Page images
PDF
EPUB

servoit. Croiriez-vous que M. l'ambassadeur à été souvent obligé d'aller se coucher avec un petit bout de chandelle. Quelques capitaines étrangers, l'archevêque de Naxie et plusieurs, particuliers ont apporté des présens, et il a eu la constance de ne pas leur offrir un verre d'eau. Enfin, pressé par M. l'ambassadeur, il fit pré-, sent à l'archevêque et à son clergé, d'un pâté où il ne restoit qu'une carcasse de perdrix.

Digère qui voudra de semblables vilainies elles sont insoutenables dans les occasions où la gloire de la nation est intéressée; et je ne lui pardonnerai jamais de l'avoir déshonorée à la face de l'Asie et de l'Europe. Autre grief qui me tient fort au cœur; c'est l'acharnement avec lequel il a voulu, à quelque prix que ce fût, me régaler de sa traduction de la Matrone d'Éphèse. J'y ai cherché vainement les beautés de l'original; il ne les a point senties, uniquement tou◄ ché de la résolution que forme la veuve de se laisser mourir de faim. Dieu vous garde, M. le comte, des prétendus beaux esprits ! Je l'en supplie de tout mon cœur, et je ne crois pas pouvoir vous mieux faire connoître l'attachement avec lequel je suis, Monsieur,

Votre, etc.

JE

LETTRE I V.

Au même.

Constantinople, ce 4 septembre 1729.

Je n'ai garde de vous traiter en homme

E

frivole, quoique l'air de ce maudit pays-ci soit plus que capable de renverser les cerveaux les mieux timbrés. Croyez-moi, je n'ai oublié ni ce que vous valez, ni le cas que vous faites des bonnes choses en tout genre. Soit dit sans compliment, il n'est personne que j'eusse informé plus volontiers du succès de notre voyage. Mais mettez-vous un moment à ma place ; j'avois tout lieu d'appréhender que mes lettres ne fussent lues, et vous connoissez la délicatesse de la plupart des ministres. A couvert de ce côté

là par les précautions que vous avez prises, et sûr du secret, je vous expliquerai en détail l'état où se trouvent actuellement les affaires de notre mission. Commençons par les manuscrits grecs; ils méritent la préférence, et je la leur donnerai toujours, en dépit des Fontenelle et des Lamotte. Quel crêve-cœur pour MM. les antagonistes des anciens, si les Ménandre et autres écrivains de ce rang sortoient aujour

d'hui du tombeau ; et quelle satisfaction pour moi, si, en vous apprenant une semblable nouvelle, je pouvois porter la désolation dans les cafés!

"

Malheureusement la fortune n'a pas encore jugé à propos de seconder mes bonnes intentions; et, à vous parler vrai, je ne compte pas médiocrement sur l'avenir. Il m'est passé par les mains une quantité considérable de manuscrits et dans ce nombre, il ne s'en est pas rencon→ tré un seul de profane. Je n'en suis pas surpris: maintenant les Grecs, depuis plusieurs. siècles, n'estiment que sept ou huit auteurs ecclésiastiques; on les a conservés avec soin, et les monastères en sont farcis. Les autres, négligés, sont devenus la proie des flammes et des vers: ajoutez à cela que le prince de Valachie a fouillé tous les coins et recoins de la Grèce. Il est savant, curieux, et paie bien : concluons de-là que nous sommes venus un peu tard, et qu'il sera bien difficile de déterrer des morceaux d'une certaine importance: cependant, je vais toujours mon chemin; le hasard, en matière de recherches, produit souvent des choses auxquelles on ne doit pas naturellement s'attendre; ne vaut-il pas mieux compter un peu trop sur sa bonne fortune, que de man-; quer les occasions, faute de courage? le mien

s'est soutenu à merveille jusqu'à présent, et; malgré tant de raisons de douter, je me figure que deux ou trois manuscrits de la première classe seront enfin le fruit de mes travaux. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas laissé d'acquérir trente-six volumes grecs, qui roulent tous sur des matières ecclésiastiques. La plupart sont bons; mais il n'y a dans ce nombre que trèspeu de pièces nouvelles. M. Fourmont a été encore plus malheureux: il a parcouru plusieurs monastères de la Morée, et dans ces monastères, il n'a pas trouvé un seul morceau qui mérite d'entrer dans la bibliothèque du roi. En revanche, il a copié quelques centaines d'inscriptions qui n'ont point encore vu le jour, et il se promet de porter bien plus loin ses découvertes en ce genre: c'est toujours autant de gagné; mais, à vous parler franchement, un bon manuscrit seroit plus précieux et plus instructif. C'est un objet que je suis bien résolu de ne point perdre de vue; et dans l'impatience de réussir, j'ai engagé notre ambassadeur à écrire en différens endroits où il peut rester encore quelques vieux parchemins. La Crimée le croiriez-vous? est entrée en arrangemens, et bien m'en a pris. Du moins j'en attends à la fin de ce mois-ci un ou deux ballots, dont on m'annonce le prochain départ.

Personne, certainement, ne s'est avisé de chercher des livres dans un pays aussi barbare;

il

y en a cependant, et peut-être y découvrirons-nous des morceaux dignes de la curiosité du public. Je finirai l'article des manuscrits grecs, par , par le compte que vous me demandez de ceux du sérail. Il n'y a rien à espérer de ce côté-là; les incendies et la superstition des sultans ont tout détruit. C'est ce que j'appris de Fonseca, deux jours après mon arrivée; mais comme, dans les affaires d'une certaine importance, il n'est pas sage de s'en tenir au témoignage d'une personne seule, j'ai eu recours à des Turcs éclairés ; et il n'en est aucun parmi eux qui ne m'ait confirmé le rapport du docteur hébreu. De ce nombre est le précepteur des enfans du grand-seigneur, qui, par les priviléges attachés à son poste, doit avoir une connoissance plus particulière des livres qui se conservent dans le sérail : il y a véritablement une très-belle bibliothèque, mais tous les volumes qui la composent sont turcs, arabes et per

sans.

J'ai acheté d'excellens morceaux en ce genre; les romans n'ont pas été oubliés; vous me les avez recommandés, et vous jugez bien que les choses qui sont de votre goût ne sauroient manquer de me plaire infiniment. J'ai donc

« PreviousContinue »