.

Comme le fait très justement remarquer M. E. de Wildeman dans la

droite de la Tsiribihina. Elle comprend trois machines, dont deux fonctionnent à peu près régulièrement. La première sert exclusivement au broyage des écorces, la seconde au raffinage du caoutchouc; la troisième est mixte, de manière à pouvoir, en cas d'accident, remplacer l'une des deux précédentes.

Chaque machine est actionnée par un moteur à vapeur de 25 HP, chauffé au bois, qui met en mouvement 4 cônes broyeurs, disposés à l'extrémité de deux arbres parallèles.

Un cône comprend deux pièces principales: 1o une partie fixe, appelée cône femelle, qui présente des rainures longitudinales; 2o une partie mobile, dite cône måle, s'emboite dans la précédente et ses parties saillantes forment engrenage avec les rainures du cône femelle.

Les écorces, préalablement séchées, sont réparties sur une auge rectangulaire et arrivent, en même temps qu'un courant d'eau, entre les deux pièces que nous venons de décrire. Pour produire la coagulation complète du latex renfermé dans les canaux laticifères des écorces, un courant de vapeur maintient les cônes à une température constante d'environ 35° à 40°. L'eau entraîne tous les débris d'écorce. Le caoutchouc sort des cônes broyeurs sous la forme de petits boudins de 5m/m de diamètre et 10 à 20 c/m de longueur et passe dans une sorte de trémie rotative, appelée trommel. Cet appareil retient les particules de gomme non agglomérées ainsi que les fragments d'écorce qui ont échappé au broyage. Le premier caoutchouc obtenu contient der impuretés, des parcelles d'écorces adhèrent encore à la gomme. On le fait passes dans une deuxième machine dont les cônes présentent des rainures plus larges. Il en sort complètement purgé de toutes les impuretés. Les boudins sont plus gros, environ I c/m et demi de diamètre.

Ces derniers sont ensuite placés sur des claies bien aérées et disposées sous un hangar à un mètre au-dessus du sol. Après cinq à six jours d'exposition, la dessiccation est complète. Le caoutchouc est alors expédié à Londres.

La première machine peut broyer 1200 kgr. d'écorces par jour. Le rendement des écorces égouttées n'est que de 2, 5 o/o; avec les écorces non égouttées on obtient 4,5 0/0. Les écorces sèches sont payées aux indigènes sept centimes le kilogr.

La Société possède deux ou trois postes installés dans les forêts qui lui ont été concédées. Chacun d'eux est pourvu seulement d'une machine à broyer. Le caoutchouc fabriqué par les postes est envoyé ensuite à l'usine centrale pour être purifié.

Les résultats obtenus par le traitement mécanique des écorces de lianes sont merveilleux. Ils montrent tous les avantages que l'on pourrait obtenir à Madagascar avec la culture rationnelle des lianes à caoutchouc.

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