Page images
PDF
EPUB

III

Cession par la France de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine à l'Empire allemand.

Nous avons vu plus haut que deux textes se référent aux Alsaciens-Lorrains atteints par l'annexion : l'art. 2 du traité signé à Francfort, le 10 mai 1871, et l'art. 1er de la convention additionnelle du 11 décembre suivant.

L'art. 2 du traité déjà cité, page 40, s'exprime ainsi : « Les sujets français originaires des territoires cédés, » domiciliés actuellement sur ces territoires, qui en» tendront conserver la nationalité française, jouiront, » jusqu'au 1er octobre 1872 et moyennant une décla» ration préalable faite à l'autorité compétente, de la » faculté de transporter leur domicile en France et » de s'y fixer, sans que ce droit puisse être altéré par » les lois sur le service militaire, auquel cas la qualité » de citoyens français leur sera maintenue ».

Ce texte diffère de l'art. 6 du traité de Turin. Ce ne sont pas les originaires même non domiciliés, et les domiciliés même non originaires qui deviennent Allemands, ce sont les citoyens français à la fois originaires et domiciliés.

Cette situation relativement favorable fut malheureusement modifiée par l'art. 1er de la convention additionnelle du 11 décembre qui prorogea le délai d'option d'une année, pour tous les originaires domiciliés hors de l'Europe. C'était reconnaître, contrairement à l'art. 2 du traité, que les originaires même non domiciliés ne pouvaient conserver, sans option, la nationalité fran

céda à la France la commune de Menton et de Roquebrune (Convention du 2 février 1861).

Les sujets monégasques originaires de Menton et de Roquebrune et y domiciliés qui voulaient conserver leur nationalité avaient un délai d'un an, à compter de l'échange des ratifications du traité, pour se fixer dans la principauté et conserver ainsi leur nationalité monégasque,

çaise (1). Le Gouvernement français se résigna å accepter cette interprétation (2).

La France était fondée à croire que les domiciliés non originaires qui n'étaient compris ni dans les termes du traité du 10 mai, ni dans ceux de la convention additionnelle du 11 décembre, seraient regardés, sans difficulté, comme Français, par les Allemands. C'était un peu trop compter sur la bonne foi de nos ennemis. Une circulaire de M. de Moeller, Président supérieur de l'Alsace-Lorraine, déclara, le 7 mars 1872, que les natifs domiciliés et les originaires non domiciliés étaient seuls tenus d'opter; mais les domiciliés non originaires devaient émigrer comme les autres, avant le 1er octobre 1872, pour conserver la nationalité française. Le cabinet de Berlin approuva cette ordonnance et le chargé d'affaires allemand, le comte d'Arnim, expliqua, dans une lettre du 1er septembre 1872, à M. de Rémusat, que le Gouvernement impérial avait considéré, dés le principe, comme Allemands, par le fait même de la cession de l'Alsace et de la Lorraine à l'Allemagne, les habitants français de ces pays, sans que cet effet dût même être constaté expressément, par le traité de paix.

Cette déclaration faite un mois seulement avant l'expiration du délai d'option causa une surprise désagréable à beaucoup de personnes qui, simplement domiciliées en Alsace-Lorraine, n'eurent pas le temps d'opter pour la nationalité française.

On aurait compris que le Gouvernement allemand expulsât les Français domiciliés. Cette mesure, un Etat peut toujours la prendre envers des étrangers, en vertu de son droit de souveraineté; mais qu'on les déclarat Allemands au mépris du traité, parce qu'ils avaient

(1) Voir plus haut, page 83.

(2) Voir page 41, le texte de la circulaire de M. Dufaure aux Préfets.

conservé leur domicile en Alsace-Lorraine depuis l'annexion, voilà ce que la France ne voulut jamais admettre. Le conflit fut rendu public par une note insérée au Journal officiel, le 14 septembre 1872. Les Français simplement domiciliés en Alsace-Lorraine au moment de l'annexion et qui n'ont pas émigré à temps, ont donc maintenant deux nationalités.

Le traité subordonne la validité de l'option au transfert du domicile en France. Comme dans la cession de la Savoie et du comté de Nice, on ne prit pas ces mots à la lettre. L'Allemagne elle-même se contenta d'une émigration n'importe où. Mais, d'un autre côté, les autorités allemandes annulerent souvent comme fictives, des options pour la France, avec transfert de domicile suivi d'un prompt retour dans les pays annexés. Le traité de Francfort ne contient aucune disposition relative aux mineurs et aux femmes mariées.

