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déjà excessive, la gloire de vaincre, la honte et le malheur de succomber.

Mais ce qui contribua puissamment à soulever encore le faubourg Saint-Marceau mérite d'être rapporté.

Un vieillard logé avec sa famille à un entresol, s'apercevant que la fenêtre et la jalousie ne sont pas bien fermées, et que si ce point de son quartier redevenait encore le théâtre du combat, comme déjà la chose avait eu lieu, il serait exposé; croyant pour le moment n'avoir rien à craindre, essaie d'entr'ouvrir, puis ne voyant personne ouvre tout-à-fait et examine ce qui s'oppose à la fermeture exacte de son volet. Il est aperçu par un gendarme qui presqu'à bout portant lui fait sauter la cervelle... On juge des cris et du désespoir de sa famille. Le scélérat s'était retiré après cette épouvantable exécution... Des cris de vengeance retentissent partout; alors quatre hommes formant à la hâte un brancard avec un drap et quatre ais ajustés ensemble, transportent le cadavre de cet infortuné vieillard dans le faubourg Saint-Marceau et dans d'autres lieux avoisinans; ils racontent les crimes exécrables des suppôts d'un pouvoir qui ne semble plus compter que sur la terreur qu'il veut inspirer... Quelle plus éloquente harangue que la vue de ce malheureux vieillard, subitement arraché à la vie, qui déjà s'éteignait par degrés dans son corps glacé! Une horrible blessure met à découvert les organes naguère de la pensée

et de l'intelligence; ces cheveux blancs, qui devaient inspirer quelque pitié, sinon du respect, horriblement souillés par un sang déjà noir et coagulé. Vengeance! aux armes! voilà les cris qui retentissent de toutes parts; la population nombreuse de ces quartiers se soulève en masse, des cris de rage, de fụreur, de désespoir se font entendre, le cortége grossit dans sa marche. Bientôt la colonne ayant à sa tête M. Maës,brasseur,et Lallemand, relieur, vient fondre sur la Salpêtrière; le poste qui la garde est bientôt massacré en partie, le reste ne trouve de salut que dans la fuite.

De là ils arrivent à l'Odéon; sur cette place ils se comptent, ils se reconnaissent, ils se rallient, ils se dirigent vers ce Panthéon, autrefois si fameux par son inscription1 et le dépôt de cendres illustres. Quelques citoyens, venus d'un autre point, voulaient absolument ouvrir la prison militaire de Montaigu ; mais l'énergie et la présence d'esprit des deux chefs qui commandaient la colonne partie du faubourg Saint-Marceau y mirent obstacle, et l'ordre public n'a pas eu à déplorer la mise en liberté de malfaiteurs qui par leur coopération ne pouvaient que souiller la cause de la liberté.

Cinquante hommes furent préposés à la garde de cette prison concurremment avec la compagnie de la

(1) Cette inscription était, comme on sait, aux Grands Hommes la Patrie reconnaissante ; elle vient d'être rétablie par les soins de M. Lebas, professeur au collège Saint-Louis.

garde sédentaire, qui s'était rendue de suite, et annoncèrent l'intention de faire cause commune avec le peuple.

Le reste se transporta d'un accord unanime à la caserne de Babylone, occupée par les Suisses, après s'être ralliés sur la place de l'Odéon.

Mais avant d'arriver à la caserne l'un des chefs dont nous avons parlé, M. Maës, fit faire halte au coin de la rue de Belle-Chasse, et envoya plusieurs éclaireurs dans la rue de Grenelle et dans les rues environnantes, pour s'assurer s'il n'y avait point de troupes dans le voisinage: il plaça en même temps des sentinelles sur différens points, pour donner l'alarme en cas de besoin.

Alors il députe vers les officiers un élève de l'école polytechnique pour parlementer et les engager à se rendre; mais ils répondirent qu'ils étaient prêts à combattre jusqu'à la mort.

Alors l'attaque commença, elle fut très vive, très meurtrière : l'avantage resta en définitive aux citoyens, qui déployèrent dans cette circonstance un courage inoui; pourtant le chef des assaillans réussit à sauver du massacre plusieurs Suisses qui s'échappèrent de leur caserne, sans armes et presque sans vêtemens : il en confia la garde aux habitans du faubourg Saint-Marceau.

On s'empare de la caserne; sans l'activité des sapeurs-pompiers, qui furent prévenus à temps, le fruit

de la victoire n'eût été qu'un monceau de cendres. Parmi les personnes qui se sont particulièrement distinguées à cette attaque, nous citerons M. Brongniard, élève de l'école polytechnique; M. Courceil, maréchal-des-logis de l'ex-garde; SainteMarie, médecin ; Cuvillon, chirurgien ; Guillot, élève en médecine; Carron, docteur médecin ; Bergeon, élève interne à Bicêtre; Adolphe Laugier, Perrier, ex-sous-officiers; Duruy jeune, Duruy aîné, Lagache, Henry de Place, Coispellier, Pèbre, Faure, Alexandre, sous-officiers; Gourlet, ex-sousofficier des chasseurs de la garde; Duval, élève en médecine; Duval-Duval, au Jardin des Plantes; Dalbret, jardinier au Jardin des Plantes, Armand jeune, mégissier; Gournet, docteur en médecine; Dorsac, Verner, Sauron, Parent, qu'on dit être neveu de M. le général Gérard; il mérite une mention particulière; c'est lui qui voyant succomber d'un coup de feu un citoyen portant le drapeau tricolore, qui allait tomber avec son défenseur, le releva et se tint avec lui au milieu du feu le plus vif; c'est lui qui a tué un brigadier commandant des gardes-du-corps qui sans doute avait déjà fait plusieurs victimes; enfin, c'est le même Parent qui le premier a planté son drapeau sur les tours de SaintSulpice; il s'est trouvé à toutes les affaires de cette journée, a partout déployé un courage et une présence d'esprit admirables, et a reçu en récompense la croix de la légion-d'honneur.

Tous ont rivalisé de zèle, d'intrépidité, de dévouement; l'ardeur et l'enthousiasme étaient au comble. On dit même qu'on a reconnu des femmes déguisées en hommes combattant avec un acharnement incroyable et ne trahissant le secret de leur sexe et de leur incognito que lorsque, épuisées de fatigue, elles tombaient sur un banc ou sur les marches de quelque édifice public.

D'autres excitaient l'ardeur des combattans, trop faibles pour combattre elles-mêmes, et distribuaient le signe de ralliement que chaque citoyen s'est fait un devoir et un honneur de porter. De ce nombre était Me Maria Froger, qui, la première, sur la place de la Bourse, au milieu des premiers combats dont cette place fut le théâtre, distribuait des cocardes tricolores aux braves citoyens.

On assure que lors de l'attaque de la caserne de Babylone dont nous venons de rendre compte, le peuple fut obligé de s'emparer de plusieurs maisons, entre autres de celle située rue des Brodeurs, no 2, dont le jardin n'est séparé de la caserne que par un mur d'appui. Effrayés par l'approche de l'attaque, les habitans s'enfuirent laissant les meubles et un service de vermeil sur les tables; au retour, ils furent agréablement surpris de retrouver l'argenterie et d'autres effets précieux qu'ils n'avaient pas eu le temps d'emporter.

Plusieurs jeunes créoles des îles de France, Bourbon et Martinique, se sont fait remarquer dans cette

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