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conquêtes et des vues ambitieuses des Anglais. Cette nation, toujours avide, dans l'Inde, de la propriété d'autrui, depuis plus de vingt ans convoitoit l'île Salcette : elle appartenoit aux Marates; mais touchant presqu'à celle de Bombay, les Anglais la trouvèrent tout-à-fait à leur convenance. Voulant donc s'en emparer, de gré ou de force, ils saisirent l'occasion de favoriser les injustes prétentions du chef marate, Rouguatrao, dit Ragouba, pour lors en querelle avec sa famille.

Ce chef disgracié avoit été, à Ponnah, régent des provinces marates. Il fut chassé de sa capitale et de sa place, pour l'assassinat commis sous ses yeux et par son ordre, de NananRhao, fils de Nana. C'étoit son propre neveu, et l'héritier présomptif du gouvernement de Ponnah, dont Ragouba vouloit s'emparer pour le donner à son fils adoptif.

Mais pour démontrer combien les prétentions de Rouguatrao, dit Ragouba, étoient illégitimes, il est nécessaire de donner ici une idée du gouvernement marate.

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Ce gouvernement consiste dans un chefqu'on nomme roi, dont la dignité est héréditaire mais qui n'est en effet qu'un simulacre de royauté. Il est comme relégué à Satara, dans un palais où il vit mollement, sans se mêler des

affaires politiques, civiles ni militaires, qui se font cependant sous son nom; de sorte que sa puissance ressemble plutôt à celle d'un pontife qu'à celle d'un monarque, et le respect qu'on a pour lui, plutôt à une déférence religieuse qu'à une obéissance légale.

Le véritable pouvoir et la force de l'État sont entre les mains de douze seigneurs, qu'on nomme Barabayes, c'est-à-dire, les douze frères; ils ont chacun une partie de l'empire, où ils exercent une souveraineté héréditaire. Dans des circonstances communes à tous, et importantes pour la tranquillité de l'État, ils se rassemblent et forment un aréopage, dont celui qui a sous son département la capitale, est censé le chef.

Cette capitale des Marates se nomme Ponnah; elle est située au-delà des Gattes, à huit journées de Surate, quatre de Bombay, et vingtcinq ou environ de Pondichéry.

En 1760, Balagirao-Nana commandoit dans Ponnah, et son frère Rouguatraơ, dit Ragouba, étoit souverain d'un département près de Dhély. Ayant eu une guerre malheureuse avec le Mogol, il revint à Ponnah auprès de son frère, qui envoya à sa place Sadouba, son autre frère. Celui-ci continua ou renouvela la guerre contre le Mogol, fut aussi battu, et disparut. Depuis

cette époque, l'on n'en a eu aucune nouvelle.

Peu de temps après le retour de Ragouba', Balagirao-Nana mourut, et laissa deux fils trèsjeunes, qu'il recommanda à Ragouba son frère.

Madorao, l'aîné de ces deux princes; fut reconnu pechonard, c'est-à-dire, chef de Ponnah, sous la tutelle de Ragouba. Le neveu, en grandissant, s'aperçut que son oncle étendoit ses droits au-delà de ceux d'un tuteur. La prédilection trop marquée de Ragouba pour un fils adoptif, causa de l'ombrage au jeune souverain; l'oncle et le neveu se brouillèrent; on leva des troupes, et il y eut, dans Ponnah même, une action très-vive. Ragouba fut battu, pris et renfermé dans une étroite prison.

Ces troubles remplirent à-peu-près l'espace de dix ans, au bout desquels Madorao, quoique jeune, se sentant près de sa fin, fit sortir son oncle de prison, et lui recommanda NananRao, son frère, qui devoit lui succéder.

Il crut, par cette marque de confiance, avoir pourvu à la sûreté de son successeur; mais il se trompa. Ragouba, ne voyant qu'une tête entre le trône et lui, résolut de l'abattre ; il gagne un des principaux officiers de Nanan-Rao, qui, le trouvant un jour seul dans son appartement, lui demande insolemment ses gages: le jeune prince, surpris, appelle ses gardes : l'officier

lève le sabre; Nanan-Rao fuit dans la chambre de son oncle, qui habitoit le même palais. L'assassin le poursuit, et le perce aux pieds de Ragouba, dont il imploroit vainement la protection.

La veuve du jeune prince assassiné, se déclara enceinte. Cet événement empêcha Ragouba de prendre le titre de pechonard : il se contenta de celui de tuteur, et des trésors de son neveu, dont il s'étoit emparé. La princesse accoucha d'un fils, qui fut nominé NanaSavaye, et reconne honard dans Ponnah.

La princesse dou ..ce, veuve de BalagiraoNana, avoit conscé un grand ascendant dans l'aréopage. Conseillée par Nanapharnis, un des principaux Barabayes, et son proche parent, ellese conduisit très adroitement avec son beaufrère Ragouha: elle l'engagea à se charger d'une expédition contre des rebelles éloignés. Le tuteur s'y porta sans précaution; on le laissa manquer de tout; ses forces se minèrent insensiblement, et dépérirent au point qu'il n'osa revenir à Ponnah.

Cette division entre les Marates fit concevoir de grandes espérances aux Anglais, qui, depuis longtemps, cherchoient une occasion de s'emparer de plusieurs districts appartenant à ces peuples, et fort à leur bienséance,, entr'autres,

de l'ile Salcette. Elle est riche en pâturages, assez bien fortifiée, et très-propre à approvisionner et couvrir Bombay, dont elle n'est séparée que par un petit bras de mer.

Ragouba, éloigné de la capitale, cherchoit les moyens d'y rentrer : les Anglais ne desiroient qu'un prétexte d'envahir. Ils furent bientôt d'accord: les Anglais lui promirent des troupes pour reconquérir son royaume, et rentrer en vainqueur dans Ponnah ; et Ragouba s'engagea à leur donner la propriété des villes maritimes, appartenant aux Marates, et dont ils pourroient s'emparer; et enfin, pour faire illusion au peuple, on convint de répandre le bruit que Nana-Savaye, fils de la jeune princesse, étoit un enfant supposé, ou adultérin. En conséquence, Ragouba se déclara héritier du trône de son neveu défunt, et du titre de pechonard. En cette qualité, il offrit l'île Salcette aux Anglais.

L'offre de Ragouba favorisoit trop les vues ambitieuses des Anglais, pour qu'ils n'en profitassent pas. Ils embrassèrent avec chaleur le parti de ce chef marate, errant et dépouillé par 'ses propres sujets, pour crime de concussion et d'assassinat. Leur entreprise non mieux fondée sur Baroche, ville maure située à douze lieues au nord de Surate, et qui venoit de leur réussir, les encouragea: ils en avoient chassé

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