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HISTOIRE

DES 27, 28 ET 29 JUILLET 1830.

Graces au progrès des lumières et de l'esprit de civilisation, la révolution de 1830 n'a rien et n'aura rien de commun, nous osons l'espérer, avec celle de 1789.

A cette époque tout était à conquérir en fait de liberté. Que d'abus à vaincre, que de priviléges odieux à détruire, que de distinctions injurieuses, que de préjugés à renverser! Il fallait attendre du temps les réfòrmes nombreuses qui ont été faites dans la législation et dans l'administration de toutes les branches importantes de l'état; et, chose singulière, ce ne fut pas le peuple qui commença ce mouvement régénérateur; mais une fois qu'il fut donné, il s'en empara avidement et résista avec plus ou moins de bonheur toutes les fois qu'on voulut lui retirer cette portion de liberté qu'il avait conquise.

Bientôt la révolution de 1789, détournée de son but sacré, ne suivit plus l'impulsion que lui avaient donnée des hommes de bien, entre autres ce sage et vertueux citoyen que la garde nationale mettait avec orgueil, comme aujourd'hui encore, à la tête de ses courageuses cohortes. L'histoire, maintenant dé..

gagée de préjugés haineux, atteste les efforts qu'il fit pour que la cause de la liberté demeurât pure de tout excès coupable; mais seul, ou presque seul, pouvait-il, malgré ses intentions pures, résister au torrent populaire, constamment poussé hors de toute limite par de faux systèmes, par les déclamations passionnées d'hommes qui ont acquis une funeste célébrité? Puis vinrent d'autres hommes, dictateurs stupidement féroces, qui s'entourèrent de cadavres et de ruines, et osèrent, sous le plus effroyable despotisme, celui de la terreur, proclamer la liberté.

Mais la liberté telle qu'ils l'avaient faite était devenue méconnaissable. Ce nom, si cher aux ames généreuses, et qui ne devait effrayer que les tyrans, n'était prononcé qu'avec crainte et ne rappelait plus que des idées funèbres, la dévastation, la terreur et

la mort.

Ce fut avec cet effrayant cortége que se présenta long-temps à l'ame épouvantée le dogme souvent contesté de la souveraineté du peuple. Ce n'est pourtant qu'une vérité de fait, résultat de la simple comparaison des forces et des masses. Appliqué à une population sauvage, ne connaissant que le droit du sabre, et ne voulant rien autre chose que détruire, il est clair que ce principe peut avoir de grands dangers; mais les peuples de l'Europe, et en première ligne parmi eux les Français, sont trop civilisés et trop éclairés pour en faire craindre le retour.

Les journées dont nous allons rendre compte nous montrent assez quels progrès dans la civilisation avait faits ce peuple d'une grave ville, que nous croyions désintéressé dans les grandes questions qui s'agitaient devant lui depuis long-temps. Non, il n'était pas indifférent à ces discussions; il prenait note de ses droits et de ses libertés, tant de celles qu'il avait conquises que de celles qui lui avaient été rendues. Ces garanties de prospérité publique et de bonheur individuel lui étaient chères, et dans son repos il se préparait à la résistance si jamais on cherchait à les lui ravir. Il avait mis tout son ayenir dans les lois électorales, dans la liberté de la presse qui emporte l'obligation de l'éclairer sur ses droits et sur ses devoirs, dans la confiance qui s'attache aux lois votées par les trois pouvoirs de l'état, dans l'ordre légal, frein salutaire rongé par le pouvoir qui vient de crouler, et dont la chute va d'états en états retentir dans tous les pays de l'Europe.

La révolution de 1830 a été faite pour maintenir contre un pouvoir oppresseur ces garanties d'une sage indépendance, de la prospérité et du repos publics, que cherchaient depuis long-temps à détruire les incapables et criminels conseillers de la couronne. La plus ordinaire prudence indiquait d'abandonner ces mesures illégales et violentes qui n'auraient jamais dû venir d'un cœur français, et qui causaient une si vive exaspération. On a ignoré ou méconnu l'opinion publique ; on l'a méprisée ; en em

ployant la force, on n'a pas voulu voir qu'elle serait insuffisante s'il fallait lutter contre toute la France, s'il fallait que des Français fissent couler le sang de leurs concitoyens. En mettant des hommes d'honneur à une si cruelle épreuve, on n'a pas voulu prévoir que les armes tomberaient bientôt de leurs mains!

Il y a plus en sortant si violemment de l'ordre légal, en voulant, par la puissance des baïonnettes, reconquérir pour la royauté ce pouvoir absolu dont le prestige s'est depuis long-temps évanoui devant les lois constitutionnelles, et qui n'était plus qu'une abstraction sans force et sans réalité, on a même réduit à l'impossibilité d'agir le petit nombre de gens dévoués à un pouvoir dont ils se partageaient les faveurs. Qui donc aurait voulu se faire le champion d'une cause à jamais perdue, et par ses propres fautes, et par l'opinion, et par l'illégalité de ses actes, et par la violence coupable avec laquelle elle voulait suppléer à ce qui lui manquait de justice? On s'est en effet plus d'une fois demandé où étaient les ROYALISTES aux journées des 28 et 29 juillet 1830.

Ainsi, la double puissance du peuple, soit sous le rapport de l'opinion, soit sous le rapport de la supériorité physique, ne saurait être méconnue. Sa cause était juste: il combattait pour le maintien des lois et pour faire respecter un pacte juré à la face de l'Europe. Nous pouvons envisager son triomphe sans trouble, et en jouir avec lui.

Lorsqu'un peuple tout entier embrasse une opinion et résiste long-temps par la force morale qu'elle peut donner; quand il raisonne sa résistance qui s'accroît avec l'oppression; lorsqu'il verse son sang pour la défense de ses libertés; lorsqu'après la victoire il reste calme, généreux, respectant les droits de tous, comme il a su faire respecter les siens; qu'il ne se permet aucun excès, et que par une police improvisée dans son sein il punit sévèrement ceux qui en commettent; lorsqu'un peuple a des idées d'ordre et de justice, si profondément empreintes, on peut avec sécurité annoncer sa victoire.

L'Europe admire et s'étonne: elle proclame le peuple de Paris, le peuple français, le premier de tous dans les voies de la civilisation.

En effet, trois jours ont suffi pour changer les destinées de l'état; renverser un gouvernement qui pesait sur la France par un malheureux système suivi avec obstination, et par le mauvais choix de ses conseillers; préparer les voies à une sage liberté, et tout cela sans autre effusion de sang que celle qui était inévitable dans une légitime défense. Le peuple de 1830 égal, s'il n'est même supérieur en énergie, aux hommes de 1789, amis une espèce d'amourpropre et de point d'honneur à ne commettre aucun excès, voulant ainsi s'élever par ses sentimens, comme il s'élevait par son courage.

Légère et presque insouciante avant le danger; intrépide lorsqu'il a fallu repousser la force par la force;

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