Page images
PDF
EPUB

aequises par M. le duc d'Orléans, ont été estimées fort peu. Je sais que le roi en a de fort belles, mais j'ignore ce qu'on les estime ; et cet article est bien essentiel, lorsqu'il est question d'avancer et de hasarder des dépenses. qui ne laissent pas d'être considérables.

Il y a encore ici quelquefois un risque à courir, c'est d'être trompé, et d'acheter des modernes pour des antiques. On les contrefait assez bien à Alep; et il y a même ici quelques Grecs qui s'en mêlent : mais, outre le discernement d'habitude, il y a divers moyens de se préserver de cette supercherie; et je ne crois pas que dès à présent même, il soit aisé de me tromper. Il y a ici des gens qui font amas d'antiques, qui courent les villages et les ruines qui achètent de la première main, et qui attendent patiemment que quelqu'Anglais, quelqu'Allemand, quelqu'Italien se présente pour acheter ; et il ne se passe guère d'année qu'il ne se présente quelqu'un de ces curieux, à qui l'argent paroît ne rien coûter.

2

Si vous daigniez me donner sur cela des lumières, je vous prierois de les détailler un peu, de m'apprendre quel genre de pierres est le plus estimé, soit pour la nature de la pierre, soit pour le travail, soit pour ce que la pierre représente, Les têtes sont, dit-on, plus estimées

que les figures entières, qui sont toujours d'assez petite manière. Je crois que les divinités et les portraits bien avérés sont ce qu'il y a de plus recherché : les pierres à deux têtes le sont aussi beaucoup. Il y a plusieurs espèces de travail ; il y a des pierres finies, soignées ; il y en a qui sont touchées fièrement, et avec cette négligence et cette liberté tant prisées des connoisseurs il y en a de froides; tels sont en général les portraits, ils ressemblent aux médailles : il y en a de vives qui sont pittoresques, et qui semblent agir et parler. Mon goût seroit pour celles-ci, mais mon goût ne doit pas décider. Oh! qu'une petite dissertation faite sous vos yeux m'éclaireroit sur tout cela! j'apprendrois quelles circonstances rendent une pierre estimable, curieuse, digne de recherche, de préférence et d'un certain prix.

On trouve de temps en temps des médailles ici, mais elles sont chères aussi, du moins elles me le paroissent; car je les regarde comme telles, quand on veut les vendre au-dessus de la valeur intrinsèque. Comme je ne m'y connois point du tout, je n'en achète point; et véritablement, c'est un goût qui entraîne des connoissances délicates et d'une trop grande étendue. Comment savoir que telle médaille, que tels revers n'est pas commun? Ce qui pouvoit

n'être pas commun en ce genre, peut l'être devenu tout d'un coup: il n'y a que les cour tiers vigilans qui puissent être informés, au juste, du change et des révolutions du commerce numismatique. Les gens de ce pays-ci, même les plus grossiers, se sont accoutumés à vendre les médailles au moins le double de la valeur intrinsèque du métail. Vous voyez bien, monsieur, qu'il n'y a qu'un connoisseur qui puisse faire ces sortes d'achats, parce que la valeur d'une seule médaille peut le dédommager du prix des autres.

Je ne vous parlerai, monsieur, ni de l'Egypte ni de ses singularités naturelles et physiques, ni de son gouvernement plus singulier encore; ce qui n'est pas connu de tout cela, ne mérite pas trop d'être raconté: mais il est vrai aussi que l'Egypte est encore très-peu connue du côté des restes merveilleux qu'elle conserve de son ancienne grandeur. Si la place que j'occupe ici, et bien d'autres causes, ne me tenoient cloué au Caire, je crois que j'aurois déjà entrepris le voyage de la Haute-Egypte, tant ce que j'en entends dire tous les jours inspire de curiosité. Si j'en crois les gens de ce pays-ci, et gens de toute espèce, on n'y voit partout que ruines, aussi majestueuses dans leur genre que les pyramides. Ce sont des palais, des portiques,

des tours, des monumens, des statues colossales sans nombre, aiguilles, obélisques, sphinx, chemins, canaux, labyrinthes; enfin, on pourroit encore retrouver jusqu'aux allignemens de la fameuse Thèbes.

Vous savez, monsieur, qu'il n'y a point de contrée de l'Orient moins connue des Européens, moins parcourue des voyageurs que l'Egypte; témoin le regret que le public éclairé marque de la perte des voyages du père Sicard: de sorte que le voyage d'Egypte est, à proprement parler, encore à faire. Il est sûr que l'esquisse, le prospectus qu'en avoit donné le père Sicard, et qu'on lit dans les Relations des missions du Levant, enflamme la curiosité. Je crois que le père Sicard n'auroit pas tenu tout ce qu'il promettoit, mais au moins, il en auroit tenu une bonne partie.

Vous savez qu'il s'est établi à Londres une société de savans qui se sont uniquement consa crés à faire des recherches sur l'Egypte, et à tirer parti de celles qui sont déjà faites. Milord Landwich, et plusieurs autres seigneurs anglais sont de cette société. Je connois une partie des Mémoires sur lesquels cette société travaille, et j'ai un état des monumens et des observations qu'elle a recueillis. Rien n'est plus borné, au prix de ce qu'on pourroit amasser

encore: d'ailleurs, les voyageurs, sur les mémoires de qui cette société travaille, ont peu vu, et mal vu ce qu'ils ont vu : leurs lumières étoient bornées, et ils n'ont pas été à portée d'étendre leurs recherches: il y a plus; un seul voyageur ne sauroit embrasser tout ce qui intéresse la curiosité; et il faudroit, pour bien faire, que des savans et des curieux de différens genres, s'unissent pour ne rien laisser

échapper.

Pour moi, j'imagine que ce seroit une entreprise digne de votre zèle pour la gloire de la patrie, pour le progrès des sciences, et de votre goût supérieur pour les arts, que de proposer à la cour un pareil voyage. Quand je parle de la cour, vous sentez que je la renferme à cet égard, toute entière dans le ministre que vous aimez, qui vous aime, et qui fait tant d'honneur à la nation. Ce voyage, qui est fait pour être proposé par vous, n'est pas moins fait pour être adopté par lui, non à présent peut-être, mais lorsque les circonstances le permettront. Le roi fit faire, en 1727, les

voyages de la Grece et de l'Asie-mineure. Combien celui d'Egypte est-il plus important? C'est un pays moins connu, et plus abondant encore en restes précieux de l'antiquité la plus reculée.

L'astronomie d'abord pourroit y trouver son

« PreviousContinue »