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bien ! cette pièce, il y a lieu de la considérer comme un faux. J'ai dit, messieurs. »

C'était catégorique et d'autant plus singulier que le lieutenant-colonel Picquart n'a jamais vu la pièce, il nous l'a dit. Et le lendemain, le général de Pellieux relevait en face du lieutenant-colonel Picquart l'accusation contre trois officiers généraux d'avoir fait un faux ou de s'en être servis. Alors le lieutenant-colonel Picquart s'est exprimé ainsi devant vous :

<< Mes intentions ont été absolument méconnues, si c'est de cette façon qu'ont été interprétées mes paroles d'hier. Si j'ai dit que je croyais que le document était un faux, je n'ai voulu en aucune façon suspecter la bonne foi de mes chefs... >>

Nous avons vu à cette audience le lieutenant-colonel Picquart démenti par ses inférieurs, par ses égaux et par ses supérieurs; il vient d'en être réduit à se démentir lui-même. Le spectacle est trop attristant pour qu'il me plaise d'y insister.

La pièce en question, celle que nous avons vue, Esterhazy l'appelait, dit-on, la dépêche de Vercingétorix, attendu qu'un Auvergnat seul avait pu l'inventer. M. Van Cassel, qui devait sans doute à son nom si français d'être le porte-parole des futurs nationalistes dans cette affaire, avait peut-être quelque ancêtre dans Alésia.

*

**

Condamnation, comme comparaison, n'étant pas raison, paraît-il, des polémiques continuaient, ardentes.

La Chambre, n'ayant pas encore eu la sagesse de voter aucun amendement Chapuis, discutait, le 7 juillet 1898, une nouvelle interpellation sur l'affaire Dreyfus.

Et M. Cavaignac, à la tribune, prononçait le discours qui le rendra à jamais célèbre. (Séance de la Chambre des députés du 7 juillet Petit Temps et tous les journaux portant la date du 8.)

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«... Au moment où fut déposée l'interpellation de M. Castelin, aux mois d'octobre et de novembre 1896, les correspondants (des étrangers que M. Cavaignac, par prudence patriotique, ne désigne pas autrement) s'inquiétèrent pour des raisons qui sont indiquées fort clairement dans les lettres que j'ai eues sous les yeux, et alors l'un d'entre eux écrivit la lettre dont voici le texte : « J'ai lu qu'un député interpelle sur Dreyfus. Si... (ici un membre de phrase que je ne puis lire) je dirai que jamais j'avais des relations avec ce juif. C'est entendu. Si on vous demande, dites comme ça, car il faut pas que l'on sache jamais personne ce qui est arrivé avec lui. (Exclamations.)

M, ALPHONSE HUMBERT. C'est clair.
M.
M. LE MINISTRE DE LA Guerre.

J'ai pesé

l'authenticité matérielle et l'authenticité morale de ce document. >>

Et la Chambre, transportée d'enthousiasme, votait par acclamations l'affichage de ce discours sur toutes les murailles de la France.

Dès le lendemain, le colonel Picquart écrivait au président du conseil, M. Brisson (Instruction Fabre, page 248. Document annexe No XII) :

<< Paris, le 9 juillet 1898.

» Monsieur le Président du Conseil,

» Il ne m'a pas été donné jusqu'à présent de pouvoir m'expliquer librement au sujet des documents secrets, sur lesquels on a prétendu établir la culpabilité de Dreyfus.

» M. le ministre de la Guerre ayant cité, à la Chambre des députés, trois de ces documents, je considère comme un devoir de vous faire connaître que je suis en état d'établir, devant toute juridiction compétente, que les deux pièces qui portent la date de 1894 ne sauraient s'appliquer à Dreyfus, et que celle qui porte la date de 1896 a tous les caractères d'un faux.

» Il apparaîtra alors manifestement que la bonne foi de M. le ministre de la Guerre a été surprise, et qu'il en a été de même, d'ailleurs, pour tous ceux qui ont cru à la valeur des deux

premiers documents et à l'authenticité du dernier. >> Veuillez agréer, Monsieur le Président du Conseil, l'assurance de mes sentiments les plus respectueux.

» G. PICQUART. >>

En réponse à cette lettre, le 12 juillet M. le ministre de la Guerre demandait au garde des Sceaux des poursuites judiciaires contre le lieutenant-colonel en réforme Picquart et M° Leblois, avocat à la Cour d'appel, pour infraction à la loi contre l'espionnage.

A cette demande était annexée une pièce mentionnant que les faits reprochés au colonel Picquart étaient établis notamment :

1o Par la déposition de M. Gribelin (Procès Zola, I, p. 157);

2o Par la déposition du lieutenant-colonel Henry (Id., p. 230);

3o Par la confrontation du général Gonse, du lieutenant-colonel Henry et du lieutenant-colonel Picquart (Id., p. 377).

Le lieutenant-colonel Picquart était immédiatement incarcéré. Et l'instruction poursuivait son cours, avec le lieutenant-colonel Henry comme principal témoin... (Instruction Fabre, pages 11, 47, 50, 139, 146, 147 et 152.)

Soudain, le 30 août 1898, à minuit, l'Agence Havas publiait la note suivante :

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« Aujourd'hui, dans le cabinet du ministre de la Guerre, le lieutenant-colonel Henry a été reconnu et s'est reconnu lui-même l'auteur de la lettre en date de 1896 où Dreyfus est nommé.

« M. le ministre de la Guerre a ordonné immédiatement l'arrestation du lieutenant-colonel Henry, qui a été conduit à la forteresse du MontValérien. »

Cette note de l'Agence Havas résumait le procès-verbal, d'une grandeur tragique, communiqué ultérieurement à la Cour de cassation, et dont voici les principaux passages (Revision du procès Dreyfus, arrêt de recevabilité, séance du 27 oct. 1898, p. 98 et suiv.):

<«<Le lieutenant-colonel Henry est introduit à 2 heures 30 par le général Gonse... Le ministre le prévient immédiatement que l'examen des deux pièces au crayon bleu parvenues au service des renseignements, l'une en juin 1894, l'autre le 31 octobre 1896, a permis de constater que l'une d'elles contient des mots appartenant à l'autre, et réciproquement, et qu'elles ont été, par conséquent, gravement altérées toutes deux. Il adjure le lieutenant-colonel Henry de dire ce qu'il sait au sujet de ces pièces...

LE MINISTRE. Comment pouvez-vous expliquer alors que la pièce de 1894 contienne des morceaux appartenant à celle de 1896 et réciproquement?

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