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certitude augmente la crainte; l'affluence croît toujours; les magasins, les boutiques se ferment; le jardin comme de coutume. L'heure avancée de la nuit peut seule disperser cette foule de citoyens inquiets qui s'écoule lentement, et dont chacun va répandre dans sa famille les alarmes qu'il vient de concevoir.

Dès le mardi matin, le préfet de police, voulant intimider les esprits par une prompte exécution de ses menaces, peu confiant dans l'obéissance des imprimeurs et des personnes qui donnent à lire les journaux, se doutant bien que les uns imprimeraient, et que les autres présenteraient à l'avidité des lecteurs les feuilles proscrites, déjà même, pour quelques-unes. en ayant la certitude par les rapports de ses émissaires, il fait pratiquer par ses agens la saisie des presses rebelles et celle des feuilles séditieuses dans les cabinets de lecture et partout où elles paraîtraient.

Quelques-unes avaient été imprimées avec peine et clandestinement; d'autres paraissent mutilées par la censure. La défense augmente le désir: on se les dispute dans les cafés, dans les cabinets de lecture; quelques militaires veulent aider dans leur office les agens de M. Mangin, qui avaient été maltraités : ils ne sont pas plus heureux.

La saisie des presses, accompagnée de circonstances fâcheuses et de la résistance des imprimeurs, dégénéra en une véritable violation de domicile et

de propriété avec effraction. Le secours des serruriers parut indispensable à la police; les serruriers refusèrent de participer à une odieuse persécution. Alors on eut recours à l'homme dont la fonction pénible, mais nécessaire, est de river les fers des forçats. Les commissaires de police sentirent pour la plupart combien leur mission était injuste et désagréable; ils adoucirent par des formes polies la rigueur de leurs ordres : ils n'obéissaient qu'à regret.

On sent tout ce que des scènes de ce genre, dans chaque quartier, devaient ajouter à l'agitation générale. Il n'a pas tenu à M. Mangin qu'elle ne fût encore plus grande. Dans cette même matinée, déjà féconde en événemens, plus de soixante députés, connus par l'énergie de leur caractère, devaient être arrêtés, ainsi que plusieurs pairs de France et d'autres individus. M. Mangin avait fait venir M. Foucault, colonel de gendarmerie, et lui avait dit qu'il fallait se transporter à leur domicile et les enlever. Mais sachant bien que M. Mangin n'oserait pas prendre su lui une telle responsabilité, il exigea un ordre exprès et formel signé de lui : M. Mangin refusa, et il n'en fut plus question.

Au nombre des précautions qui furent prises pour assurer le triomphe de l'absolutisme, dont aucun des agens du gouvernement ne paraissait douter, nous rapporterons ce qui a été pratiqué à l'égard du corps si utile et si dévoué des sapeurs-pompiers. Leur

mission est bien distincte de celle des autres troupes: leur devoir est d'éteindre les flammes qui dévorent les habitations des citoyens, de protéger leurs propriétés. S'exposant avec sang-froid aux plus grands dangers, bravant et subissant quelquefois une mort sans gloire, aimés et estimés de leurs concitoyens, comment avait-on eu l'idée d'en faire des instrumens de vengeance! Il faut croire qu'on n'était pas bien sûr de leurs dispositions à cet égard, puisque, dès le jour dont nous racontons les événemens, ils furent envoyés, sous prétexte de leur service spécial, à l'état-major du corps: on les fit passer dans la cour de la préfecture où ils furent mêlés avec les gendarmes qui devaient les surveiller; là ils reçurent l'ordre positif de faire feu sur le peuple. La plus vive indignation, qu'ils ne craignirent pas de manifester, accueillit cette consigne barbare. Très maltraités par leurs chefs qui paraissaient tout dévoués à la police, malgré leurs menaces ils n'en saisirent pas moins la première occasion qui se présenta de fournir à leurs braves citoyens des moyens de défense, et de livrer leurs armes au lieu de s'en servir contre

eux.

Pour prix de leur résistance à des ordres cruels, pour prix de leurs services et de leur dévouement connu à leurs frères, à leurs concitoyens, ils ne demandent qu'une chose, c'est que les chefs qui leur seront donnés veuillent bien les traiter avec moins de rigueur, et que désormais ils ne soient plus mis à la

disposition des agens subalternes de la police. Sachant que nous nous disposions à écrire les événemens du jour, ils nous ont adressé de nombreuses réclȧmations: pourquoi aurions-nous refusé de leur servir d'interprètes, si notre voix peut leur faire rendre la jnstice qui leur est due et qu'ils ont ardemment sollicitée? Quel que soit le sort réservé par le public à notre travail, nous nous estimerons heureux ́si en quelque chose du moins il peut être utile à ce corps précieux pour la capitale et justement estimé.

Le bruit s'était répandu que le Palais-Royal avait été le théâtre de quelques scènes de tumulte: aussi dès le matin une quantité considérable de curieux s'y porta. On voulait voir ce qu'on avait à craindre; on voulait s'informer sur les lieux mêmes ; et la foule des gens inquiets ne s'apercevait pas que c'était elle-même qui, par son invincible désir de connaître, augmentait le tumulte et l'inquiétude.

Des gendarmes se présentent, et sont fort mal accueillis. Ils comprennent facilement que leurs efforts seront inutiles au milieu de cette affluence: on leur donne l'ordre de faire évacuer le jardin ; on ferme les grilles; la multitude reflue dans les galeries et dans les rues latérales et jusque dans la rue Neuve-desPetits-Champs et sur la place du Palais-Royal.

On assure que M. le duc d'Orléans alors à Neuilly, qui ne pouvait pas rester étranger aux scènes qui avaient lieu dans son palais, donna l'ordre vers deux heures environ d'inviter les gendarmes à en sortir. Cet

excellent prince redoutait leur emportement, et ne voulait pas que sa demeure fût ensanglantée par leurs

excès.

Ce fut M. Dumey, ancien officier de la garde impériale, attaché au service du prince, qui fut chargé de cet ordre. Plus d'une fois dans le cours de ces scènes affligeantes il eut le bonheur, par sa généreuse médiation et par la fermeté de son caractère, d'arrêter l'effusion du sang.

A cette foule craintive et tumultueuse et jusque là inoffensive se joignit bientôt une grande partie de la population des faubourgs qui s'émeut d'ordinaire à l'approche des grands événemens. Elle était composée de tous les ouvriers sans ouvrage par suite de la fermeture générale des ateliers, et des imprimeries frappées d'interdiction: ceci peut donner une idée de l'immense et tumultueuse réunion qui encombrait tout ce quartier.

Sur la place même du Palais-Royal et en face d'un établissement qu'on appelle le café de la Régence, était une maison presque démolie pour faire place aux travaux du prolongement de la galerie de Nemours. Sur les décombres se réfugient quelques individus pour se dégager de la foule qui les presse, et pour éviter d'être foulés aux pieds par les chevaux et les gendarmes : déjà plusieurs détachemens de la garde royale et de la gendarmerie se promenaient dans les rues Saint-Honoré et sur la place du Pa- · lais-Royal, qu'elles cherchaient à faire évacuer. On

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