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Des deux lettres d'Henry qui furent remises au ministère de la Guerre, l'une, adressée à M. F. Henry, n'a pas été publiée; l'autre, adressée à Mme Henry, a été publiée par M. Ballot-Beaupré dans son rapport. C'est celle qui contient la fameuse phrase, encore inexpliquée : « Tu sais dans l'intérêt de qui j'ai agi. »

En même temps, le général de Pellieux écrivait la lettre suivante, dont le texte exact n'a été connu qu'à la séance de la Chambre des députés du 6 avril 1903.

Paris le 31 août 1898.

>> Monsieur le Ministre,

» Dupe de gens sans honneur, ne pouvant espérer conserver la confiance de mes subordonnés sans laquelle il n'y a pas de commandement possible, ayant perdu de mon côté la confiance en ceux de mes chefs qui m'ont fait travailler sur des faux, j'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien liquider ma retraite pour ancienneté de services. »

Ainsi qu'il résulte des déclarations faites à la Chambre le lendemain 7 avril 1903, par le général André, ministre de la Guerre, le général de Pellieux fut prié par le général Zurlinden (devenu ministre de la Guerre après la démission de

M. Cavaignac) de reprendre sa lettre. Et le 4 juin 1899, redevenu gouverneur de Paris, le même général Zurlinden renvoyait au ministère de la Guerre, à titre de document à classer, cette même lettre, en écrivant au ministre d'alors :

<< Monsieur le Ministre,

>> J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint une lettre du général de Pellieux du 31 août 1898, dont je vous ai parlé hier.

» Je crois que, pour fixer complètement votre opinion sur cet officier général, il serait utile que vous le fissiez venir dans votre cabinet. En quelques minutes de conversation, vous verriez certainement plus clair dans son intervention et son rôle qu'à la suite de longues recherches.

» GÉNÉRAL ZURLINDEN.

» Post-scriptum. C'est à la suite d'un entretien avec M. Canaignac, alors ministre de la Guerre, que le général de Pellieux a retiré sa demande du 31 août 1898. »

Deux remarques peuvent, semble-t-il, clore ce paragraphe :

1o Le général de Pellieux, si indigné au procès Zola, le 18 février 1898, qu' « un monsieur portant l'uniforme de l'armée française vienne à la barre accuser trois officiers généraux d'avoir fait un

faux ou de s'en être servis, » le général de Pellieux écrivait le 31 août suivant qu'il avait été « dupe de gens sans honneur, de chefs qui l'avaient fait travailler sur des faux ».

2o Dans le long procès-verbal de l'interrogatoire d'Henry, nulle part n'apparaît cette idée qui devait avoir tant de succès quelques semaines plus tard, que le faux commis avait pour but d'avoir une pièce pouvant être divulguée sans danger.

« Mes chefs étaient très inquiets, je voulais les calmer. »

La pièce était pour eux seuls.

D'ailleurs, il est à remarquer que cette pièce destinée, a-t-on dit, à donner au public une preuve remplaçant toutes les autres et ne compromettant en rien la sécurité du pays, ce faux patriotique, comme l'ont appelé les professionnels du patriotisme et de l'honneur, ne pouvait, sans danger, être divulgué complètement.

« Si... (ici un membre de phrase que je ne puis lire) », dit M. Cavaignac.

Chose singulière! Ni les pièces publiées de l'Enquête de la Cour de cassation, ni les pièces publiées du Conseil de guerre de Rennes ne donnent la moindre lumière à ce sujet. Le membre de phrase inconnu reste toujours, inexplicablement, terrible.

Ce n'est

que dans l'Histoire de l'affaire Drey

fus, par M. Joseph Reinach, que, pour la première fois, la pièce fameuse est publiée en son entier :

« J'ai lu qu'un député va interpeller sur Dreyfus. Si on demande à Rome nouvelles explications, je dirai que jamais j'avais des relations avec ce juif. C'est entendu. Si on vous demande, dites comme ça, car il ne faut pas qu'on sache jamais personne ce qui est arrivé avec lui ».

(Les mots soulignés sont ceux qui, contenus dans cette dépêche destinée à remplacer près du public d'autres documents compromettants, ne pouvaient néanmoins pas être connus sans danger.)

Cette remarque ne semble jamais être venue à l'esprit d'aucun des signataires de la liste de souscription ouverte du 14 au 29 décembre 1898, et les 1er et 15 janvier 1899 dans la Libre Parole, en l'honneur du lieutenant-colonel Henry, devenu, pour l'honneur de l'armée, le faussaire national.

Il ne peut entrer dans le cadre de cette étude de donner des renseignements détaillés sur cette souscription. Les listes en ont été relevées et classées par professions dans un volume spécial, intitulé : le Monument Henry, par Pierre Quillard (Stock, éditeur). En tête de la préface de ce volume figurent les deux souscriptions suivantes, qui donnent une idée suffisante de toutes les autres :

Cros (l'abbé), ex-lieutenant, pour une descente de lit en peau de youpin, afin de la piétiner

matin et soir (liste du 28 décembre), 5 francs; Le général Bottoku (liste du 19 décembre), 2 fr. Le général Mercier, ancien ministre de la Guerre, est inscrit le 16 décembre pour 100 francs.

Le total de la souscription s'est élevé à 131.110 fr. 15.

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