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que celle où on est exposé à entrer dans de pareilles explications et que ce sont de drôles de chefs, pour ne pas dire des drôles, que ceux qui se servent de pareils arguments pour repousser la demande, chaudement appuyée par de braves gens, d'un bon soldat et d'un bon officier, intéressant... »

Cette amie, le commandant Esterhazy l'avait probablement, pour employer l'expression de M. d'Ormescheville, trouvée assez «< catholique » pour rester plusieurs années en relations intimes avec elle.

Et ce sentiment était sans doute partagé par le lieutenant-colonel du Paty de Clam et par Mme du Paty de Clam elle-même, puisque Mme Marguerite Pays dépose (Cour de cassation, I, p. 797):

«Chaque fois, que j'ai vu M. du Paty, j'ai vu également Mme du Paty, qui venait à moi en me tendant la main et en me saluant, ou tout au moins en me rendant mon salut. J'imagine que cet accueil était faitpour donner le change à ses domestiques, car je ne connais pas Mme du Paty. Cette attitude avait sans doute une raison: je ne la connais pas.»

S VI. La cote d'amour. Le général Lebelin de Dionne.

Le rapport d'Ormescheville contient le paragraphe suivant (Rennes, I, p. 18):

« Lors des examens de sortie de l'Ecole de guerre, le capitaine Dreyfus a prétendu qu'il devait à la cote, dite d'amour, d'un général examinateur, d'avoir eu un numéro de sortie inférieur à celui qu'il espérait obtenir ; il chercha alors à créer un incident en réclamant contre cette cote, et, partant, contre le général qui la lui avait donnée. Il prétendit que cette cote, qui était 5, lui avait été donnée de parti pris et en raison de la religion à laquelle il appartient; il attribue même au général examinateur en question des propos qu'il aurait tenus à ce sujet.

>>... Il est à remarquer que la cote dont s'est plaint le capitaine Dreyfus était secrète; on s'étonne à bon droit qu'il ait pu la connaître si ce n'est par une indiscrétion qu'il a commise ou provoquée... »

Le général Lebelin de Dionne dépose à Rennes (II, p. 179):

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Ses notes (de Dreyfus) d'examen étaient très bonnes; ses travaux étaient bien faits ; je n'avais jamais reçu de plaintes contre lui, de sorte qu'à l'inspection générale de 1892 je n'avais que de bonnes notes à lui donner... Je n'aurais pas changé le numéro de ces notes si un incident ne s'était pas présenté. A la fin de ses examens, le capitaine Dreyfus et un de ses camarades, un israélite comme lui, sont venus réclamer en me

disant qu'un examinateur leur avait donné une très mauvaise note, la note 0, parce qu'ils étaient juifs; c'était la note d'aptitude au service d'état-major.

» Le fait m'avait paru très extraordinaire; cependant, je dis à ces deux officiers que j'allais prendre des renseignements, et que si une injustice avait été commise, je la réparerais dans la mesure du possible, la réclamation étant fondée. Mais, avant de donner une réparation à ces deux officiers, j'ai voulu prendre des renseignements et savoir dans quelle mesure je devais le faire. Pour le premier de ces officiers, on ne m'en dit que du bien, la réparation était très facile, grâce à la note du général de division commandant l'Ecole; mais, pour le capitaine Dreyfus, les renseignements furent tout autres.

» J'ai appris qu'il n'était pas aimé de ses camarades et de ses chefs à cause de son caractère cassant, de sa nature haineuse, de son ostentation et de l'intempérance de son langage. Il disait notamment que les Alsaciens étaient bien plus heureux sous la domination allemande que sous la domination française. Je sais que M. Dreyfus a nié le propos, mais les renseignements que j'apporte au Conseil sont des renseignements qui ont été contrôlés. Ils ne proviennent pas d'une source unique et présentent tous des garanties.

<< Lorsqu'on me donna tous ces renseignements, je pensai que le capitaine Dreyfus ne devait pas

rester à Paris ni figurer à l'État-Major général. Cependant je me trouvais en présence d'une injustice à réparer, et je ne voulais pas que l'École de Guerre fût un lieu de persécution religieuse, je ne lui donnai donc pas une note très mauvaise; je lui donnai la note qu'il méritait et que j'avais donnée à tous ses camarades.

» En 1898, le ministre a fait demander une note sur le capitaine Dreyfus. J'ai parlé de ce que je viens de vous dire. Cette note paraît être en discordance avec la note de l'inspection. »

Cette dernière citation fait allusion à une pièce classée, sans qu'on s'explique bien pourquoi, dans le dossier secret, auquel il a déjà été fait allusion et constitué sur l'ordre du général Billot. Dans cette pièce établie en 1898, le général Lebelin de Dionne donne sur le compte de Dreyfus des notes différentes de celles qui figurent dans son dossier à la date de 1892 et ainsi conçues (Rennes, p. II, 60):

« ... Très bon officier, esprit vif, saisissant rapidement les questions, ayant le travail facile et l'habitude du travail. Très apte au service de l'État-Major.

>> Le colonel commandant en second,

Signé » THIRON. »

Me DEMANGE. - Et à côté de la signature Lebelin de Dionne ?

M. LE GREFFIER. Le général commandant l'École, Signé : « DE DIONNE. »

Au sujet de cette pièce du dossier secret, le capitaine Dreyfus dit (Rennes, p. II, 181) :

«... Je crois me souvenir que dans sa lettre qui est citée au dossier secret, et où on rappelle les paroles de M. le général Lebelin de Dionne, je crois qu'il est dit que M. le général Lebelin de Dionne m'a appelé pour me faire part de ses renseignements. Jamais M. le général Lebelin de Dionne ne m'a fait part de ce fait-là. C'est tout ce que j'avais à dire.

J'ai appris l'in

M. LE GÉNÉRAL DE DIONNE. cident par ces deux officiers. Les notes qui ont été données au mois de juin 1892 sont des notes d'inspection générale...

Cette note, je ne pouvais pas, je ne voulais pas la changer, parce qu'on ne se serait pas expliqué qu'avec de mauvais renseignements, j'eusse donné des notes de mérite excellentes.

Me DEMANGE. Je fais simplement remarquer la date des notes: 25 novembre 1892, notes adressées à M. le général commandant en second Giroux, par M. le général Lebelin de Dionne.

Quant à la pièce du dossier secret, qui a

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