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et proposent à la face de l'Europe, comme étant honorable et pleine de garantie, une mesure qui laisse les États de leurs souverains sans frontières militaires. Il n'est pas raisonnable de demander une pareille mesure. Peuvent-ils, eux, hommes d'État (après avoir formulé et signé la paix de Paris), à la face de l'Europe et de leurs propres sujets, recommander un pareil arrangement comme devant mettre fin aux longues agitations de l'Europe et aux malheurs des peuples par une paix solide, fondée sur une juste répartition de forces entre les puissances, et portant dans ses stipulations la garantie de sa durée.

Les plénipotentiaires de Grande-Bretagne, de France, d'Espagne, et l'on croit, ceux de tous les autres États de l'Europe, grands et petits, partagent les mêmes sentiments sur ce sujet. Quelle opinion fâcheuse régnerait donc en Europe si S. M. Impériale tenait avec tenacité à son projet, et était déterminée à conserver la position militaire du duché de Varsovie contre le sentiment général, et si les plénipotentiaires des autres puissances, choisis pour réorganiser l'Europe et fixer une paix solide et permanente, étaient obligés d'informer les représentants de tous les États assemblés à Vienne, qu'ils sont privés, par une semblable ligne de conduite de la part de la Russie, de tout espoir de proposer un semblable arrangement, tel qu'ils se sont engagés par le Traité de Paris de donner à l'Europe après ses longues agitations et souffrances.

Il semble qu'aucune autre ligne de conduite ne peut être adoptée, à moins que S. M. Impériale ne consente gracieusement à envisager sérieusement les conséquences qui résulteront nécessairement de la mesure à laquelle elle tient pour le moment. C'est à S. M Impériale qu'il appartient d'envisager la ligne de conduite que les précédentes Déclarations qui ont été faites en Europe en son nom, l'esprit des Traités, l'honneur et la sécurité de ses Alliés, le désir général de l'Europe, ses éminentes vertus, son haut caractère, réclament impérieusement, en face de l'Europe, à une occasion aussi solennelle que la réunion de ses plénipotentiaires dans un congrès général.

Lettre du prince de Talleyrand à lord Castlereagh, sur la marche et les principes à suivre dans les occupations du Congrès.

Vienne, 5 octobre 1814.

Mylord, j'ai lu avec beaucoup d'attention le projet que le prince de Metternich m'a remis avant hier au soir, et où votre nom se trouve en marge: ce qui m'engage à vous adresser les réflexions qu'il m'a suggérées.

Plût à Dieu, qu'il fût en mon pouvoir de l'approuver en tout, comme je l'approuve en beaucoup de points. Je le voudrais de toute mon âme; car personne moins que moi n'aime à élever des difficultés; personne ne désire plus que moi de simplifier, d'abréger et de finir.

Que les puissances signataires du Traité du 30 mai 1814 forment un comité de propositions; rien n'est mieux, pourvu que les attributions de ce comité soient renfermées dans les justes bornes; que des comités soient formés pour préparer les travaux, rien n'est plus convenable; et même au lieu de deux, j'en désirerais trois, un pour les affaires d'Italie, un second pour la distribution des territoires en Allemagne, et un troisième pour sa Constitution fédérale.

Mais il me paraît toujours nécessaire que ces comités ne soient nommés que du consentement du Congrès. On n'aime tant la loi en Angleterre, et on ne l'y respecte tant, que parce que c'est le pays qui la fait. Il en serait tout autrement, si elle lui était dictée. De même, l'Europe ne tiendra aux arrangements qui seront faits, et ces arrangements ne ne seront durables qu'autant qu'ils seront le résultat de la volonté générale.

C'est ce qu'on obtiendra par le mode que j'ai proposé, au lieu que, si les puissances signataires du Traité du 30 mai réglaient tout, et décidaient tout d'avance, et ne laissaient au Congrès autre chose à faire que d'approuver, on ne manquerait pas de prétendre, que parmi ces puissances il y en avait quatre qui, par leur union, formaient une majorité constante, ce qui leur avait donné une autorité absolue dans la commission préparatoire, et que, par leur influence individuelle et collective, elles avaient ensuite forcé l'approbation du Congrès, de sorte que c'était leur volonté particulière seule qui était devenue la loi de l'Europe. On vous accuserait sûrement à tort de l'avoir voulu; l'on nous accuserait, nous d'y avoir donné les mains; et l'Europe, qui doit être constituée d'une manière durable, ne le serait pas.

