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contre eux, ce serait un crime sans doute que de chercher à refroidir votre ardeur guerrière, et vous empêcher de remplir un devoir sacré. Bien loin de là, vous me verriez alors dans vos rangs, heureux et fier de me trouver au milieu de militaires français. Mais contre qui vous mène-t-on ? ces tubes homicides et ces fers que je vois étinceler de toutes parts, contre qui sont-ils dirigés? contre vos compatriotes, vos concitoyens, vos frères; et qui vous dit qu'au moment où l'ordre fatal sortira de la bouche de vos officiers, le plomb mortel parti de vos armes n'ira pas atteindre le cœur d'un ami, d'un parent, d'un père peut-être? Soldats, vous consoleriez-vous jamais d'un pareil malheur? ne détesteriez-vous pas le jour affreux où on vous aurait faits les assassins de vos familles et les bourreaux de vos concitoyens? Non, soldats, non, vous ne voudrez point commettre de pareils attentats, la discipline militaire cesse là où commence le crime, et en vous donnant des ordres barbares, on vous donne en même temps et par-là même le droit de ne pas les exécuter. On parle d'obéissance passive, eh bien! soldats, faites feu s'il le faut, pour obéir à la discipline, mais tirez en l'air: vous n'aurez ainsi ni crime ni malheur à vous reprocher et vous aurez bien mérité de la patrie. »

Alors quelques soldats, plus près de l'orateur, se mettent à crier qu'ils ne tireront pas sur le peuple, qu'on peut compter sur eux, et qu'ils ne sont pas des assassins; et bientôt tous répètent par acclama

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tion: «Non, nous ne tirerons pas.» Effectivement ces braves gens se sont souvenus de leur parole, et chaque fois qu'on leur a commandé de faire feu, ils ont constamment tiré en l'air, jusqu'au moment où ils ont pu fraterniser avec les troupes nationales.

Le combat était devenu général sur la place des Victoires et à toutes les issues; mais elle fut bientôt évacuée par les troupes royales complètement repoussées sur tous les points.

C'est sur cette même place que, le matin, avait eu lieu une scène qui avait fait une profonde impression de terreur: un homme d'une taille et d'une force herculéennes, boulanger, dit-on, portait depuis la rue Saint-Honoré le cadavre d'une malheureuse femme qui venait d'être percée d'une balle; il dépose son funeste fardeau auprès du piédestal de la statue, et là, avec cette éloquence de la douleur et de la rage pleine d'un pathétique qui fait vibrer toutes les ames, il appelle toutes les vengeances de ses concitoyens contre les hommes capables de pareils attentats; puis, reprenant le corps, il se dirige vers le poste de la Banque, gardé par la troupe de ligne: «Tenez, dit-il, en jetant le cadavre dans leurs rangs, voilà comme vos camarades arrangent nos femmes: en ferez-vous autant, soldats, et suivrez-vous un aussi horrible exemple? Non, s'écrient-ils, non, nous ne tirerons pas sur vous nous le jurons; mais venez donc à nous avec des armes. Quelques momens après, les fusils étaient

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enlevés, et le poste gardé par les citoyens; et nous devons ajouter, à la louange de ces braves et honnêtes gens, que cette attaque et cette invasion du poste de la Banque n'eut aucun résultat fâcheux, ni pour l'ordre public, ni pour la conservation des sommes énormes qui s'y trouvaient, car on n'a même pas cherché à pénétrer dans l'intérieur de l'édifice,

Aussitôt que les soldats-citoyens étaient maîtres d'un champ de bataille, ils se portaient immédiatement sur d'autres points où leur présence pouvait être nécessaire, et entre autres vers l'Hôtel-de-Ville, point principal de l'attaque et de la défense, où comme nous l'avons dit, déjà commandait depuis le matin le général Dubourg, qu'il faut bien se garder, pour toutes sortes de raisons, de confondre avec un général nommé Dufour; car ce serait mal reconnaître le noble et courageux dévouement dont il a fait preuve dans cette révolution dont l'explosion subite a glacé plus d'un courage d'ailleurs éprouvé. Si nous sommes bien informés, cet officier nommé Dufour, dont nous ne voulons pas caractériser la conduite, parce que notre ouvrage n'est point un libelle, paraîtrait avoir nécessité l'emploi de mesures rigoureuses contre lui: nous n'en dirons pas davantage, pour faire concevoir que toute confusion serait injuste et cruelle, et toute comparaison déraisonnable, et qu'enfin l'officier-général Dufour et le général Dubourg sont deux hommes tout-à-fait distincts et différens.

Ce dernier s'était le matin dirigé avec une troupe assez nombreuse vers la place de l'Hôtel-de-Ville, et s'était de suite composé un état-major qui fut, à vrai dire, le premier gouvernement provisoire, dans un moment où déjà toutes les autorités constituées ou craignaient de se montrer, ou étaient sans force et sans crédit pour s'opposer aux maux et aux désordres qui pouvaient naître d'une aussi terrible catastrophe. C'est de ce point central que partirent les premières instructions pour l'attaque, pour la défense et pour le maintien de l'ordre. Il avait compris qu'il ne suffisait pas de détruire, mais qu'il importait de protéger l'édifice social qu'une aussi grande commotion pouvait dissoudre, et c'est dans cet esprit qu'il publia une proclamation qui ne fut affichée que le lendemain et que nous rapporterons en son lieu.

Une section considérable se dirigea, d'après ses ordres, vers la rue Montmartre et le quartier des halles, où la perte était grande du côté des citoyens dont le courage ne pouvait pourtant pas, suppléer à l'extrême disproportion du nombre; ce renfort leur arriva fort à propos, et on finit par rester maître du champ de bataille. C'est là que Sébire (Céleste) planta le premier l'étendard national sur la fontaine des Innocens : ce brave et malheureux jeune homme eut les deux jambes fracassées.

C'est encore sur ce même point qu'on eut à redouter un autre genre de malheur qu'on ne sait

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encore à qui attribuer. Le feu prit par trois fois différentes à la halle aux draps: on dit que les derniers agens d'une police infâme avaient imaginé ce moyen pour frapper tout un quartier de stupeur et anéantir la défense sur ce point; mais s'il y a des scélérats, honte de l'humanité et fléau de leur pays, il y a aussi des hommes courageux qui sont aussi ardens pour le bien que les premiers pour le mal. C'est au zèle soutenu, c'est à l'ardeur infatigable de Duplessis, pharmacien, place des Innocens, qu'on doit la conservation peut-être de toute cette portion du quartier. Trois fois, par ses soins et ses secours bien entendus et appliqués à propos, il parvint à éteindre le commencement d'incendie qu'un génie infernal ralluma trois fois.

La troupe ainsi repoussée chercha à gagner les abords des boulevards et de la porte Saint-Denis, où elle se replia: alors commença sur ce point une suite non interrompue de décharges meurtrières. Nous pouvons assurer qu'en moins de cinq minutes nous avons vu tomber autour de nous plus de vingt personnes dans le faubourg Saint-Denis.

Le 3 régiment de la garde, placé à la porte SaintDenis même, était dans l'impossibilité d'opérer aucune retraite : exposés à un feu continuel et meurtrier qui partait de toutes les fenêtres, ceux qui tentaient de pénétrer dans la rue Saint-Denis rencontraient la mort.

C'est ici le lieu de parler du trait d'un enfant de

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