Page images
PDF
EPUB

cette situation si complexe, la France ne pouvait espérer à elle seule le protectorat; bridée par tant de circonstances exceptionnelles, elle devait tendre à un système plus facilement accepté par tous, c'est-à-dire à un protectorat commun sur la Porte Ottomane; il fallait que celle-ci fût enlevée à l'influence exclusivement russe pour passer sous la protection simultanée de toutes les autres puissances. Désormais les négociations devaient se suivre en commun à Constantinople; tout se traiterait de concert, de manière à repousser tous les dangers, à résoudre toutes les difficultés, à imposer la paix ou à empêcher la guerre à Constantinople il y aurait une conférence comme à Londres. Ce système serait-il accepté, et les événemens si imprévus de la question d'Orient ne devaient-ils pas briser ce faisceau joint si imparfaitement. La situation intérieure de la France lui permettait-elle d'ailleurs le développement de ses forces et de son énergie de nation?

[blocks in formation]
[ocr errors][merged small]

Les complices.

[ocr errors]

Les amendeurs. - Nuances de la majorité. — Ouverture

-

de la session. - Discussion de l'adresse. La diplomatie de M. Bignon. Adhésion de M. de Broglie. Situation délicate en Europe. Notes sur les sociétés secrètes et le désarmement. - Projet de loi contre les crieurs publics. - Système de personnalité. — Duel du général Bugeaud et de M. Dulong. — Démission de M. Dupont (de l'Eure). — Projet contre les associations. Discussion ardente. Les différens partis. Le maréchal Soult et la commission du budget. M. Barthe.

-

M. d'Argout et M. Thiers. Découragement de Le traité avec les États-Unis. - Rejet du projet. — Démission de M. de Broglie et du général Sébastiani. - Nécessité d'un nouveau cabinet. Démissions de M. Barthe et de M. d'Argout. Le ministère renouvelé. Fraction doctrinaire.-M. Guizot, M. Duchâtel, M. Humann. - Entrée de M. Persil. L'amiral de Rigny aux affaires étrangères. — Caractère essentiellement provisoire de cette combinaison.

Le caractère dominant de la session qui va s'ouvrir est surtout une animosité vive et profonde entre les diverses fractions de la Chambre des députés. Jusqu'alors majorité et minorité s'étaient presque entièrement préservées de ces haines de personnes; si l'irritation était dans les masses, au milieu des partis armés, la Chambre avait gardé un esprit de

calme, de douceur et de bons rapports, que désormais elle allait secouer; et cela s'explique par ce seul motif que la bataille décidée dans la rue allait maintenant se donner au sein des pouvoirs politiques. C'était par les lois qu'on marchait à la répression des partis; l'opposition avait espoir que d'ardentes paroles retentiraient au dehors; chacun avait quelque chose sur le cœur et voulait le dire. A cette époque, l'attitude de la Chambre des députés devait rappeler, expliquer ces temps de triste mémoire, où les représentans se proscrivaient entre eux; s'il n'y eut pas alors de caractère fatal et sanglant, c'est que les mœurs ne le voulaient pas; le tonnerre de la tribune ne faisait que gronder comme un bruit sourd, et la foudre n'éclatait pas sur les têtes.

Il faut dire aussi que presque tous les masques étaient tombés; on ne déguisait plus ni ses opinions, ni ses espérances, ni ses principes; il y avait à la Chambre un parti qui s'avouait complétement conspirateur; MM. de Ludre, Cabet, Audry de Puyraveau, Voyer d'Argenson, Garnier-Pagès et d'autres encore, disaient haut, avec franchise, qu'ils voulaient le renversement de l'ordre de choses; ils le manifestaient à la tribune, dans les livres, les journaux et les pamphlets. M. Audry de Puyraveau et M. Voyer d'Argenson avaient même signé la déclaration des droits de l'homme si menaçante pour la famille et la propriété; presque tous étaient liés aux sociétés politiques, et M. de Cormenin lui-même faisait partie des comités. Contre ce parti qui ne ménageait rien, pas même la loi du pays, le gouvernement avait pris une mesure qui avait son importance, c'était celle de la poursuite contre