On s'effarouche de la réunion du Congrès. En vérité, mylord, plus j'y réfléchis, et moins je comprends pourquoi on la craint. On ne veut pas que les petits États se mêlent des affaires générales. Dans mon opinion, ils ne le doivent pas; et dans mon opinion encore, ils n'y pensent pas. Qu'on assure aux petits États d'Allemagne leur existence, et qu'on les admette à discuter la loi fédérale, qui doit les régir; voilà, selon moi, tout ce qu'ils ont à demander, et ils ne demanderont rien de plus.

Il me semble, d'ailleurs, qu'il y a dans le mode que l'on propose, une contradiction. On veut établir des comités, et que les ministres des États intéressés s'adressent à eux; mais pour que les comités puissent recevoir ces ministres comme tels, il est de toute nécessité que ceux-ci se soient légitimés par la vérification de leurs pouvoirs. Or, si cette vérification est une fois faite, le Congrès est formé. Ainsi, d'un côté on

veut ajourner la formation du Congrès, et de l'autre on veut une chose, qui nécessairement le suppose formé.

D'un autre côté, ce mode, que l'on propose comme plus expéditif, pourrait fort bien avoir un effet tout contraire, car ne pourrait-il pas arriver, que le Congrès, une fois réuni, trouvât que l'on n'a pas procédé régulièrement, et se refusât pour cela de sanctionner? Se passerait-on alors de sa sanction, après l'avoir reconnue pour nécessaire? ou recommencerait-on sur nouveaux frais? Dans ce dernier cas, le temps consumé jusque-là, aurait été comme perdu. En adoptant ce que je propose, on n'a pas le même inconvénient à craindre; ce qui me confirme dans l'opinion, qu'au figuré, comme au propre, le chemin le plus droit est toujours le plus court.

Vous et moi, mylord, nous désirons également le bonheur et le repos de l'Europe, nous tendons au même but, et nos intentions sont les mêmes. Ce n'est que sur le mode que nos avis diffèrent. Croyez que, si je tiens au mien, ce n'est nullement par un esprit d'obstination, mais par conviction, et par la nécessité où je suis de ne point dévier des principes, non-seulement par respect pour eux, et pour obéir aux ordres qui me les prescrivent; mais encore parce que la maison de Bourbon, pour s'affermir sur le trône, où elle est remontée, n'a point de moyen plus sûr, que de s'entourer de cette considération, que peut seule donner l'attachement invariable à ce qui est juste.

Vous ne vous plaindrez point aujourd'hui du caractère officiel de ma lettre. Je la signe à peine, pour lui donner plutôt la forme d'un billet que d'une lettre. J'ai voulu seulement vous dire mes raisons; je les crois bonnes. Je vous prie, mylord, de les peser et d'agréer les assurances de ma haute considération.

Signé : Talleyrand.

Déclaration pour ajourner l'ouverture formelle du Congrès de Vienne au 1er novembre 1814, en date de Vienne le 8 octobre 1814.

Les plénipotentiaires des Cours qui ont signé le Traité de paix de Paris du 30 mai 1814 ont pris en considération l'article XXXII de ce Traité, par lequel il est dit, que toutes les puissances engagées de part et d'autre dans la dernière guerre, enverront des plénipotentiaires à Vienne, pour régler dans un Congrès général les arrangements qui doivent compléter les dispositions dudit Traité; et, après avoir mûrement réfléchi sur la situation dans laquelle ils se trouvent placés, et sur les devoirs qui leur sont imposés, ils ont reconnu qu'ils ne sauraient mieux les remplir, qu'en établissant d'abord des communications libres et con

fidentielles entre les plénipotentiaires de toutes les puissances. Mais ils se sont convaincus en même temps, qu'il est de l'intérêt de toutes les Parties intervenantes de suspendre la réunion générale de leurs plénipotentiaires jusqu'à l'époque où les questions, sur lesquelles on devra prononcer, seront parvenues à un degré de maturité suffisant pour que le résultat réponde aux principes du droit public, aux stipulations du Traité de Paris, et à la juste attention des contemporains. L'ouverture formelle du Congrès sera donc ajournée au premier du mois de novembre, et les susdits plénipotentiaires se flattent que, le travail auquel ce délai sera consacré, en fixant les idées et en conciliant les opinions, avancera essentiellement le grand ouvrage qui est l'objet de leur mission commune.

