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DEPUIS L'AVÉNEMENT

DU ROI LOUIS-PHILIPPE.

CHAPITRE PREMIER.

SITUATION DES POUVOIRS A LA SESSION DE 1833.

(NOVEMBRE 1832 A MARS 1833.)

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Le ministère après la dictature de l'état de siége. Ouverture de la session. Attentat du Pont-Royal. — Discours de la couronne.

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Esprit de la Chambre des députés. - Elémens de la majorité. Les premiers conservateurs. Banc de la jeune doctrine. - Rapprochement avec M. Dupin. — Puissance du tiers parti. Il est maître des bureaux et de l'adresse.-Minorité et faute du compte-rendu. — Projets de lois. Financiers. Administratifs.

- Propositions individuelles. - Caractère des votes du tiers parti. — Petitesse de ses résolutions en matière religieuse, morale et politique. — Votes d'indulgence pour M. Laffitte ; d'injustice pour M. de Montbel. — Nécessité d'une discipline dans la majorité. —Destitution de M. Baude et de M. Dubois. - Accusation du tiers parti contre les doctrinaires.

LE

E gouvernement, à peine remis de ses grandes secousses dans sa lutte contre les partis armés, devait justifier l'exercice d'une dictature soudaine, nécessaire, après les événemens des 5 et 6 juin. Rien n'avait manqué aux coups de force de l'autorité politique : l'état de siége, les conseils de guerre, les arrestations

préventives par grandes masses, les mesures de police les plus acerbes, tout-à-fait en dehors des conditions régulières d'un pouvoir en temps calme. Ajoutez un dernier acte, la captivité de la duchesse de Berri; Madame n'était point traduite devant un tribunal régulier en vertu des lois existantes, on la confinait dans une prison d'État, sans procédure, sans jugement, en vertu d'une simple loi de salut public (').

Les esprits sérieux trouvaient de légitimes motifs pour justifier un état de choses résultant de la guerre violente des partis; depuis quand un gouvernement n'avait-il pas le droit d'une naturelle défense? Attaqué, il s'était défendu, et il était impossible d'appliquer les lois ordinaires à une situation si étrange; mais l'éducation politique était alors si mauvaise, si incomplète qu'il paraissait fort difficile de faire sanctionner par la Chambre des députés la nécessité gouvernementale de l'état de siége et de la captivité extrajudiciaire de madame la duchesse de Berri: la tâche était rude, la sueur devait ruisseler sur bien des fronts. Je remarquerai toutefois que les révolutionnaires dans toutes les nuances, depuis le tiers parti jusqu'à la gauche, n'étaient pas antipathiques aux mesures violentes ('); s'ils n'avaient pas le sens moral de ce qu'il faut pour gouverner une société, ils avaient l'instinct matériel des moyens nécessaires pour la brider sous l'oppression; ils ne savaient pas diriger,

(') C'était surtout l'arrestation de la duchesse de Berri qui donnait lieu aux articles les plus violens dans les journaux d'opinions extrêmes.

(2) On se rappelle que M. Dupin n'avait point voulu porter la parole à la Cour de cassation contre l'état de siége.

élever, conduire un peuple par les idées, mais ils le domptaient, le tyrannisaient par la répression violente, à coups de feu ou même de bâton: les gouvernemens démocratiques sont ceux qui ont le moins de respect pour la dignité et la liberté des masses. Quelques hommes habiles pouvaient donc se servir de cet instinct matériel du tiers parti contre les mauvaises passions de la société.

L'ouverture de la session de 1833 était fixée au 19 novembre; plusieurs fois déjà le conseil s'était réuni pour arrêter le discours de la couronne, fort difficile à résumer, parce que le nouveau ministère devait invoquer l'appui et le concours de la Chambre (assez mal disposée à son origine) afin d'assurer la marche du gouvernement. L'habileté dans cette occasion devait consister en un certain langage qui appellerait l'aide et le concours d'une majorité autour des idées gouvernementales, en invoquant les maximes de la révolution contre le parti légitimiste en armes, et les maximes d'ordre, de repos contre les républicains désignés sous le nom de parti anarchiste. Cette formule, vieille de date, était empruntée à la politique du Directoire parler contre les chouans et les terroristes était un langage aussi vieux que les rapports du ministre de la police sur les complots de la Villeheurnoy et de Babœuf (il n'y a rien de neuf dans l'histoire des partis ). D'ailleurs ces partis eux-mêmes avaient commis de grandes fautes, et ce qui est plus grave encore que les fautes, ils s'étaient laissé vaincre dans leurs luttes sur la place publique. Parmi les heureux dominateurs de la Révolution de Juillet, alors en possession du gouvernement, il se révélait deux sortes

