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toujours cette tendance à la répression matérielle que les hommes d'intelligence faisaient servir à la pensée du pouvoir. S'il était jamais possible de classer par une statistique rigoureuse les diverses nuances d'une assemblée, on pouvait dire que les conservateurs pris dans la pensée élevée d'un système de gouvernement étaient en minorité; seuls alors, ils ne pouvaient ni organiser ni soutenir un ministère.

Néanmoins, il s'était élevé des hommes de courage et de talent qui attaquaient avec hardiesse l'esprit désorganisateur. Et d'abord deux gentilshommes d'une grande naissance jouèrent à cette époque un rôle de fermeté et de franchise, dont il faut savoir leur tenir compte j'entends parler du duc d'Harcourt (1) et de M. Gaëtan de La Rochefoucauld (*). M. d'Harcourt avec une politesse traditionnelle dans les formes, allait cependant aux idées les plus hardies, et c'était avoir du courage alors que de défendre hautement les doctrines d'ordre et de gouvernement; ambassadeur en Espagne après la Pévolution de Juillet, M. le duc d'Harcourt n'avait abdiqué aucune des opinions de sa vie, et il les proclamait hautement à la tribune. M. Gaëtan de La Rochefoucauld osa dire la vérité à la Révolution, puissance souveraine, altière, intraitable, despote du jour, avec tant de liberté, qu'il eut l'honneur de quelques apos

(') La maison d'Harcourt, dont la généalogie a été écrite par Gilles de La Roque, était fort illustre et portait de gueules à deux faces d'or. La branche aînée, par concession royale portait d'azur à une fleur de lis d'or.

(2) Les La Rochefoucauld, famille si nombreuse, portait d'azur burelé d'argent à trois chevrons de gueules, et pour devise, c'est mon plaisir.

trophes de M. de Lafayette, lui rappelant que son illustre père avait été un des partisans les plus absolus de la Constituante. Et il voulait parler en cela d'un grand nom de noblesse, dont la vie entière avait été un spectacle de faiblesse et de déplorables aberrations âme honnête, comme il y en avait tant dans ces premières époques de la Révolution française ; àme candide et vaniteuse qui soupirait après le bruit et la popularité (').

:

A côté de ces quelques gentilshommes courageux osant braver la cause victorieuse, il fallait également placer un groupe de jeunes doctrinaires, gens d'étude et de talens qui se fatiguaient de voir tant d'aberrations dans les idées gouvernementales: M. Jaubert était un esprit absolu par la pensée et la forme, comme l'école impérialiste. La fortune de son nom était trop récente, son origine trop bourgeoise, pour qu'il pût comprendre toutes les nuances de tradition monarchique et d'aristocratie de naissance; il ne gardait donc qu'une certaine forme hautaine de propos jetée avec esprit aux souverains de l'opposition : c'était un chef de par tisans fort capable d'engager le combat et taquin jusqu'à désespérer ceux qui se posaient comme les chefs de l'opposition parlementaire. M. Duchâtel entrait à la Chambre avec une réputation d'études spéciales sur l'économie politique, le commerce et les besoins de la société moderne. Il y avait du sérieux dans M. Duvergier de Hauranne fort engoué de législation anglaise et de formules de parlement. M. de Rémusat était l'ancien écrivain du Globe avec des études plus

(') Le duc de Liancourt avait passé la dernière partie de sa vie

à se justifier de sa conduite à l'égard de Louis XVI.

prétentieuses que complètes et surtout un besoin de mouvement d'action politique, porteur de paroles à tous les bancs et à tous les hommes. Si M. Duvergier faisait de la législation, M. de Rémusat essayait de la philosophie, et tous deux devaient s'affaiblir et se perdre le jour où ils cesseraient d'être le reflet de deux intelligences si supérieures à la leur, MM. Royer-Collard et Guizot. A cette époque, néanmoins, les jeunes doctrinaires rendirent des services à l'aide de la science et de l'esprit qu'ils mirent au service de la majorité.

