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teau et un pistolet, plusieurs soldats s'écrièrent qu'il fallait le fusiller, et ils préparèrent leurs armes; l'officier intervint, et arracha cet infortuné des mains de ces furieux; on le conduisit au corps-de-garde où déjà plus de cent personnes étaient arrêtées, et il n'était pas quatre heures.

Enfin, vers le soir, ayant appris que les 5°, 15° et 50 de ligne s'étaient réunis au peuple, et que leurs camarades avaient été défaits complètement dans la rue de Richelieu, près le Théâtre-Français, ils prirent la résolution de forcer plusieurs maisons de la place, et d'en occuper militairement tous les étages.

Telle fut la journée du mercredi, déjà décisive pour le peuple qui était resté maître de tous les points, hors quelques-uns; elle lui avait révélé sa puissance, fier de ses succès contre des troupes aguerries, et qui n'accomplirent que trop bien le funeste, l'odieux devoir qu'on leur avait imposé. Les positions qu'il se proposait d'attaquer le lendemain l'inquiétaient peu, il n'y voyait pas plus de difficulté qu'à la prise de l'Hôtel-de-Ville, de la caserne Babylone et de quelques autres points importans, où la résistance des troupes avait été terrible, acharnée, mais cependant où la garde nationale et les citoyens avaient triomphé.

Rien ne pouvait plus arrêter toute une population qui marchait à la conquête de son indépendance.

Les barricades furent fortifiées et achevées sur

tous les points; elles étaient tellement multipliées qu'on en voyait à chaque débouché de rue, et quelquefois trois ou quatre dans une seule pour peu qu'elle se prolongeât.

De nouveaux pavés et des projectiles de toute espèce étaient disposés dans les maisons, les succès de la journée avaient fourni des armes ; la garde nationale était déjà beaucoup plus nombreuse et mieux régularisée : toute la population était déterminée à la plus opiniâtre défense: Paris est devenu imprenable; on n'entend plus que des cris de guerre dans les rues, une défiance bien naturelle a organisé dans chaque maison une défense particulière ; toute la nuit le silence est interrompu par des coups de feu; ceux qui ont combattu, harassés, épuisés de fatigue, sont bientôt ensevelis dans un profond sommeil, aux autres une angoisse inexprimable serre le cœur et ne permet ni repos ni sommeil.

Résignés à tout, ceux qui n'avaient pas eu connaissance des avantages remportés par le peuple attendent le lendemain à peu près dans la même disposition qu'un condamné qui est à la veille du jour fatal.

La défaite se présentait avec des circonstances qu'on n'envisageait qu'avec terreur; car on avait répandu le bruft vrai ou faux que Charles X, outré de la résistance et de la révolte de Paris, avait promis le pillage au soldat.

D'un autre côté, la victoire du peuple et ses

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suites ne paraissaient pas offrir aux bourgeois, aux banquiers, aux riches marchands, beaucoup de motifs de sécurité; ceux auprès desquels on avait calomnié le peuple appréhendaient que vainqueur et armé, il ne voulût prendre lui-même la récompense qui paraissait due à son courageux dévouement.

Nous voici maintenant arrivés à une journée qui sera long-temps célèbre par le résultat prodigieux qu'eurent les efforts de tout un peuple qui croissait en énergie, en indignation, en courage, à mesure que les circonstances, les obstacles et les dangers grandissaient devant lui. Un soleil aussi brillant que la veille, un air de feu, la nécessité de vaincre ou d'être exposé à des proscriptions dont on ne peut avoir l'idée, à moins de connaître les mesures qui étaient prises pour anéantir à jamais le parti qui voulait l'indépendance; la honte d'être vaincus après avoir remporté la veille un avantage si marqué sur presque tous les points; le désir de consommer une juste vengeance contre des soldats bourreaux, qui, n'étant pas Français, n'avaient pas une larme pour leurs victimes; enfin la liberté qui était à peu près reconquise; que de motifs de ressaisir de nouveau les armes ! Aussi dès le matin de bonne heure, toute la population était sur pied, et déjà l'on songeait à attaquer les points et les positions qui restaient en

core aux troupes royales, c'est-à-dire le Louvre, les Tuileries, une grande partie de la rue Saint-Honoré, le Palais-Royal et quelques lieux circonvoisins.

La ville avait été le matin même, par une ordonnance de Charles X, déclarée en état de siége; les opérations en furent confiées au maréchal Marmont, qui se trouvait alors plus spécialement chargé que la veille de prendre toutes les mesures nécessaires pour sauver la monarchie, si toutefois elle pouvait encore être sauvée ; mais déjà il était bien tard, et le pavillon des Tuileries, qui était sans drapeau, ne devait pas tarder à montrer dans les airs les brillantes couleurs de celui de la nation.

Paris avait été déclaré en état de siége; mais depuis deux jours il se préparait à tout, et n'avait pas attendu cette vaine et faible menace, cette fanfaronnade nouvelle, et presque les derniers adieux d'infâmes conseillers, suppôts d'un pouvoir désormais détesté, et qui sans doute méditaient déjà la fuite, leur seule ressource et leur seul espoir de salut.

Paris offrait un aspect tout militaire ; la disposition des esprits répondait aux apparences extérieures ; tous les citoyens étaient déterminés à poursuivre l'œuvre de libération qu'ils avaient commencée la veille avec un succès long-temps contesté, mais enfin à peu près définitif, et maintenant la ville était véritablement imprenable.

Quant au maréchal, sa position était de plus en plus délicate; chargé de prendre des mesures en

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core plus sévères pour répondre aux désirs de l'ordonnance qui annonçait le siége de Paris, il était en exécration à la ville, et déjà suspect à la cour à cause du triste résultat qu'avaient eu les opérations dont on lui avait donné la conduite. Le duc d'Angoulême dans la soirée même s'emporta avec violence, lui dit qu'il était un traître, et essaya de briser son épée. Pour cette fois on avait tort; on ne lui rendait pas justice, il avait accompli sa cruelle mission avec toute la sévérité possible, ses ordres n'avaient été que trop bien exécutés, la preuve en était dans le sang qui ruisselait dans Paris, dans les cadavres que l'on ne comptait plus depuis vingt-quatre heures et qui encombraient les rues et les quais, et dont une affreuse nécessité avait fait faire des barricades dans quelques endroits.

Avait-il rempli le devoir d'un citoyen, d'un militaire français, dans l'exécution dont il avait répondu, et dont il aurait pu ne pas se charger?... nous l'ignorons; mais ce qui n'est douteux pour personne, c'est qu'il avait fait l'office de bourreau de ses concitoyens et de ses anciens frères d'armes dont la plupart se trouvaient dans les rangs opposés.

Aussi les Parisiens le cherchaient avec une impatience et une activité infatigables; on avait soif de son sang et l'on désirait si ardemment la mort de cet homme devenu odieux, que trois fois le bruit courut qu'on lui avait brûlé la cervelle à la tête de son état-major.

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