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VOYAGE

DANS L'INTÉRIEUR

DE L'AFRIQUE.

ES

Les contrées de l'Afrique, situées au sud de la ligne équinoxiale, sont, sans contredit, la partie du monde la moins connue des Européens. Les anciens Romains, quoique poussés par une ambition sans bornes et un esprit de commerce toujours actif, n'osèrent passer certaines limites. Satisfait des conquêtes et des productions des provinces qui s'étendent sur les rives de la Méditerranée et de la mer Rouge, ce peuple paroît avoir considéré tout l'intérieur de cette partie du monde comme un désert ingrat et stérile, dont la possession ne pouvoit plus rien ajouter à sa gloire. C'est probablement par cette raison que les Romains ne tentèrent point la conquête de l'Afrique intérieure, et qu'ils l'abandonnèrent à son antique obscurité.

Les Arabes ont tenu la même conduite: leurs armes victorieuses et leurs connoissances ne paroissent point avoir franchi les limites que les premiers conquérans avoient fixées, et qui, du nord au sud, ne s'étendoient pas au-delà de six degrés. Au reste, à peine jusqu'au seizième siècle les plus savans géographes connurent-ils la moitié de cette partie du globe. Une grande partie de l'Afrique a été reconnue depuis ce temps, et il nous reste encore de grandes découvertes à

y

faire. L'industrie et le desir de connoître sont parvenus, jusqu'à certain point, à vaincre les obstacles qui avoient arrêté l'ambition des conquérans en Afrique. L'amour du gain, qui a fait traverser aux Européens des mers immenses, pour chercher des pays éloignés et souvent imaginaires, a borné ses opérations, dans cette partie du globe, à une portion de la côte, et une petite étendue des terres limitrophes. La poudre d'or, que les eaux entraînent des montagnes, l'ivoire, et surtout la traite des noirs, engagent les marins à visiter souvent les plages africaines; mais jusqu'ici leur curiosité ou leur avarice n'ont pas été assez puissantes pour leur faire tenter de pénétrer dans l'intérieur d'un pays dont les richesses étoient aussi douteuses que les fatigues et les dangers inévitables d'une pareille entreprise paroissoient cer

tains. Les parties intérieures de l'Afrique ne peuvent donc point être évaluées, par la seule raison qu'elles sont encore inconnues.

Mais si l'ambition n'a point porté les conquérans du monde à étendre leur empire à travers les déserts arides de l'Afrique; si le négociant avide ne s'est pas empressé de pénétrer dans un pays dont l'aspect extérieur promet si peu, et qui ne paroît habité que par des bêtes féroces ou des reptiles venimeux, il existe une espèce d'hommes pour lesquels cette même contrée, toute effrayante qu'elle paroît, devient un objet d'ambition et de jouissances. C'est en Afrique que s'ouvre, pour l'amateur de l'histoire naturelle, un vaste champ de recherches, et un domaine inépuisable pour sa noble curiosité. Chaque objet se présente à lui sous l'aspect .primitif de la nature; il trouvera chez les Hottentots barbares, des vertus qu'il cherchera peut-être en vain chez les nations civilisées.

Rempli de ces idées, et excité par le desir d'observer, avec une attention particulière, un pays dont les productions sont si peu connues, j'ai quitté l'Angleterre dans l'intention de satisfaire ma curiosité; motif au moins très-innocent, s'il ne mérité pas des éloges.

J'arrivai au cap de Bonne-Espérance au milieu de mai, Comme la mauvaise saison étoit

déjà trop avancée pour que le vaisseau pût entrer sans danger dans la baie de la Table, à cause des changemens continuels des vents, qui, dans cette saison, nommée par les Hollandais Quaad monson, ou l'hiver, sont très-dangereux dans ces parages, on jeta l'ancre dans la baie False. Une pluie extrêmement violente, survenue à mon arrivée, m'empêcha, pendant quelques jours, de faire aucune excursion dans le pays; et à la fin du mois, j'observai les collines aux environs de la ville du Cap, couvertes d'une neige, qui dura plusieurs jours. Pendant l'hiver entier, je fus obligé de me restreindre à des petites excursions dans les environs, tandis que je me préparois à un voyage plus long, en attendant une saison plus favorable.

J'eus le bonheur de faire ici la connoissance du capitaine Gordon (à présent colonel), qui avoit voyagé plusieurs années avant moi dans l'intérieur de ce pays: il étoit depuis peu de retour de la Hollande, chargé du commandement en second, et de remplacer le commandant en chef, M. de Prehn. Le colonel Gordon a de très-grandes connoissances en plusieurs branches d'histoire naturelle, et je crois que c'est la seule personne qui connoisse bien ce pays; car il en a parcouru l'intérieur à une distance de quinze cents milles du Cap. Il pos

sède, outre cela, la langue des Hottentots, et le hollandais parfaitement bien, ce qui lui a été d'un très-grand avantage dans ce voyage.

Il me paroît superflu de donner ici une description géographique du Cap, puisque M. Mason, dans une lettre qu'il adressa à la Société royale de Londres, a dit tout ce que l'on peut desirer sur ce sujet ; je me bornerai à ne décrire de ce pays, que les endroits que j'ai pu examiner moi-même.

J'avois fixé mon départ au commencement d'octobre, ce temps me paroissant le plus propre, à cause de la constance de la saison, et du grand nombre de plantes qui se trouvent alors en fleurs. Mes petites excursions, pendant l'hiver, m'avoient procuré quelques connoissances préliminaires du théâtre de mes observations..

Le 5 octobre 1777, veille de notre départ, nous eûmes le plaisir de voir ici un spectacle assez singulier, que les habitans attribuent communément à un vent de nord-ouest très-violent; ce fut de voir toute la baie de la Table remplie d'une quantité prodigieuse de poissons, surtout de marsouins et d'espadons, que les vents y avoient chassés; de façon qu'il paroissoit possible de traverser la baie à sec, en passant audessus d'eux. Près la pointe de la baie, l'eau paroissoit teinte de leur sang. Plusieurs cen

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