M. Cabet ('). L'extrême gauche avait dit : « il n'osera pas, » et le ministère 'avait répondu par un projet d'autorisation de poursuite, et cela pour constater qu'aucune inviolabilité ne pouvait préserver le conspirateur de la responsabilité de ses propres actes. C'était non-seulement une mesure de force actuelle, mais encore une menace, qui s'étendait depuis M. Cabet jusqu'à M. Garnier-Pagès et même à M. de Lafayette.

S'il y avait aussi un peu de conspiration dans le petit côté légitimiste de la Chambre, celle-là était plus douce, moins redoutable, et à vrai dire même, on ne la surveillait que pour montrer un certain caractère impartial et tenir une juste balance, au moment où le côté gauche était harcelé par le parquet. Cette conspiration, depuis la facile pacification de la Vendée, consistait plus en paroles qu'en actions réelles sur la place publique ainsi, c'était sur la nature du serment, sur l'étendue de ses obligations, que se rattachait essentiellement l'innocent complot des légitimistes de la Chambre. M. de Gras-Préville faisait des petites malices en vertu de sa qualité de doyen. M. Berryer, plusieurs fois interpellé sur la nature et la sincérité de son serment, l'expliquait, le développait de manière à ne compromettre ni lui-même ni l'avenir de son parti. C'était souvent une lutte curieuse d'avocats qui s'engageait entre M. Dupin et M. Berryer, comme naguère au barreau, toujours avec le respect d'eux-mêmes et les souvenirs bienveillans d'une lon

(') La poursuite contre M. Cabet étaitdepuis long-temps arrêtéedans le conseil et l'on n'attendait qu'une occasion pour en user; M. Barthe

la lut à la Chambre sans exposer de motifs et comme par improvisation, parce qu'il crut la circonstance bonne pour frapper ce coup.

gue camaraderie; tandis que de temps à autre quelques voix brutes, mais dévouées aux centres, venaient demander à M. Berryer de donner sa démission, puisqu'il n'était pas dévoué de cœur à la Révolution de Juillet (1).

Après les conspirateurs avoués venaient les complices. C'était une situation qu'aimait assez M. de Lafayette, parce qu'elle permettait une certaine quiétude, une manière commode d'échapper à toute responsabilité: M. de Lafayette avait des craintes et des res-. sentimens; si une certaine retenue ne lui permettait pas de s'associer aux meneurs trop avancés de la démocratie, aux fils des vigoureux Jacobins, il eût été bien aise de voir démolir le pouvoir qu'il appelait parjure; le jour où MM. Voyer d'Argenson, Audry de Puyraveau et Cabet eussent remporté la victoire, M. de Lafayette se serait trouvé avec eux, cherchant la popularité en brisant l'oeuvre du 9 août. Jusqu'à ce triomphe, il se contentait de conseiller par la parole, sans agir; il approuvait, adhérait (1), et autour de lui se groupait un certain nombre de députés, descen

(') Cette question de serment avait été engagée surtout par M. de Cormenin qui insistait sur ce principe que, pour les députés, il n'y avait de pouvoir supérieur que la souveraineté du peuple.

(2) C'est ce qui rendait toujours un peu ambiguë la parole M. de Lafayette; ainsi il disait à la tribune:

« Le véritable républicanisme, est la souveraineté du peuple; ce sont ces droits naturels et impres

criptibles qu'une nation entière n'aurait pas le droit de violer; la souveraineté nationale est supérieure à toutes combinaisons secondaires du gouvernement; elle doit être toujours vivante, et jamais être reléguée aux archives... On ne peut pas s'attendre à ce que moi, qui à la fin de 1792, ai cru devoir défendre la liberté contre la République, je défende jamais la monarchie contre la liberté... >>

(Séance du 3 janvier 1834.)

« PreviousContinue »