Vienne, le 8 octobre 1814.

Note de lord Castlereagh au prince de Talleyrand, au sujet de l'abolition de la traite des nègres.

Vienne, le 8 octobre 1814.

Comme il a été rapporté au gouvernement britannique que S. A. le prince de Talleyrand, principal secrétaire d'État de S. M. Très-Chrétienne pour les affaires étrangères, avait laissé tomber quelques expressions, portant que le gouvernement français ne s'opposerait pas à l'abolition immédiate de la traite des esclaves, pourvu qu'il fût mis en état de justifier un sacrifice tel que cette mesure est supposée renfermer, par quelque acquisition procurée à la nation, ou que quelque compensation fût assurée à ses planteurs;

Et quoique rien de ce qui se passa dans le cours de la discussion au mois de mai dernier à Paris, sur la question du commerce des esclaves, ne fût le moins du monde calculé à donner de la consistance à une telle idée; S. A. R. le prince-régent, toujours empressée de saisir toute suggestion qui peut lui ouvrir la perspective de terminer ou d'abréger ce grand mal de la société, a ordonné au soussigné, principal secrétaire d'État pour les affaires étrangères, d'inviter le gouvernement français à négocier pour l'abolition absolue et immédiate de la traite des esclaves sur la base suivante, savoir la cession par la Grande-Bretagne en faveur de la France d'une île dans les Indes occidentales, ou, si cela n'était pas possible, l'avance par la Grande-Bretagne d'une somme d'argent à appliquer par le gouvernement de S. M. Très-Chrétienne au bénéfice des colons français à titre de compensation pour la perte qu'ils sont supposés éprouver, si la traite des esclaves est immédiatement abolie, au lieu de l'être au bout de cinq ans, ainsi que cela

:

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avait été stipulé par le premier article additionnel de la Paix de Paris. S. A. R. le prince-régent éprouvera une véritable satisfaction en faisant ce nouveau sacrifice, au nom de la nation britannique, aux intérêts de l'humanité et au progrès d'une cause que sa gloire et son devoir paraissent lui ordonner de soutenir; et S. A. R. ressentira une plus grande satisfaction encore, si elle peut aussi mettre S. M. TrèsChrétienne en état d'exécuter sur-le-champ ses intentions bienveillantes sans sacrifier les intérêts de ses sujets.

Le soussigné prie S. A., etc.

Signé Castlereagh.

Représentation de la communauté israélite de Francfort-sur-le-Mein au Congrès. Vienne, 10 octobre 1814.

Kluber, tome VI, page 396.

Note de lord Castlereagh au prince de Hardenberg.

Vienne, le 11 octobre 1814.

Mon prince, j'ai l'honneur de vous accuser la réception de votre lettre d'hier, avec les incluses, et de m'expliquer sans perte de temps sur ces pièces, avec la franchise que j'observe toujours envers vous.

Il n'y a pas de principe, en fait de politique européenne, auquel j'attache plus d'importance qu'à la reconstruction substantielle de la Prusse. Les glorieux services qu'elle a rendus dans la dernière guerre, lui donnent les droits les plus éminents à notre reconnaissance; mais un motif plus puissant eucore se trouve dans la nécessité de considérer la Prusse comme le seul fondement solide de tout arrangement quelconque à établir pour la sûreté du Nord de l'Allemagne, contre les plus grands dangers qui pourraient la menacer. Dans une crise pareille, c'est à la Prusse que nous devons veiller. C'est à ses forces que nous devrons joindre les nôtres, et pour remplir cette tâche, il faut que la monarchie prussienne soit substantielle et solide, et douée de tous les attributs d'un État indépendant, capable de se faire respecter et d'inspirer con

fiance.

Quant à la question de la Saxe, je vous déclare que, si l'incorporation de la totalité de ce pays dans la monarchie prussienne est nécessaire, pour assurer un si grand bien à l'Europe, quelque peine que j'éprouve personnellement à l'idée de voir une si ancienne famille si profondé

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