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n'en sortit que lors de l'attaque des Tuileries: on n'avait pu procéder régulièrement à l'exécution de la sentence, on tâcha d'y suppléer. Les Suisses eurent la cruauté d'exposer ce malheureux jeune homme sans armes et qui n'avait pris aucune nourriture depuis trois jours au feu des deux partis. Il se réfugia au milieu d'une grêle de balles et de dangers de toute espèce dans un groupe de tirailleurs : il eut le bonheur de ne pas être atteint. Promis à une mort certaine, en proie aux tourmens de la faim, il échappe comme par miracle au double feu des combattans et rentre sain et sauf dans sa famille qui déjà pleurait

sa mort.

Dans le faubourg Poissonnière, le capitaine Flandin, à la tête de deux cents hommes, dont peut-être il n'y avait pas vingt qui fussent armés, attaqua la caserne de la Jeune-France, fit mettre bas les armes à cent quarante soldats du 50° de ligne qui la gardaient, et s'empara de ce poste important, où on a trouvé de précieuses ressources pour la défense. Cette attaque, conduite avec vigueur, fut une des actions remarquables de cette soirée.

La place de la Bourse était aussi en ce moment devenue un champ de bataille: les citoyens, plusieurs fois repoussés par les décharges de la gendarmerie, finissent par s'emparer du corps de garde. Ils avaient beaucoup souffert de leur feu meurtrier; ils avaient réduit à la retraite ce qui restait de gendarmes. Dans l'ivresse du succès contre une troupe

désormais odieuse, on mit le feu à ce corps de garde.

Il serait difficile de peindre l'effroi, l'alarme de tout le voisinage: la lueur rougeâtre de l'incendie colorait au loin les toits et les cheminées des maisons. Comme la peur grossit tout, la plupart s'imaginèrent que la moitié du quartier était enflammée ; les plus raisonnables disaient que l'incendie dévorait le théâtre des Nouveautés; d'autres assuraient que c'était une aile de la Bibliothèque nationale. Cependant les pompiers s'y transportent, mais leurs efforts sont inutiles pour conserver un édifice déjà à moitié consumé: à une heure du matin il n'en restait plus rien.

Cependant les habitans du quartier du PalaisRoyal et de la Bourse, s'attendant toujours à quelque nouveau malheur de ce genre, passent une grande partie de la nuit, soit aux fenêtres, soit devant leurs maisons, dans une frayeur continuelle.

Le général Dubourg donnait aux citoyens alarmés le conseil salutaire d'empêcher par des barricades que les rues ne devinssent le théâtre de cette guerre de partisans: « Il faut, leur dit-il, dépaver les rues, jeter des pavés de distance en distance, en construire des éminences qui empêchent le passage des troupes.» Ce conseil est unanimement adopté : bientôt il se répand de proche en proche; les lanternes disparaissent ou sont brisées ; on commence le dépavement des rues et les barricades; quatre ou cinq mille citoyens à peu près sont armés; la nuit se passe

en grande partie dans des préparatifs de tout genre, on entend encore de loin en loin quelques coups de feu; le bruit cesse, le silence le plus parfait finit par s'établir, et pendant quelques heures les citoyens essaient de se livrer au sommeil.

La journée du mercredi s'annonça par des dispositions plus menaçantes encore que la veille, et sous des auspices bien défavorables à la cause de Charles X: l'acharnement des troupes auxquelles il avait remis le soin de donner une leçon au peuple de Paris, suivant l'expression de M. de Peyronnet, avait dû comprendre l'indispensable nécessité d'une défense vigoureuse et générale sur tous les points à la fois. Les armuriers de Paris consommèrent en entier dans cette matinée le sacrifice de leurs armes pour la sûreté publique. Déjà plusieurs postes avaient été enlevés avec plus ou moins de résistance, dans l'unique but de s'emparer des armes. Les gérans et les imprimeurs des journaux avaient fait pendant la nuit les plus grands efforts pour se dérober à l'investigation d'une police qui n'était pas encore découragée, et plusieurs feuilles parurent le matin : distribuées par les colporteurs, elles contenaient toutes l'expression du plus ardent patriotisme, l'indignation la plus véhémente contre les excès d'une soldatesque gorgée d'or et de vin, et qui avait déjà fait tant de victimes, et les plus pressantes invitations (superflues d'ailleurs au point où en étaient les choses) à s'armer, à combattre vaillamment pour la cause de la

liberté contre un pouvoir sanguinaire, qui désormais avait brisé tous les liens qui l'attachaient à la nation.

La haine violente, la guerre à mort qu'on lui avait déclarées se manifestèrent par quelques scènes qui mirent la terreur dans l'ame de quelques paisibles habitans. Dans cette même matinée en effet, on acheva de détruire tous les réverbères qui la veille avaient été épargnés ou n'avaient pu être brisés; mais de plus on arracha, on brisa en pièces, on foula aux pieds les insignes de la royauté qui décoraient plusieurs magasins et les boutiques de quelques fournisseurs de la cour: tout disparut en quelques instans. On prévenait même les désirs du peuple à cet égard: soit précaution, soit empressement, on n'attendait pas qu'il exigeât ou consommât lui-même ce sacrifice; les notaires, les huissiers et les fonctionnaires publics firent disparaître en toute hâte les panonceaux qui brillaient au-dessus de leurs portes. Plusieurs de ces enseignes furent pendues aux cordes désormais privées de leurs réverbères; des feux furent allumés dans plusieurs endroits, et furent long-temps alimentés les attributs d'une royauté qui était déjà détruite, alors que la haine qu'elle excitait s'était annoncée par d'aussi violens symptômes. Il y parut bien par la suite, lorsque vaincu il voulut faire entendre des paroles de paix qui furent méconnues: une autorité vaincue, humiliée et peut-être avilie pouvait-elle en effet dicter des con

par

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ditions? Son nom était désormais sans valeur et n'était plus prononcé qu'avec l'indignation si juste qui s'attachait aux perfides et criminels conseillers de la

Couronne.

Une grande partie des attroupemens de la veille étaient déjà reformés ; quelques-uns même paraissaient avoir duré toute la nuit et s'augmentaient d'une manière considérable, à la faveur d'un soleil brillant qui promettait une température élevée: en effet le thermomètre de Réaumur monta à près de 28 degrés. Les places publiques qui n'étaient pas occupées par les troupes l'étaient par de nombreux rassemblemens, où l'on discutait avec la plus grande vivacité les questions politiques qui se rattachaient à l'intérêt du moment. Déjà on formait le projet d'une nouvelle forme de gouvernement en harmonie avec les besoins de l'époque, si l'on était assez heureux pour l'emporter sur les satellites du pouvoir et reconquérir la liberté. Les citoyens, presque abandonnés à eux-mêmes (ils le croyaient du moins alors), étaient obligés de s'occuper des affaires de l'état et de se choisir des chefs: aussi dès le matin ils avaient nommé par une acclamation unanime le général Dubourg qui la veille avait déjà dirigé quelques-unes de leurs opérations, leur avait donné d'excellens conseils, et qui malgré la sollicitation d'une quantité considérable de personnes des quartiers du Palais-Royal, de la Chaussée-d'Antin et de toute cette partie de la ville, n'avait pas encore voulu

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