Cette majorité, au reste, n'était point alors aux conservateurs seuls, je le répète; en groupant même toutes leurs unités éparpillées, ils ne pouvaient avoir à eux-mêmes plus de cent quarante voix; le gouvernement politique ne pouvait donc marcher sans l'appui de la coterie appelé le tiers parti dirigé par M. Dupin, le chef visible du nouveau centre gauche. M. Dupin, incapable de concevoir une idée générale et constante, avait une antipathie profonde pour les doctrinaires; il faut suivre la vie des uns et des autres, leur nature d'appréciation et d'esprit, la tenue des doct rinaires, le décousu saccadé de M. Dupin, pour expliquer cette répugnance si vive et si réelle. La tactique de M. Dupin était, tout en soutenant le gouvernement, de le pousser aux mains du tiers parti, sans avoir toutefois le courage d'accepter le fardeau et la responsabilité du pouvoir; à tout prix M. Dupin voulait la chute de M. Guizot; il acceptait M. Thiers (ce caractère lui convenait); il pardonnait à M. d'Argout, et bien que colère contre M. Barthe et M. Humann, il les aurait soufferts comme accessoires d'un ministère aux

mains de ses amis. Néanmoins ce tiers parti se trouvait lui-même dans une position subordonnée; ses voix comptées s'élevaient à environ quatre-vingts qu'il était libre de porter de droite ou de gauche. S'il pouvait donner la majorité à M. Laffitte, à M. OdilonBarrot ou au ministère, à lui seul il ne l'avait pas; et à ce point de vue la minorité de gauche avait fait une faute immense en signant le compte-rendu, programme trop large, trop décisif pour que son adoption ne fût pas un sujet d'hésitation et de répugnance pour le tiers parti. M. Dupin devait donc opter entre la gauche et le pouvoir. Ses relations avec les Tuileries, son désir d'ordre, sa bonne volonté le portaient vers le gouvernement; ses amitiés, la nature de son esprit, vers la résistance. D'affection, il aurait préféré même M. Laffitte à M. Guizot, mais M. Laffitte, c'était le compte-rendu, cet acte irréfléchi d'opposition envers la dynastie, et le tiers parti en y adhérant se serait placé en dehors d'une combinaison possible de ministère (1).

Appelé lui-même à se décider dans une option aussi délicate, le ministère crut essentiel de faire toutes sortes d'avances au tiers parti; il savait bien tout ce qu'il avait d'incohérent, d'instable, d'in

(1) Le gouvernement lui-même était forcé de subir le choix de M. Dupin.

<< La réunion qui a eu lieu à l'hôtel Choiseul, où se trouvaient rassemblées toutes les nuances de l'ancienne majorité, a choisi pour ses commissaires MM. Ganneron, Baillot, François Delessert, Fulchiron et Jacqueminot. M. Dupin

ensuite a été à l'unanimité et par acclamation choisi comme candidat à la présidence de la Chambre. On a également décidé de porter comme vice - présidens MM. Benjamin Delessert, Bérenger, de Schonen, Etienne, et comme secrétaires MM. Ganneron, Cunin-Gridaine, Martin (du Nord), et Camille Périer.

supportable et d'impatient, mais il fallait se décider entre l'impossibilité de marcher et les concessions indispensables que ce parti allait demander pour prix de son vote; l'hésitation né fut pas longue, et à l'ouverture de la session M. Dupin devint l'arbitre de la majorité. D'abord il obtint toutes les voix du ministère pour la présidence, et les conservateurs s'unirent dans un même vote ('). On savait bien que M. Dupin était un triste président de Chambre, avec son besoin de parler sur toutes choses, ses lazzis spirituels et blessans; mais en matière de gouvernement, on fait moins ce que l'on veut que ce qui est utile à une position: celle d'alors commandait le choix de M. Dupin. Le nouveau président de la Chambre manifesta immédiatement son détestable esprit. M. Dupin ne savait jamais porter la parole sans poser une théorie de démocratie bourgeoise et souveraine, et se félicitant de son élévation à la présidence, il déclara que c'était la plus haute fonction dans l'État (*), sans tenir compte même de la royauté; il ne lui manquait donc plus que de placer son fauteuil, comme le président de la Législative, au-dessus de celui du roi. Puis sans motif, sans but avoué, M. Dupin ajoute que la Chambre ne doit fidélité au roi que parce que le prince lui a prêté serment à elle-même; théorie

(') « Le nombre des votans était de trois cent soixante-seize : M. Dupin aîné a obtenu deux cent trente-quatre suffrages et M. Laffitte cent trente-six.

gues, si cette haute faveur est une approbation de ma conduite parlementaire, j'en ressens vivement tout le prix; la présidence de la Chambre des députés (je le dis

(Séance du 21 novembre 1832.) par honneur pour les représentans du pays) est à mes yeux la pre

(*) << Messieurs et chers collè- mière dignité de l'état. On ne peut

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