de haines vives et profondes: haine contre les légitimistes parce qu'on ne pouvait avoir ni la puissance de leurs traditions, ni leurs formes, ni leur naissance; haine contre les républicains parce qu'on avait à leur égard des torts et des craintes. Des torts! hélas! n'était-ce pas eux qui les avaient nourris pendant de longues années dans les idées d'insurrection; ceux-ci maintenant les prenaient au sérieux. Des craintes! ils avaient raison, car ce parti énergique n'hésitait pas à lutter en plein jour avec un courage et un dévoûment dignes de marquer dans les grandes annales.

Les aristocrates de la Révolution de Juillet avaient même des termes de mépris pour ces jeunes hommes de conviction qu'ils désignaient avec dédain sous le nom de Bousingots ('); leur origine était si grande à eux! leur illustration si splendide, qu'ils ne pouvaient comprendre que les véritables vainqueurs de Juillet pussent troubler leur quiétude satisfaite; et je remarque ceci, non point pour justifier ces ouvriers turbulens et ces prolétaires séditieux qui se plaçaient les armes à la main dans le mouvement des émeutes à ceux-là application des lois, répression nécessaire; je le dis surtout pour accuser les hommes qui, pendant quarante ans, avaient corrompu ces âmes du pauvre et du peuple. Dans un tel état social, il fallait montrer de l'indulgence pour les individus et faire une guerre sérieuse aux mauvaises idées. Ainsi le pensait la partie élevée du ministère, et celle-là seule était en haine au tiers parti.

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(') Je crois que cette épithète de si bon goat est de l'invention de

M. Persil; elle fit fortune dans le beau monde du tiers parti.

Le 19 novembre à midi, le roi sortit des Tuileries pour se rendre à la Chambre dans le but d'ouvrir la session; le temps était beau quoique par un soleil de novembre, la foule immense; on avait eu quelques indices d'un attentat; le courage personnel du prince rejetait toutes espèces de précautions; il montait à cheval, passait des revues, sans se couvrir ni se préserver; long-temps même il était sorti à pied, jusqu'à se faire fouler par un cabriolet. Cette fois encore, point de voitures, à peine une escorte; le prince était à cheval, suivi de ses aides-de-camp et d'un état-major considérable et brillant: tout-à-coup on entend une forte détonnation ('), on s'arrête, on se groupe, le roi rassure l'escorte émue en faisant signe qu'il n'est point blessé, et lorsque les officiers-généraux s'informent si c'est l'éclat d'un fusil, le roi ajoute : « Non, messieurs, c'est un coup de pistolet, je l'ai vu, bien vu, » et il continue sa route sans témoigner aucune émotion. On eût dit que le prince se préparait ainsi à de nouvelles épreuves, à ces attaques sournoises et criminelles succédant aux grandes émeutes, qui du moins marchaient à front découvert. Cet attentat fut nié et les journaux en firent même un sujet de raillerie; l'avenir prouva qu'il n'avait que trop de réalité. Les partis ont l'instinct profond de la force qui doit les refréner; or,

Voici le récit du journal du gouvernement:

«Un coup de pistolet a été tiré sur le roi, qui n'a heureusement pas été atteint. Le roi a paru à la Chambre avec un visage si calme qu'il était impossible d'imaginer qu'il avait eu un nouveau danger à bra

ver. Voici la version la plus exacte sur cet attentat. Le roi était à cheval et saluait le peuple dont il recevait les acclamations. Sur le pont Royal un homme s'est soudainement échappé de la haie de spectateurs qui bordait le quai, il s'est avancé et a tiré sur le roi

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