Jusqu'à la dernière loi sur la nationalité, du 26 juin 1889, on avait toujours considéré en France le changement de nationalité comme absolument personnel à celui qui l'obtenait (1).

La législation allemande associe ipso facto les enfants mineurs et la femme au changement de patrie obtenu ou subi par le chef de famille.

Un conflit sur ce point était donc possible en 1871 entre la France et l'Allemagne.

Pour l'atténuer, une circulaire du 30 mars 1872, émanant du Ministre de la Justice, en France, recommanda aux femmes mariées d'opter individuellement, quand même leur option serait considérée en Allemagne comme comprise implicitement dans celle de leurs maris.

(1) Nous avons vu que la loi de 1889 attribue de plein droit aux mineurs la qualité de Français conférée à leur père. Au contraire, la femme mariée et les enfants majeurs conservent leur nationalité d'origine s'ils n'ont pas demandé personnellement à devenir Français.

Quant aux mineurs, les plénipotentiaires français s'efforcèrent d'obtenir que le délai d'option fût reculé, poureux, jusqu'à leur majorité. Leurs efforts n'obtinrent aucun succès. Mais le gouvernement allemand reconnut que les mineurs pourraient valablement opter avec l'assistance de leurs représentants légaux (1).

Le Gouvernement français crut alors que les mineurs Alsaciens-Lorrains auraient la faculté d'opter personnellement, avec l'assistance de leurs pères ou tuteurs qui, eux, demeuraient Allemands.

Il se trompait encore. De quel poids pouvait être aux yeux de nos ennemis l'accord intervenu, la parole engagée ? La victoire ne leur avait-elle pas donné tous les droits ?

Le 16 mars 1872, le Président supérieur d'AlsaceLorraine prit une décision aux termes de laquelle « les » mineurs non émancipés ne peuvent opter ni par eux» mêmes, ni par l'intermédiaire de leurs représentants » légaux, à moins que ceux-ci n'optent aussi pour » eux-mêmes. Si leurs parents sont encore en vie, ils >> suivent de droit la nationalité du père. La disposition » qui précède s'applique aussi aux mineurs émancipés, » s'ils sont nés en Alsace-Lorraine. Les mineurs » émancipés qui ne sont pas nés en Alsace-Lorraine » sont, en ce qui concerne le droit d'option, assimilés >> aux majeurs. »>

Mieux aurait valu dire, fait observer M. Cogordan (2), qu'on retirait aux mineurs le droit d'option qui leur avait été formellement reconnu par les plénipotentiaires de l'Empire, à la conférence de Francfort.

Aux réclamations du Gouvernement français les Allemands ont répondu que le Gouvernement impérial avait cru devoir laisser aux mineurs la position que

(1) Circulaire ministérielle de M. Dufaure (30 mars 1878). (2) Page 373,

leur accorde, en France, l'art. 108 du Code civil, d'après lequel le mineur non émancipé a son domicile chez ses père et mère ou tuteur.

Si le père n'opte pas pour lui-même et reste en Alsace, le mineur ne peut pas satisfaire à la condition imposée aux optants, de transférer leur domicile en France, puisqu'il n'a pas d'autre domicile que celui de son père.

L'argument était habile, car il retournait notre législation contre nous. Mais alors pourquoi avoir refusé un droit personnel d'option aux mineurs émancipés nés en Alsace-Lorraine, puisque l'émancipation permet aux mineurs d'avoir un domicile spécial? On a objecté aussi que ce n'était pas du domicile légal dans le sens donné à ce mot par le Code civil français que parlait l'art. 2 du traité de Francfort, mais plutôt d'une véritable émigration.

C'est, en effet, une émigration réelle et sincère qui a été exigée par le Gouvernement allemand, comme nous l'avons vu plus haut (1).

Nous n'insisterons pas sur cette objection qui nous paraît spécieuse. L'émigration emporte nécessairement transfert du domicile, c'est-à-dire du principal établissement. Nous nous contenterons de faire observer que le Code civil français n'était pas plus en jeu que la loi allemande. Il s'agissait d'une convention. Le Gouvernement allemand avait-il ou non reconnu aux mineurs (sans distinction) une faculté personnelle d'option? Toute la question était là.

Les mineurs non émancipés et les mineurs émancipés nés en Alsace-Lorraine, qui ont opté pour la France avec l'assistance de leur père, de leur mère ou de leur tuteur sont donc Français en France, Allemands en Allemagne.

(1) Cogordan, page 376.

« PreviousContinue »